Excessive ou nécessaire? A Visé, la densification du centre fait débat

Visé suscite l’intérêt croissant des investisseurs. © PG

Prisée des promoteurs et habitants, Visé mise sur son développement immobilier pour assurer la pérennité de son commerce et de ses finances. Certains citoyens y voient par contre une menace pour le cadre de vie, notamment à cause du nombre et de la teneur des projets.

Située en bord de Meuse, à mi-chemin entre Liège et Maastricht, Visé est une petite ville où l’on trouve de tout: de la campagne, un accès direct à l’autoroute, une gare, des commerces, de nombreux équipements et écoles, des quartiers urbains ou plus ruraux… La Cité de l’Oie, comme on la surnomme, offre une variété d’ambiances qui constituent autant de raisons de s’y implanter en plus, bien sûr, de sa localisation stratégique et de sa taille humaine.

“C’est une ville animée et agréable à vivre où l’on se sent en sécurité, souligne Xavier Malmendier, échevin de l’Aménagement du territoire. Cela explique qu’il y a un intérêt croissant pour Visé depuis quelques années, aussi bien de la part des habitants que des investisseurs. Il y a en effet une demande en matière de logements et un déficit d’offres – notamment au niveau des appartements qui sont peu nombreux dans Visé – et c’est pour cela que plusieurs promoteurs se tournent vers notre ville.”

La plupart des projets immobiliers visétois concernent toutefois le centre-ville et dépassent rarement les 20 unités.

Cet intérêt s’étend en réalité à un périmètre plus large que le seul territoire de Visé et concerne notamment sa voisine Oupeye où se développent ces dernières années plusieurs projets immobiliers. En ce qui concerne la Cité de l’Oie, un important projet de reconversion est prévu pour l’ancien charbonnage de Cheratte qui, d’ici quelques années, devrait accueillir environ 70 maisons et une cinquantaine d’appartements. Un nouveau lotissement d’une trentaine de maisons est également en projet à quelques centaines de mètres, à Cheratte-Hauteurs.

A quelques exceptions près comme celles-ci, la plupart des projets immobiliers visétois concernent le centre-ville et dépassent rarement les 20 unités. Le chantier le plus visible en ce moment est bien sûr celui de la réfection de la place Reine Astrid, qui sera bientôt suivi par la reconstruction de la gare. Mais l’on voit aussi des logements pousser à la place de vieux immeubles ou d’espaces libres, comme la Résidence Robinson et ses trois bâtiments (27 logements) au bout de l’avenue Roosevelt, près de la Meuse.

Des projets considérés comme “excessifs”

D’autres projets multi-résidentiels sont en attente ou à venir. Depuis 2020, on en dénombre une quinzaine représentant un peu plus de 200 logements. Ces chiffres émanent d’une liste établie par le collectif citoyen StopBéton Visé, une association de fait qui s’est constituée en 2022 et se mobilise sur le terrain et les réseaux sociaux pour “maintenir un cadre de vie cohérent, sain et agréable à Visé et en bord de Meuse”.

“StopBéton Visé a été créé suite à la multiplication des projets immobiliers qu’on observe depuis 2020 dans notre ville”, explique Claude Frémineur, l’un des membres du collectif qui rassemble plusieurs dizaines de personnes lors de ses réunions et environ 800 suiveurs sur sa page Facebook. “Lorsqu’on s’est réunis pour la première fois, il existait déjà deux ou trois projets autour desquels des citoyens s’étaient mobilisés. On s’est rendu compte en échangeant nos informations que certains éléments étaient communs à ceux-ci, notamment une volonté de développement à tout prix.”

Même si chaque membre du collectif a son propre niveau de tolérance, StopBéton Visé se défend de s’opposer à tout changement ou projet immobilier à Visé et mentionne d’ailleurs des initiatives positives, comme la reconversion du charbonnage de Cheratte. L’association dénonce par contre le fait qu’on construise principalement des projets de standing et/ou “excessifs”, c’est-à-dire “qui ne respectent ni les habitants, ni les autorités wallonnes – notamment les avis du fonctionnaire délégué –, ni le schéma de développement communal et/ou le patrimoine de Visé, qui est une ville avec beaucoup d’histoire”, précise Claude Frémineur. “Le problème est que cela concerne une majorité des projets et que les autorités locales encouragent les promoteurs – deux ou trois sont particulièrement présents dans la ville – dans leurs excès et leur non-respect des prescriptions en matière de densité et de gabarits principalement”, poursuit notre interlocuteur.

Pour illustrer ces propos, Gaëtan Hotterbeck, un autre membre du collectif, nous emmène à la rue Naessens de Loncin où se trouve un terrain vide bordé d’un côté par une zone commerciale, et de l’autre par les jardins des maisons de la rue de Tongres. Le projet WIC2 prévoit d’y implanter une quarantaine d’appartements répartis dans deux bâtiments. “Il est question d’immeubles avec trois étages en plus du rez-de-chaussée juste derrière les maisons, ce qui ne respecte pas la structure du bâti existant, ni le schéma de développement communal qui préconise un ou deux étages, souligne-t-il. Il est interpellant qu’autant de projets sortent du cadre à Visé car respecter les règles, c’est avant tout respecter les riverains. Par ailleurs, l’octroi de dérogations donne un signal aux promoteurs et incite à d’autres dérogations, si bien qu’on peut se demander quand cet effet boule de neige va s’arrêter…”

Densifier le centre permet de créer des recettes fiscales récurrentes.
Densifier le centre permet de créer des recettes fiscales récurrentes. © PG

De l’autre côté de la Meuse, en haut de l’avenue des Combattants, Claude Frémineur et Chantal Bienvenu, une autre membre du collectif, nous montrent une petite villa unifamiliale destinée à laisser place à un immeuble de neuf logements sur cinq étages. “Un recours en annulation a été introduit auprès du Conseil d’Etat par un voisin en raison de la démesure du projet, dont la densité atteint plus du double du maximum fixé par le schéma de développement communal”, expliquent-ils. Un peu plus bas, à l’angle avec le rempart des Arquebusiers, le duo pointe une série de petites maisons et un espace de parking destinés à devenir un immeuble avec 18 appartements. “Ici, ils veulent placer un bâtiment de quatre étages à côté de maisons, en ne laissant plus aucun espace libre sur la parcelle. Plusieurs voisins ont introduit des recours en annulation auprès du Conseil d’Etat, le Collège a retiré le permis début juin avant de l’accorder à nouveau peu de temps après, pour le même projet et en se contentant de développer la motivation et les références administratives.”

Il est vrai que le changement peut susciter des craintes, mais à un moment il faut oser densifier et reconstruire en centre-ville où l’on a de vieux bâtiments.” Xavier Malmendier, échevin de l’Aménagement du territoire

“Créer des recettes fiscales récurrentes”

Au total, le collectif StopBéton Visé a compilé une quinzaine de projets qui en sont à différents stades (permis octroyés, rapports favorables du Collège, etc.) et présentent à ses yeux des aspects non réglementaires. Ce qui fait dire à ses membres que la politique est au “respect zéro” à Visé, tant vis-à-vis des habitants que des règles en vigueur. De son côté, l’échevin de l’Aménagement du territoire Xavier Malmendier répond que les plans sont indicatifs mais pas contraignants: “D’ailleurs, ajoute-t-il, de nombreuses communes n’ont pas de schéma de développement communal. A Visé, ce dernier n’est pas plus ou moins respecté aujourd’hui qu’auparavant. Quant au fonctionnaire délégué, il soulève les questions de légalité mais il ne faut pas outrepasser sa fonction ; ce sont bien nous, élus, qui sommes les gestionnaires de la commune”.

L’échevin est évidemment au courant des débats animés autour de certains projets immobiliers, et les attribue pour la plupart à des oppositions politiques, des amalgames et une certaine peur du changement. “Le phénomène Nimby (not in my backyard, Ndlr) a toujours existé mais il est désormais exacerbé par les réseaux sociaux. Il est vrai que le changement peut susciter des craintes, mais à un moment, il faut oser densifier et reconstruire en centre-ville où l’on a de vieux bâtiments. Beaucoup de communes pleurent pour avoir des investisseurs. Or, nous avons la chance qu’ils se poussent au portillon et cela répond à une vraie demande!”

Xavier Malmendier souligne en effet que le développement de l’immobilier au centre de Visé est justifié par un besoin de logements supplémentaires ainsi que par des raisons plus écologiques et économiques. “Si l’on veut favoriser la mobilité douce et l’écologie, c’est dans le centre-ville qu’il faut (re)construire et pas dans les campagnes comme certains le proposent. Développer le logement et attirer des habitants au cœur de Visé est aussi une façon de soutenir notre commerce local en ramenant une clientèle qui avait disparu. Enfin, c’est une réflexion à plus long terme mais je prédis qu’aux alentours de 2027-2028, les communes risquent de connaître de gros problèmes financiers. Les finances publiques sont exsangues au niveau de la Région wallonne et on sent qu’on va serrer la ceinture à tous points de vue. Densifier le centre de Visé permet de créer des recettes fiscales récurrentes et de sécuriser financièrement la commune et ses services.”

Préserver les atouts de Visé

Comme les zones libres se font rares dans le centre de Visé, de plus en plus de projets immobiliers concernent des démolitions/reconstructions qui suscitent parfois des débats. Par exemple, la destruction de l’ancien cinéma Excelsior (inscrit à l’Inventaire wallon du patrimoine immobilier culturel) pour y reconstruire un ensemble mixte avec 19 logements, une salle polyvalente et un rez commercial mobilisent le collectif StopBéton Visé et certains amoureux du patrimoine.

“Je pense qu’il y a une méprise par rapport au projet, estime l’échevin Xavier Malmendier. Le bâtiment voisin à front de rue va rester. Ce qui va disparaître, c’est la salle à l’arrière qui est juste un mur aveugle. Il faut se rendre compte que le bâtiment est à l’abandon depuis 15 ans, c’est un chancre en plein centre-ville. Il y a eu plusieurs tentatives mais le propriétaire n’est pas parvenu à faire revivre le site, donc à un moment, il faut accepter qu’on veuille en faire autre chose et y installer du logement est une bonne utilité.”

Face aux détracteurs des projets, les autorités visétoises semblent avant tout défendre une approche pragmatique. Xavier Malmendier souligne par ailleurs qu’il s’agit d’une vision politique à long terme et dont le but n’est autre que de préserver les atouts de Visé. “On a un côté petite ville sympathique, commerciale et dynamique, et c’est ce qu’on veut conserver tout en offrant du logement aux personnes qui veulent s’y installer”, conclut-il.

Malgré les divergences de points de vue face au développement immobilier de Visé, citoyens, opposants politiques et autorités communales semblent en tout cas d’accord sur un point: leur ville est attrayante et il faut à tout prix préserver ses atouts.

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