Vanessa Biebel (FEB): “La stratégie non financière doit faire partie de l’ADN de l’entreprise ”

Vanessa Biebel: "On n’a pas le choix si l’on veut s’assurer de la survie de son entreprise à long terme."
Olivier Mouton

C’est un tsunami de contraintes qui s’impose, pour la bonne cause. “Autant en faire une opportunité”, estime Vanessa Biebel, COO de l’organisation patronale et manager de son centre de développement durable. La haute direction doit s’y impliquer corps et âme.

Vanessa Biebel est COO et manager du centre de compétence Durabilité & Economie circulaire de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). Elle évoque pour Trends-­Tendances l’importance du reporting ESG, à l’occasion de la publication de deux guides électroniques destinés à sensibiliser les entreprises à la question. Car l’enjeu, en matière de gouvernance, est majeur, insiste-t-elle.

TRENDS-TENDANCES. Vous publiez deux guides électroniques destinés à sensibiliser les entreprises au ‘‘reporting’’ ESG. Pourquoi ?

VANESSA BIEBEL. D’abord, tout simplement, pour aider les entreprises à s’y retrouver dans le tsunami de législations liées au reporting non financier. L’initiative n’inclut pas toutes les réglementations en matière environnementale, car ce serait encore un autre défi de les répertorier. Elle se concentre sur la directive CSRD (sur le reporting extra-financier), la taxinomie et la CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive). Nous avons décidé de faire des guides digitaux, car la législation ne cesse d’évoluer et les transpositions belges des règles européennes sont en cours ou vont arriver.

Le second objectif, c’est précisément d’alerter les entreprises. Il vaut mieux se préparer car même si on commence petit, tout prend du temps. Il faut aller glaner des informations dans les différentes parties de la société — la comptabilité, les facilities, les ressources humaines, etc. Développer des KPI (key performance indicators) ex-nihilo, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Nous avons publié deux guides. Le premier est très précis pour les grandes entreprises, directement concernées, avec PwC et l’Institut des réviseurs d’entreprises car ce reporting sera suivi au même titre qu’un audit financier. Le second s’adresse aux PME qui ne sont pas directement concernées, mais qui devront fournir des informations, que ce soit à leur banque ou à leurs clients. Nous avons conclu un partenariat avec BDO et Agoria pour démystifier le processus, qui peut faire horriblement peur.

La finalité de ce ‘‘reporting’’ dépasse-t-elle la démarche administrative ?

Le reporting permettra de mieux diriger l’entreprise car il y a des défis à long terme, qu’ils soient environnementaux ou sociétaux, auxquels il faudra de toute façon s’attaquer. Quand l’Europe impose la neutralité carbone pour 2050, cela signifie que chaque entreprise doit mettre en place un plan pour y arriver. Il faut se lancer, voilà tout, tel est aussi notre ­message.

Beaucoup d’entreprises en sont conscientes, mais la complexité peut-elle être un frein ?

Tout à fait : la complexité, et les choix que l’on hésite à poser. Toute entreprise doit veiller à être rentable, c’est évident. Mais si elle n’intègre pas ces défis à long terme, elle finira de toute façon par ne plus l’être. Via le Green Deal et le bras financier, l’Europe vise à appuyer là où ça fait mal, à imposer ce reporting pour démontrer comment la transformation s’opère au quotidien. La plupart des grandes entreprises l’ont bien compris mais l’enjeu principal, désormais, n’est autre que le financement, car tout cela impose des investissements majeurs. Par ailleurs, cette évolution est tout simplement indispensable aujourd’hui si l’on veut attirer du personnel. Les candidats la réclament, et refusent même les offres qui ne correspondent pas à leurs valeurs dans ce domaine.

Le ‘‘reporting’’ et le financement sont-ils deux difficultés à surmonter ?

Pour y arriver, il s’agit avant tout d’identifier les actions à mener, de mettre en place une stratégie, puis de dégager les budgets pour réaliser les nouveaux KPI. La haute direction doit absolument prendre la tête de cette démarche. C’est elle qui doit fixer le cap.

Il faut se lancer, voilà tout, tel est aussi notre message.” – Vanessa Biebel, COO de la FEB

Sentez-vous que des entreprises sont démunies ?

Surtout les PME. Les grandes entreprises ont les moyens de se payer de bonnes expertises. La vraie difficulté se situe au niveau des plus petites sociétés. Or on connaît le paysage belge : elles y sont largement majoritaires. La plupart d’entre elles tombent des nues et se demandent à quelle sauce elles vont être mangées. Nous voulons les accompagner et les encourager à débuter de façon modeste, les aider à mettre le pied à l’étrier. Nous prenons aussi les devants car les lignes directrices promises par l’Europe tardent à arriver. Mais on sait ce sur quoi elles vont porter : les émissions de CO2, le nombre de femmes aux conseils d’administration… Ce travail sur des choses évidentes, il faudra le faire et il aura un coût administratif car il est impossible de l’externaliser totalement. Comme la stratégie financière, la stratégie non financière doit faire partie de l’ADN de l’entreprise.

Les petites structures n’ont pas toujours quelqu’un pour s’en occuper…

C’est clair, bien souvent, personne n’est attitré. Les PME se demandent qui elles vont mettre là-dessus et, surtout, combien cela va leur coûter. Il faut les rassurer en disant que si l’initiative est mise en place de façon intelligente, elle peut leur être utile sur le plan stratégique. Même si cela demande au management de s’impliquer réellement. C’est un beau défi.

Votre message consiste-t-il à dire qu’au-delà des contraintes, ce peut également être un moteur de développement ?

Il s’agit de faire de ces contraintes une opportunité, oui, c’est important. Cela représente un potentiel qui peut être décisif pour l’avenir. Placer dès à présent les balises sera profitable. Les législations environnementales se multiplient à la vitesse grand V et elles ne s’arrêteront pas de sitôt. Le cap est clair en matière d’émissions de carbone, mais il va encore évoluer en ce qui concerne l’économie circulaire, la diminution de l’utilisation des matières, la gestion de l’eau… Il y a d’ailleurs parfois un manque de cohérence et on s’y perd un peu, mais on n’a pas le choix. Et, je l’ai dit, l’attractivité vis-à-vis des jeunes est un autre élément essentiel. Pour séduire les bonnes personnes, il faudra avoir une parole vraie.

Une révolution copernicienne est-elle ainsi entamée ?

Pour certaines PME, on peut parler de révolution, oui. Je travaille dans le développement durable depuis 20 ans et je sais que, par la porte ou par la fenêtre, on devra évoluer en ce sens. Nous arrivons à un moment charnière où tout le monde va pouvoir s’aligner sur les mêmes KPI, ce qui sera profitable au benchmarking. Avant, on picorait un peu ; désormais, on sait de plus en plus précisément ce que l’on doit faire. Comme en matière de reporting financier, à terme, ce sera exactement la même chose.

Y a-t-il des échéances ­importantes ?

Oui mais ce qui est compliqué, c’est que selon les textes, elles sont différentes. Pour le CSRD, la publication doit avoir lieu en 2025 sur l’exercice 2024. En matière de taxinomie, les entreprises publiques doivent déjà le faire pour 2022. Et pour le CSDDD, ce sera à partir de 2026. Notre guide inclut un tableau qui tient compte des spécificités des entreprises et des exigences qui y sont liées. Mais je le répète : tôt ou tard, tout le monde va devoir s’y mettre.

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