Veepee: “Impossible d’être rentable avec des retours gratuits”

Jacques-Antoine Granjon: “Il y a plein de marques locales en Belgique. Le problème, c’est qu’une marque, ça ne peut pas rester petit.” © PG / Thomas Gogny
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Jacques-Antoine Granjon, CEO et fondateur du groupe Veepee, leader européen des ventes événementielles en ligne, était en visite à Bruxelles. La plateforme, initialement conçue pour vendre des collections en ligne provenant de stocks de vêtements invendus, évolue et se voit mise à l’épreuve par les acteurs de la seconde main.

“Faites au plus simple pour vous, ne vous embêtez pas pour moi”, répond Jacques-Antoine Granjon, le fondateur et CEO de Veepee, lorsqu’on lui demande ce qu’il veut manger ce jour-là. A la tête d’une fortune de plus d’un milliard d’euros, l’homme continue d’apprécier les choses simples et reste très abordable. “Il n’aime pas la hiérarchie”, nous glisse-t-on en interne.

Le CEO de la plateforme d’e-commerce Veepee, anciennement “Vente-privée”, casse les codes. Son style contraste avec la méticulosité avec laquelle il gère son entreprise. Grand, cheveux longs, baskets, lunette design, veston noir classique mais surtout franc-parler: tel se découvre Jacques-Antoine Granjon…

Son groupe, leader européen des ventes événementielles en ligne, traite environ 100.000 commandes par jour et livre ses colis en moyenne dans les 12 jours. “C’est beaucoup mais c’est comme ça que ça fonctionne, explique le CEO. Et si vous n’êtes pas contents, vous allez sur Amazon.” Franc-parler, on vous avait prévenu!

L’impératif d’instantanéité qui caractérise l’e-commerce d’aujourd’hui? Très peu pour lui. “Je n’ai jamais adhéré, ça n’a aucun sens, assure Jacques-Antoine Granjon. Pourquoi? Parce que les conséquences, ce sont des livreurs à vélo qui sont mal payés pour pédaler toute la journée.” Le CEO est convaincu que le client qui aborde Veepee n’a pas la même approche que lorsqu’il surfe sur le site d’une marque. “Lorsque vous commandez un produit au prix plein, il est normal de vouloir être livré rapidement. Mais lorsque vous voulez bénéficiez d’une réduction jusqu’à 70%, vous patientez.”

Le business model de Veepee repose sur l’événementiel, soit des ventes flash d’invendus, d’une durée moyenne de cinq jours, avec des ristournes pouvant aller jusqu’à 70%. Ce système permet à une marque (surtout de vêtements) d’écouler ses produits et d’encaisser une somme plus importante qu’avec les soldes. “On continue d’innover pour les clients”, assure le fondateur, qui rappelle au passage que lesdits clients sont avant tout les marques puisque Veepee fonctionne en B to B to C, exploitant quatre segments: mode mais aussi mobilier, alimentation (vins, etc.) et voyages.

Bienvenue dans la Brandsplace

Si à l’origine, Veepee misait uniquement sur la vente de stocks, à savoir les collections précédentes qui prennent la poussière dans les entrepôts, la plateforme s’est aujourd’hui diversifiée avec une market place. Sa Brandsplace brade des produits issus des collections toujours en cours. Sur cette dernière, les articles sont écoulés et expédiés par les vendeurs, Veepee devient alors un intermédiaire entre ses “membres” et les marques.

Le modèle de Veepee est extrêmement dépendant des ventes flash (qui représentent environ 2 milliards d’euros pour l’entreprise) et donc des stocks. Pour la plateforme, ces ventes ne représentent certes “que” quelques pourcentages de croissance mais “elles créent principalement du trafic et du désir”, souligne l’entrepreneur. Chaque jour, ce sont plus de 4,5 millions de consommateurs qui se rendent sur le site, dont 12.000 nouveaux membres acquis par jour. “Sans publicité”, précise le CEO qui a écoulé 75 millions d’articles cette année.

Avec quelque 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 200 millions tirés du marché belge, l’entreprise a toujours été rentable. La mode reste l’activité la plus porteuse (60% du chiffre d’affaires) et la plateforme tire aujourd’hui sa croissance de sa market place, qui rapporte un million d’euro par jour rien qu’en France.

Après avoir connu une croissance incroyable lors de sa création, Veepee a continué à grandir par acquisitions, rachetant ses concurrentes comme l’entreprise belge Vente-Exclusive et l’espagnole Privalia. Durant son développement, la plateforme n’aura jamais levé d’argent. Voilà pourquoi Jacques-Antoine Granjon contrôle toujours sa société, depuis 22 ans.

Des crises, Jacques-Antoine Granjon en a vu passer depuis qu’il est dans le métier (38 ans, quand même…). Il se dit résilient mais reste très vigilant face à “la pression inflationniste qui rebat les cartes”. Lorsqu’ils sont confrontés à une crise, les consommateurs se tournent certes davantage vers le discount mais se montrent également tout simplement plus prudents dans leurs achats. Sans oublier l’augmentation des coûts auxquelles l’entreprise doit faire face, “à commencer par la hausse des matières premières qui ne peut être répercutée sur le prix de vente”. Dans le même temps, les marques souffrent “et ce n’est jamais bien même si ça fait du stock”, prévient le CEO.

Fermeture de Beersel

L’entreprise française a d’ailleurs décidé de fermer son centre de distribution belge, situé à Beersel, d’ici la fin de l’année. Les activités logistiques seront transférées près de Paris, où Veepee conserve un entrepôt. La fermeture du site devrait entraîner la suppression de 59 emplois et ramener les effectifs belges à environ 250 personnes. “Ce n’est jamais agréable de fermer un site”, témoigne Jacques-Antoine Granjon. Selon le CEO, le B to B n’évoluait plus assez en Belgique, contrairement à la France ou à l’Espagne. “Il y a plein de marques locales en Belgique, c’est un marché très créatif, atteste-t-il. Le problème, c’est qu’une marque, ça ne peut pas rester petit.”

Veepee collabore aujourd’hui avec environ 7.000 marques qui semblent avoir toujours autant de stock à lui confier. “Je me demande chaque année si le stock sera suffisant”, concède Jacques-Antoine Granjon. Mais chaque année, l’homme est positivement surpris. Et le CEO de se défendre de profiter de la surproduction: “Nous ne sommes qu’au bout de la chaîne industrielle, justement pour écouler ses stocks”.

“Les marques ont besoin d’avoir des stocks, au risque de générer de la frustration.”

Les marques pourraient-elles envisager de produire moins? La réalité, c’est que les volumes et les besoins se révèlent tels qu’il faut pouvoir anticiper, sur diverses chaînes de production, situées dans divers pays. “Les marques ont besoin d’avoir des stocks, au risque de générer de la frustration chez leurs clients”, analyse l’entrepreneur.

Depuis qu’il existe, le modèle Veepee a toutefois été bien mis à l’épreuve. D’abord par les marques elles-mêmes qui ont à la fois lancé des outlets et commencé des promotions sur leurs propres plateformes d’e-commerce. “Une position que personnellement, je ne recommande pas”, glisse Jacques- Antoine Granjon qui estime que cette démarche perturbe le positionnement d’une marque.

En 12 ans, le CEO affirme avoir perdu 13 points de marge à la suite de l’arrivée de la concurrence sur le marché. “Cette concurrence est quasiment anéantie, même s’il reste des acteurs comme Zalando ou BestSecret”, affirme le fondateur. Mais à la différence de ses concurrents, Veepee n’est pas tombé dans le piège du transport gratuit puisque la livraison et le retour sont des services payants. “On ne peut pas être rentable et proposer ces services gratuitement”, précise-t-il.

La seconde main comme concurrence

Mais d’autres acteurs font aujourd’hui figures de concurrents pour la plateforme: les entreprises qui opèrent sur le marché de la seconde main et proposent également des prix réduits. “Ce marché prend de plus en plus de place et de parts”, reconnaît l’entrepreneur. Vinted, pour ne pas le citer, est le plus gros sur le marché. “Mais il ne gagne toujours d’argent”, pointe le CEO.

Veepee avait d’ailleurs imaginé un programme Member to member, destiné à ses clients afin que ceux-ci puissent s’échanger des produits. Mais alors qu’il devait être lancé début d’année, ce programme a été abandonné. L’entreprise n’y voyait aucune perspective de rentabilité réelle. “Ce qui ne veut pas dire que l’on ne le reprendra pas à un moment plus opportun”, poursuit Jacques-Antoine Granjon.

La plateforme d’e-commerce a donc décidé d’aborder la seconde main autrement, proposant par exemple des téléphones ou des électroménagers reconditionnés. Veepee prévoit également de lancer un nouveau programme en Belgique dès l’année prochaine. Return all permet de remettre en vente un produit alors qu’il seulement en cours de renvoi par un client. Déjà actif en France et en Espagne, le système remet en vente plus de 400.000 produits par an.

“Le digital permet de faire rêver avec des produits auxquels on n’a plus accès.”

Entre-temps, Veepee a également lancé le concept Re-Cycle qui permet aux utilisateurs de renvoyer gratuitement les vêtements, chaussures et accessoires d’une marque, quel que soit leur état, et de recevoir en échange des coupons ou bons d’achat à utiliser dans des enseignes partenaires. A charge pour Veepee de trier, laver, repasser et photographier les produits afin de les remettre en vente.

Reste l’éternelle question de l’omnicanalité. Quel regard Veepee, pure player digital, porte-t-il sur la combinaison des ventes aussi bien en physique qu’à distance? “Pour moi, c’est fondamental parce que le consommateur recherche l’expérience avant tout”, assure Jacques-Antoine Granjon qui évalue justement la possibilité de créer des évènements pour des marques haut de gamme. “Celles-ci ne veulent pas forcément être présentes sur le digital pour éviter de donner de la visibilité à leur déstockage”, explique-t-il. De là à ouvrir une boutique Veepee? Non, sans hésitation. “Le digital permet de faire rêver avec des produits auxquels on n’a plus accès.”

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