Fashion tech: un scanner intelligent en magasin et à domicile… pour diminuer les retours

Cette cabine d’essayage intelligente permet aux consommateurs de connaître leur taille exacte, sans se déshabiller.
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

La start-up belge Treedy’s spécialisée dans la fashion tech souhaite devenir le centre de données morphologiques de la mode. Après les scanners 3D à destination des retailers, l’entreprise vient de lancer une application à destination des consommateurs. Objectif ? Aider l’industrie de la mode à diminuer les retours, mais aussi aborder le problème de la surproduction.

L’industrie de la mode possède une très mauvaise connaissance de la morphologie de ses consommateurs, ce qui est assez paradoxal”, observe David Francotte, CEO de Treedy’s, une start-up belge spécialisée dans la fashion tech. “Il n’existe actuellement aucun outil permettant d’aborder cette problématique à grande échelle.” Cette méconnaissance de la morphologie conduit l’industrie de la mode à toute une série de dérives. Citons par exemple la surproduction de vêtements – de l’ordre de 30% – mais également les taux de retour extrêmement élevés.

Avec l’explosion des achats en ligne, les entreprises doivent aujourd’hui travailler à la gestion des retours toujours plus nombreux. Chaque retour induit une augmentation notable de l’empreinte carbone due aux trajets supplémentaires nécessaires au transport. Parfois, le coût environnemental du retour est supérieur à celui généré par la livraison. C‘est le cas lorsque le vendeur décide de faire transiter la marchandise vers une plateforme tierce pour la vérifier avant de la réintégrer dans le stock. “De nombreux vêtements retournés finissent bien souvent à la déchetterie”, assure David Francotte qui rappelle que l’industrie de la mode est l’une des plus polluantes. Selon l’agence européenne pour l’environnement, elle serait même responsable de 10% des émissions mondiales de CO2, soit plus que l’ensemble des vols et transports maritimes internationaux. “Aujourd’hui, la surproduction est acceptée”, analyse le CEO.

Outre l’aspect environnemental qu’impliquent les retours de livraisons, ces derniers sont également un enjeu économique majeur pour les retailers. En moyenne, 32% des vêtements achetés en ligne sont retournés, ce qui correspond à un coût moyen de 12 dollars par pièce. Selon les chiffres de bpost, les retours de vêtements peuvent même monter jusqu’à 50% sur certains sites. Si pour le client le retour est gratuit, le coût pour l’entreprise peut être très élevé : frais d’expédition, traitement des retours, remise en stock, voire destruction des articles. Pour le secteur, la facture est estimée à 400 milliards d’euros par an. Le problème est tel que Zalando, qui voyait un colis sur deux revenir dans son entrepôt, contacte les cofondateurs de ­Treedy’s, Stephan Sturges et David Francotte, car ils étaient à la recherche d’un scanner 3D afin d’analyser certains des facteurs responsables des retours.

Une cabine intelligente

C’est à ce moment-là que Treedy’s décide de se focaliser sur le secteur de la mode et d’envisager le développement d’une gamme de services répondant aux besoins de l’industrie. Outre Zalando, la technologie séduit les groupes Nike et Amazon qui deviendront alors clients dans le cadre de leurs projets de recherche. “On commercialisait alors du hardware et on avait développé une expertise dans le scan 3D”, poursuit le CEO. “L’outil s’est avéré utile à des fins de recherche pour les marques mais, en l’état, l’expansion dans les espaces commerciaux restait difficile”, ajoute David Francotte. Cependant, celui-ci continue de développer sa solution, convaincu que sa technologie peut répondre aux problèmes que rencontre l’industrie de la mode. “Cela peut aussi révolutionner la stratégie marketing puisque le retailer peut désormais personnaliser les promotions susceptibles de vous intéresser prenant en compte votre morphologie et votre style vestimentaire”, poursuit David ­Francotte.

“L’objectif du scanner est de ­s’assurer que les vêtements ­achetés soient parfaitement 
à la taille du client.”

Grâce à un partenariat avec le département ETRO de la VUB spécialisé en intelligence artificielle, la solution a été améliorée et peut dès lors être commercialisée : non seulement la taille de la cabine intelligente a été diminuée, mais grâce à l’intelligence artificielle les consommateurs ne sont plus obligés de se déshabiller pour connaître leur taille exacte. “Notre algorithme d’intelligence artificielle Nakednet déduit les données morphologiques des utilisateurs sous leurs vêtements”, détaille David Francotte. Nakednet a été formé avec des milliers de formes corporelles différentes et permet à la technologie d’analyser la morphologie humaine sous toutes sortes de vêtements. “Eviter la nudité permet d’éliminer les questions de pudeur et donc favorise l’acceptabilité des consommateurs à grande échelle”, se réjouit le CEO qui assure que cette technologie le différencie de la concurrence.

En quatre secondes, les données liées à la morphologie sont alors disponibles et dans 90% de cas le taux d’erreur du système est de 2%. “La notion de millimètre n’est pas possible lorsqu’on scanne un corps humain qui respire et donc, par essence, qui bouge”, précise le responsable. La cabine d’essayage intelligente est actuellement disponible dans le Decathlon de Wavre et sera très prochainement installée dans celui d’Evere. Le spécialiste du sport, séduit par la technologie, est entré au capital il y a deux ans et possède 9% des parts.

Une application pour les consommateurs

Ça, c’est pour la partie business to business puisque récemment la start-up a décidé de diversifier ses activités et s’est lancée dans le business to consumer avec sa nouvelle application Fitsbest. “L’avantage est que les utilisateurs pourront se scanner depuis chez eux avec tout le confort que cela implique et ainsi acheter des vêtements adaptés à leur morphologie.” Le scan par application fonctionne grâce à trois photos prises cette fois-ci dans des vêtements ajustés tels que des tee-shirts moulants ou legging par exemple. Le scan va alors générer un profil d’utilisateur qui permet de naviguer à travers l’identité des marques. “Il suffit alors de cliquer sur la marque et l’article de son choix, afin de se voir conseiller la taille la plus adaptée à son profil”, précise David Francotte. L’application est entièrement gratuite pour l’utilisateur et est déjà connectée à des marques comme Decathlon et Nike. “On prévoit d’ajouter une nouvelle marque chaque semaine.”

“L’avantage de notre solution c’est qu’elle analyse le ‘body type’ du consommateur.” – David Francotte

La start-up belge affiche ses ambitions : devenir la centrale de données morphologiques pour la mode. “Le problème ne se résume pas à la taille, mais est également lié au fit“, poursuit David Francotte. A savoir qu’un vêtement qui est à la bonne taille ne signifie pas forcément qu’il va bien au consommateur pour toute une série de raisons : une robe longue sur une personne trop petite ou une chemise dont le col tombe mal. “La majorité des retours, à savoir 76% d’entre eux sont liés à des problèmes de taille et de fit“, note le responsable qui précise que les outils qui existent sur le marché s’adressent uniquement à la problématique de la taille. “Notre approche capture l’unicité de chaque consommateur, à savoir sa taille et son morphotype, et a pour avantage d’adresser ces deux facteurs”, ajoute-t-il.

Les corps se présentent sous des formes multiples et variées, selon la silhouette et la composition d’une personne : morphologie en triangle, en rectangle, en V, en sablier… Rien que pour les femmes, il existe neuf grands types de silhouettes différentes. Les marques, elles, misent davantage sur des vêtements adaptés au profil sablier qui est le plus répandu parmi la population féminine. “37% des vêtements sont produits sur ce type de profil, pointe David Francotte. Pour une femme qui possède une morphologie éloignée, c’est donc plus difficile de trouver des vêtements adaptés.” En plus de ces subtilités concernant la morphologie, le responsable pointe également le fait qu’il n’y ait pas d’uniformité entre les marques. “Chacune va avoir son identité en termes de taille et de coupe, mais la réalité c’est que les marques ne savent pas à quoi ressemblent leurs consommateurs.”

Améliorer le fit prolonge naturellement le taux d’utilisation d’un vêtement car l’utilisateur créé un attachement émotionnel à celui-ci. “Si le vêtement nous va bien, on le porte alors plus souvent”, avance David Francotte. “Selon les études, un vêtement traditionnel en fast fashion va être porté entre sept et quinze fois contre 35 à 45 fois pour les vêtements sur mesure”, pointe-t-il. L’approche globale de ­Treedy’s permettra également d’avoir une meilleure connaissance par segment de marché, de renforcer la fidélité à la marque et surtout aux retailers de produire de manière plus adaptée à la morphologie de leurs consommateurs cibles. “Si une marque vous va bien, vous avez tendance à y être plus fidèle.”

Objectif de rentabilité

L’application offre d’autres services. L’utilisateur peut enregistrer ses préférences et naviguer sur le site de nombreux retailers en bénéficiant d’un conseil de taille, mais il peut également avoir une vue sur les promotions actives chez chacun des retailers intégrés dans l’application. A la manière d’un réseau social, le compte peut être lié à d’autres profils “permettant par exemple de ne plus hésiter sur la taille de la personne à qui l’on souhaite offrir un vêtement et de faire plaisir à vos proches en consultant leur wishlist“.

L’objectif pour la start-up est d’arriver à un seuil de rentabilité d’ici fin 2025 grâce au scanner en magasin et aux revenus générés par l’application. “Cela peut se faire soit grâce à une commission perçue lorsqu’une vente est générée ou par une version premium de l’application”, précise-t-il. Treedy’s travaille déjà sur une prochaine version sur laquelle d’autres services seront disponibles. “Il sera possible de définir un système de notification sur des produits de manière à être prévenu directement en cas de promotion et également réaliser un bodyscan plus fréquemment afin de suivre son évolution morphologique”, ajoute le CEO.

Afin de développer sa solution, la start-up a pu compter sur le soutien d’Innoviris qui a permis de financer la recherche et le développement avec la VUB. Aujourd’hui, la start-up est dans une phase de levée de fonds et cherche 500.000 euros afin d’intégrer davantage de marques dans l’application et d’étendre son réseau à l’international.

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