Gestion de la consommation: comment Smappee veut accélérer la transition énergétique
Connaître sa consommation d’énergie, c’est important pour pouvoir la réduire. Tel est le leitmotiv de Smappee, une entreprise belge qui produit des systèmes intelligents de gestion de l’énergie et des bornes de recharge, des “dirigeants d’orchestre” qui peuvent optimiser la consommation en fonction des prix spot et de la disponibilité de l’énergie verte. Pour Smappee, c’est la piste pour assurer la transition énergétique, que l’entreprise veut ainsi faciliter et accélérer. Entretien.
C’est entre des éoliennes, dans un parc d’activités près de Courtrai, que se trouve le siège de Smappee, où la scale-up reçoit Trends Tendances. Elle a doublé ses effectifs en 2023 et est en pleine croissance.
Stefan Grosjean, fondateur et CEO de Smappee, retrace sa propre histoire. Il a commencé dans les technologies de l’énergie et des informations énergétiques en 1991, lorsque les compteurs devaient encore être lus manuellement par un employé pour faire un décompte. Avec EnergyICT, c’est devenu possible à distance. Une technologie qui a rapidement plu aux entreprises gourmandes en énergie, qui y ont vu l’opportunité de comprendre et de gérer leur consommation, afin de pouvoir réduire leurs factures en évitant des mauvaises pratiques.
La compagnie s’est hissée dans le top 2 ou 3 mondial. Après la crise financière de 2008, elle a fusionné avec le fabricant allemand de compteurs (eau, gaz, électricité etc.) Elster et est entré en bourse à Wall Street. L’occasion pour Grosjean de vendre ses parts et de laisser les rênes à autrui. “J’ai pu me forger une expérience importante. J’ai eu une perception du marché et de la transition énergétique, qui était encore à venir.” Cette expérience, il a voulu la mettre au service des ménages également : et c’est ainsi que Smappee a vu le jour, en 2012.
Pince…
En 2013, un premier produit est arrivé sur le marché. “C’est une petite pince à mettre autour du câble qui entre dans la maison”, nous montre le CEO. “Elle mesure le courant, des milliers de fois par seconde. Grâce à l’IA et aux algorithmes, elle peut déceler quel appareil s’allume quand – un peu comme Shazam pour la musique – et combien il consomme surtout.” La pince est connectée au wifi et envoie toutes ces informations sur une application.
“Visualiser la consommation, cela génère un changement de comportement”, sait Grosjean. “Un congélateur usé, qui fuit, et qui tourne sans cesse, à vide en plus… on voit combien il consomme. On peut alors opter pour un plus petit et plus efficace, par exemple.” Avec ce savoir en main, les personnes pouvaient ainsi réduire leur consommation de 12%, minimum, et jusqu’à 30%. En un an, le prix d’achat (200-300 euros) était remboursé.
Des dizaines de milliers de produits vendus dans 95 pays… mais cela ne concernait au final qu’un public de niche, “les pionniers de la smarthome”, qu’il était difficile de dépasser. “Le marché de masse s’en fiche, le prix de l’énergie n’est, malheureusement, pas assez élevé pour induire un changement de comportement massif”, réfléchit le fondateur.
… et borne
Il y a quatre ans, la société est alors passée à l’étape supérieure : installer directement un système intelligent de gestion de l’énergie dans une nouvelle bâtisse, ou le placer lorsque le ménage installe des panneaux solaires ou une borne de recharge, pour les ancienns bâtiments. Surtout que de plus en plus de personnes installent une borne chez elles, notamment avec la voiture électrique. L’occasion pour Smappee de rentrer par la grande porte (de garage), avec ses bornes conçues et fabriquées en Belgique.
“La borne intelligente mesure et optimise la consommation. Par exemple vous mettez votre voiture à charger… Si on est vendredi, le système sait que demain c’est samedi et qu’il fera beau, qu’il y a suffisamment de jus dans la voiture et que le samedi elle n’est généralement pas déplacée : il attend et va la charger le samedi, au prix le moins cher car c’est l’énergie de vos panneaux qui est injectée dans la voiture”, explique Grosjean. Ce serait meilleur pour la stabilité du réseau électrique aussi, car il n’y a pas trop d’afflux d’énergie solaire (ce qui peut déconnecter les panneaux des prosumers).
Le système se veut ainsi le “dirigeant de l’orchestre”, qu’est la maison avec ses appareils connectés. Grosjean donne d’autres exemples. Le lave-vaisselle ou lave-linge, rempli le matin, qui se mettra en route lorsque le prix sera le plus bas et que l’énergie verte sera abondante. Pareil pour le chauffe-eau ou la pompe à chaleur… mais il resterait l’option de les forcer à s’allumer pour qu’ils soient prêts pour l’heure voulue.
Pour Grosjean, deux éléments doivent être garantis par un tel système : cela doit être économiquement plus intéressant, c’est-à-dire moins cher, et le consommateur ne doit pas perdre en confort. Sinon les personnes ne suivront pas.
Transition énergétique
De fil en aiguille se dessine ainsi la vision qu’a Stefan Grosjean de la transition énergétique. En résumé, ce que Smappee applique à la maison (ou dans les entreprises, où la boîte est aussi active), il faudrait le faire à échelle du pays ou du continent. “Il ne faut plus produire de l’énergie en fonction de la consommation, mais consommer en fonction de la disponibilité de l’énergie”, donc augmenter ou baisser la consommation si vent et soleil sont abondants ou pas, de façon intelligente. Ce système, total, serait couplé à des prix dynamiques qui changent d’heure en heure pour précisément encourager les bonnes pratiques et étaler la demande.
Le CEO fait par exemple allusion aux éoliennes, qui sont parfois éteintes le week-end car la demande est trop faible. Il faudrait en profiter pour augmenter la demande à ce moment, et par exemple charger des batteries. Les batteries de grande taille (et non les petites, à domicile, qui ne correspondent pas à la logique de partage du réseau électrique, selon Grosjean) jouent également un rôle dans cette transition. En jonglant avec la demande, en fonction de l’offre, il n’y aurait pas besoin des centrales d’appoint au gaz ou autre, souligne le fondateur. “C’est un non-sens absolu. Pour construire ces centrales, qui tournent aux énergies fossiles et sont très chères, il faut des subsides. On subsidie donc les émissions de gaz à effet se serre…”
Il faudrait donc rediriger cet argent public (celui qui va vers le fossile mais aussi les deniers qui vont dans le nucléaire) dans la transition et les installations d’énergie renouvelable, martèle Grosjean. “Il faut stopper les émissions de CO2, c’est extrêmement urgent”, explique-t-il, non sans émotion dans la voix. “On est comme devant une avalanche. Un flocon de neige de plus et il y a tout qui s’écroule. Les gens disent ‘un ou deux degrés, oui bon, on aura la météo comme en Italie…’, mais ce n’est pas du tout comme cela que ça se passe. Il y aura toutes sortes de réactions… L’humanité serait éradiquée comme déjà pas mal d’animaux ont été déjà été exterminés par le dérèglement climatique. Cela commence à être irréversible : on casse l’avenir de nos enfants…” Une situation qui nous met dos au mur et devrait nous faire réagir au plus vite, espère-t-il.
Voiture électrique
L’électrification du parc automobile est une partie importante de la transition. Smappee n’installe d’ailleurs pas que des bornes à domicile, mais propose aussi des “stations à électrons” dotés de bornes de recharge rapide. Ce mercredi, elle en installe une à Sint-Pieters-Leeuw, à deux pas du ring et de Bruxelles. Elle contient 18 chargeurs rapides, qui remplissent une batterie en très peu de temps. Là aussi, la station – la plus grande de Flandre et la deuxième plus grande de Belgique – est placée sous le signe de la transition verte : le toit du centre commercial en question, le Pajot, est doté de panneaux solaires, et la station sera équipée d’une grande batterie, qui peut alimenter les bornes ou le réseau s’il n’y a pas de soleil.
Stefan Grosjean roule en électrique depuis des années, et veut déconstruire quelques idées reçues sur les véhicules électriques. Pour lui, les VE sont plus rentables sur le long terme, même si le prix unitaire d’achat est plus cher. On peut les charger gratuitement, avec ses propres panneaux solaires, par exemple (au lieu de devoir payer le carburant fossile). Ou il n’y a pas de filtres à air ou de pots d’échappement à changer. A terme, elles devraient aussi devenir moins chères à l’unité, avec l’augmentation du volume de production. Puis les batteries sont quasi entièrement recyclables. Elles peuvent aussi avoir une deuxième vie, dans une grande batterie d’appoint, ou les VE peuvent eux-même servir d’appoint temporaire sur le réseau pour “recharger” les maisons ou entreprises.
La peur de l’autonomie serait un non-sens selon lui : il faudrait simplement apprendre à s’organiser autrement, pour profiter du temps de recharge pour organiser une réunion ou aller manger, sur un long trajet. Les systèmes de navigation commencent aussi à être équipés d’informations, en direct, sur les prix des bornes aux alentours. La plupart des voyages se font d’ailleurs entre le domicile et le travail, où il y aurait encore moins lieu de s’inquiéter.
Banques
Il conclut en passant la balle aux banquiers : si la masse n’a pas accès aux VE, ce serait à eux d’intervenir. Les banques pourraient par exemple proposer des leasings plus longs et moins chers, comme la voiture est plus rentable sur le long terme.
Pour l’accès des jeunes à l’immobilier plus vert et mieux isolé, aux panneaux solaires ou autres, les banques pourraient aussi intervenir, en proposant des prêts plus longs avec des mensuailités plus basses, avec la possibilité de les abréger et de rembourser davantage plus tard, lorsque les jeunes auront un salaire plus élevé. Les maisons mal équipées pourraient rapidement perdre en valeur à l’avenir, ce qui pourrait aussi se répercuter sur le portefeuille des banques.
Il fait aussi référence au concept néerlandais de nul-op-de-meter, où les banques financent des maisons à très basse consommation d’énergie et où les résidents les remboursent avec une somme égale à l’ancien tarif d’énergie. “Pourquoi ne pas transposer ce système à la voiture électrique”, suggère-t-il. Bref, les défis sont énormes, mais les idées existent.
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