Trois clés du succès de la biotechnologie belge : “argenx est une perle rare”

argenx
Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Dans un climat tout sauf favorable à la biotechnologie, argenx a pu facilement lever un milliard de dollars auprès d’investisseurs. Dans quelle mesure les réalisations de l’entreprise biotechnologique flamande sont-elles exceptionnelles ?

Le secteur de la biotechnologie a été à la traîne sur le marché boursier cette année. Alors que le Nasdaq américain a enregistré l’une de ses meilleures performances au premier semestre, le sous-indice des valeurs biotechnologiques est en perte. “Beaucoup d’actions biotechnologiques se négocient en dessous de leur trésorerie nette”, explique Danny Van Quaethem, gestionnaire de fonds chez Econopolis. “Ces sociétés ont plus d’argent par action dans leur bilan que les investisseurs ne sont prêts à payer pour ces actions.

Le sentiment négatif qui entoure actuellement les biotechnologies est principalement dû à la hausse des taux d’intérêt, qui rend tout financement plus onéreux et pèse sur les valorisations des entreprises en croissance. L’appétit a également diminué en dehors du marché boursier. “Les investisseurs ont encore de l’argent, mais ils sont moins dépensiers. Il y a moins de concurrence et les investisseurs ont donc plus de temps pour faire leurs devoirs et analyser les risques”, estime Katleen Vandersmissen, associée gérante de Heran Partners. Le premier fonds de Heran Partners a levé 75,5 millions d’euros, dont environ les trois quarts ont été investis. Un deuxième fonds pourrait être ajouté à l’automne. Heran investit principalement dans des entreprises qui développent des technologies médicales ou de soins de santé, deux domaines qui s’orientent vers la biotechnologie.

La biotechnologie consiste à développer de nouveaux traitements pour les maladies. Vandersmissen : “La tendance est la même partout. Le climat d’investissement en 2020, 2021 et même 2022 a été particulièrement favorable aux fondateurs. Peut-être trop favorable, avec des valorisations très élevées. Nous assistons aujourd’hui à une contre-réaction qui, une fois de plus, va peut-être trop dans l’autre sens.”

1 Trouver des capitaux

Pour les investisseurs, ces valorisations plus faibles sont une arme à double tranchant. “Il est en effet plus facile aujourd’hui de trouver de nouveaux investissements rentables”, selon Vandersmissen. “Mais si on a déjà investi dans une telle entreprise, il est beaucoup plus difficile d’organiser un nouveau tour de table avec ces valorisations inférieures. Or des capitaux frais sont nécessaires pour poursuivre la croissance.”

Cela n’a pas été un problème pour argenx qui a levé sans problème un milliard de dollars la semaine dernière, alors qu’elle visait initialement 750 millions de dollars. “argenx montre qu’il n’est pas impossible de lever des fonds. Les investisseurs sont prêts à soutenir les entreprises si les bases sont bonnes.

En bref : « quality gets funded “, a réagi l’analyste Suzanne van Voorthuizen de la maison de courtage Van Lanschot Kempen. La nouvelle de l’augmentation de capital est tombée un jour après l’annonce des résultats positifs de l’étude de phase III pour le médicament Vyvgart dans un grand groupe de patients souffrant de la maladie auto-immune myasthénie grave généralisée (MGG). “Les données cliniques relatives à la MGG sont très solides. Ces données prouvent également la crédibilité d’un pipeline avec le même produit. Il y a 15 indications possibles qui peuvent être traitées avec Vyvgart”, a ajouté M. Van Quaethem.

La semaine dernière, De Tijd écrivait que l’Institut flamand de biotechnologie (VIB) sera à la tête d’un fonds doté d’un capital de 0,5 à 1 milliard d’euros. “C’est une excellente nouvelle”, estime M. Van Quaethem. “Car nous manquons en Belgique d’une politique d’ancrage. VIB était dans le berceau d’argenx, mais n’apparaît plus dans l’actionnariat de l’entreprise. Les grands instituts de recherche devraient conserver une participation minimale dans les entreprises issues de leurs recherches. Les principaux actionnaires d’argenx sont des gestionnaires d’actifs anglo-saxons tels que Fidelity, BlackRock et Baillie Gifford. Au Danemark, par exemple, la situation est bien meilleure. Il suffit de regarder le producteur d’insuline Novo Nordisk, Coloplast et Chr. Hansen, qui sont encore largement détenus par des Danois.

“L’idée de fonds comme celui du VIB n’est pas nouvelle, mais apparemment les projets deviennent plus concrets. La seule question est de savoir qui gérera un tel fonds et quel sera son degré d’indépendance. Il y a peu de grands fonds en Belgique, et même en Europe. Aux Pays-Bas, les grands fonds de pension investissent dans des fonds de capital-risque. Ce n’est pas le cas en Belgique. Mais ne nous voilons pas la face, l’Europe est largement dépendante des capitaux étrangers”, estime M. Vandersmissen. “Même si un actionnaire n’aura jamais tout à dire, la continuité et ce qui est le mieux pour l’entreprise sont des éléments essentiels et doivent primer. Certaines entreprises ont le droit d’exister de manière indépendante. D’autres sont mieux dans le giron d’une grande entreprise. Et oui, nous avons déjà dû vendre des entreprises que nous voulions garder, parce que nous n’avions pas assez de poids financier.

L’IPO (initial public offering) est aujourd’hui saturé. Le fait qu’il soit aujourd’hui plus difficile d’introduire des sociétés en bourse incite également les parties qui investissent dans des entreprises à des stades plus précoces à faire preuve d’une plus grande prudence. Vandersmissen : “Chaque cas d’investissement a sa propre histoire. Mais on constate qu’il est plus difficile pour les entreprises, indépendamment de la phase dans laquelle elles se trouvent, de trouver de l’argent. argenx est l’exception plutôt que la règle, surtout en Europe. Elle a su surfer sur les vagues conjoncturelles. Aujourd’hui, elle est dans une période faste, mais elle a également été en mesure de lever des fonds assez facilement au cours de nombreuses phases antérieures”.

Durant la période ou l’argent semblait gratuit, de nombreuses sociétés de biotechnologie de moindre qualité ont également été introduites en bourse, en particulier sur le Nasdaq, explique Van Quaethem. Pour Vandersmissen, “il est dangereux d’introduire des sociétés en bourse trop tôt”. “Il y a aussi beaucoup d’entreprises qui n’étaient pas prêtes pour une introduction en bourse sur les marchés Euronext. Les coûts augmentent immédiatement de 20 %, car d’autres règles relatives à la gouvernance d’entreprise s’appliquent. Elles doivent publier des résultats tous les six mois ou tous les trimestres, alors que la recherche sur le fonctionnement des médicaments prend des années. Parfois, il n’y a pas d’autre choix, mais je pense qu’il vaut mieux que les entreprises entrent en bourse sur le tard plutôt que trop tôt. Les entreprises doivent également communiquer immédiatement les informations susceptibles d’influer sur les prix, faute de quoi elles seront prises au dépourvu par l’autorité de régulation financière FSMA. C’est ce qui s’est passé la semaine dernière avec Biocartis, qui a dû payer un règlement à l’amiable de 200 000 euros.

2 L’homme (ou la femme) à la tête de l’entreprise

argenx est entrée en bourse le 10 juillet 2014 à 8,5 euros par action. Aujourd’hui, l’action vaut plus de 50 fois plus. “argenx est une perle rare”, estime M. Van Quaethem. “Je suis le secteur depuis les années 1990 et j’ai vu beaucoup d’échecs. Les sociétés de biotechnologie qui parviennent à avoir plus d’un succès sont très exceptionnelles.” L’analyste se réfère également aux déclarations du PDG d’argenx, Tim Van Hauwermeiren, qui est très ambitieux: il veut encore créer beaucoup de valeur pour les actionnaires et dispose d’un large pipeline de produits potentiels. Tout le monde s’accorde à dire que Van Hauwermeiren est un facteur important du succès d’argenx. Pour Van Quaethem, c’est la preuve qu’il faut davantage prendre en main les managers et les entrepreneurs de haut niveau. “Lorsque Lionel Messi commence à jouer au football à Miami, toute la Belgique l’a su. Dans le secteur de la biotechnologie, des transferts de haut niveau ont également lieu régulièrement. Par exemple Paul Stoffels, le cadre scientifique supérieur de Johnson & Johnson qui est devenu PDG de Galapagos l’année dernière. Ou Thad Huston qui est passé de Gilead à Galapagos, avec des années d’expérience à son actif. Sauf que ces changements se sont faits en toute discrétion”.

L’homme ou la femme à la tête de l’entreprise est également très important pour M. Vandersmissen. “Les universités telles que la KU Leuven et la VUB collaborent avec de grandes entreprises, mais elles créent également de nouvelles sociétés. Très souvent, il arrive un moment où ces spin-off ont besoin d’entrepreneurs expérimentés pour aider les universitaires à construire une entreprise, à explorer le marché et à mettre en place un modèle d’entreprise. Souvent, on fait appel à un PDG externe, quelqu’un qui a de la bouteille, un entrepreneur en série qui sait comment éviter les pièges des start-up”. Pour Suzanne van Voorthuizen, ce n’est pas seulement la direction d’Argenx  qui est exemplaire, mais toute la culture d’entreprise. “C’est l’un des éléments importants de la réussite. Chez Argenx, tout le monde se concentre sur l’innovation et la collaboration.

3 Un écosystème dans lequel les entreprises peuvent prospérer

La Belgique est un petit pays, mais se fait remarquer dans le secteur de la biotechnologie. Selon M. Van Quaethem, cette notoriété doit beaucoup à des brillants pionniers issus de nos universités. “En 1982, Jeff Schell, professeur à Gand, et Marc Van Montagu, biologiste, ont fondé Plant Genetics Systems. C’est là que se trouve la graine de tout le cluster autour de la biotechnologie agro- ou verte à Gand. Il y a aussi Ablynx, une spin-off de la VUB créée en 1989, après l’étrange découverte que les anticorps des camélidés sont beaucoup plus simples que ceux des autres animaux. Outre Ablynx, cette découverte a conduit directement ou indirectement à la création d’argenx, de Biotalys et de Confo Therapeutics.

Van Quaethem regarde lui avec une pointe d’envie vers l’esprit d’entreprise qui règne aux Pays-Bas, soulignant que les promesses technologiques telles que Collibra se déplacent vers les Pays-Bas parce qu’elles y trouvent un climat plus favorable. “Même argenx a son siège à Rotterdam”. Il craint que l’écosystème si important pour la biotechnologie belge ne soit détruit par des mesures politiques qui découragent les investisseurs ou les entrepreneurs. Mais le gouvernement a déjà pris des mesures favorables aux entrepreneurs en Belgique, comme la déduction pour brevets et innovations ultérieures, qui permet aux entreprises de payer moins d’impôts sur les revenus tirés des droits de propriété intellectuelle. Cette incitation à la recherche et au développement permet aux entreprises de biotechnologie et d’autres technologies de se développer.

“J’ignore le montant exact des subventions ou des régimes d’avantages fiscaux accordés aux entreprises, mais ils jouent certainement un rôle et peuvent, s’ils sont utilisés correctement, constituer des leviers importants. À mon avis, un gouvernement doit faciliter, mais pas diriger”, ajoute M. Vandersmissen. “Il se passe tellement de choses en Belgique : d’Ablynx à Galapagos, les gens partent pour créer de nouvelles entreprises. C’est comme une marée noire qui ne cesse de s’étendre”. L’écosystème, composé d’universitaires, d’entrepreneurs et d’investisseurs, “est pour le moins crucial”, estime M. Van Voorthuizen. “Outre argenx, il y a d’autres grands succès biotechnologiques en Europe, comme Genmab et BioNTech, mais le succès fou d’argenx est différent. C’est la première société de biotechnologie qui a développé de manière totalement indépendante un médicament au potentiel énorme, l’a mené à travers toutes les phases d’étude et l’a lancé au niveau mondial, et qui le commercialise maintenant avec succès. Il existe de nombreuses entreprises en phase de démarrage qui pourraient suivre une voie similaire, mais il est difficile pour l’instant de dire lesquelles réussiront. De toute évidence, tout le monde est à la recherche du nouvel argenx”. Mais pour Van Quaethem, c’est clair : “Le prochain argenx n’existe pas”. C’est dire si cette réussite est exceptionnelle.

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