Cowboy: pourquoi certains n’y croient pas
En début de semaine, la scale-up de vélos électriques Cowboy a dévoilé ses chiffres financiers de 2022. Une première. L’entreprise bruxelloise veut jouer la transparence et mettre fin aux nombreuses critiques dont elle est souvent la cible. L’occasion de comprendre, en quatre points, pourquoi elle a tant de détracteurs.
Publier un article sur la scale-up de vélos électriques Cowboy ne passe jamais inaperçu. En Belgique, chaque papier traitant de l’actualité de cette entreprise suscite bien plus de réactions que d’autres articles, tant sur des réseaux sociaux comme LinkedIn que dans la boîte e-mail du journaliste qui le rédige. Et des commentaires plus ou moins sympathiques de lecteurs émergent bien plus souvent que pour d’autres sujets.
Cowboy passionne. Cowboy divise. Cowboy énerve. Que ce soit sur le créneau de la tech, du vélo ou dans le microcosme de la presse: tout le monde a un avis sur la scale-up, son développement ou son produit. Décryptage de ce phénomène, des doutes qu’il inspire et des réactions qu’il suscite.
1. Le vélo lui-même
Il suffit de surfer sur le groupe public Facebook “Cowboy (Belgique francophone)” comptant quelque 1.200 membres pour constater combien le vélo bruxellois suscite à la fois l’adoration et la détestation. De cet internaute qui, de manière peu objective, se plaint d’une crevaison (“vélos de qualité médiocre”) et d’un “déraillement de la courroie” à ceux qui montent au créneau pour défendre la marque à grands renforts d’arguments, le Cowboy divise.
Un investisseur qui connaît le dossier nous glisse: “tout le monde ne s’accorde pas totalement sur la qualité du vélo, pas qu’il soit mauvais, mais des alternatives aussi qualitatives sont nombreuses”. A contrario, ce spécialiste de l’univers vélo avoue “ne pas du tout être surpris que Cowboy ait de véritables fans. C’est un très bon vélo qui est arrivé sur le marché avec une vraie proposition: léger, hyper-design avec une bonne connectivité numérique. Le tout a un prix abordable. Ce n’est probablement pas le seul bon vélo sur le marché mais il faut comparer des produits comparables, de même niveau de gamme et qui s’adressent au même segment. Cowboy se défend vraiment bien sur son créneau”.
En 2017, la promesse de Cowboy était claire: proposer un vélo “sexy” (comprenez hyper-design), doté de fonctionnalités novatrices (connexion à l’application, traqueur, etc.) à destination des jeunes (hommes surtout), plutôt urbains. “Une cible spécifique mais assez limitée”, observe ce spécialiste des deux-roues. Voilà pourquoi, depuis, la scale-up élargit progressivement sa cible.
Cowboy a ainsi commercialisé une version sans barre centrale, avec de nouveaux coloris. Elle a ensuite lancé une nouvelle technologie (adaptive power) améliorant les performances de l’assistance électrique et pouvant potentiellement séduire plus de monde.
Tout récemment, Cowboy a dévoilé le Cruiser, une version moins sportive qui se rapproche plus du “vélo hollandais”. Le défi sera de “séduire ce public plus large alors que le marché devient constamment plus compétitif”, enchaîne ce même spécialiste du vélo.
2. Pertes financières et levées de fonds
Avec la crise, l’heure de l’argent facile est passée. Et le modèle des start-up qui lèvent énormément et “brûlent” beaucoup de cash chaque mois semble avoir aussi du plomb dans l’aile. Les investisseurs qui regardaient les chiffres de croissance demandent désormais des comptes, imposent des plans d’amaigrissement et espèrent qu’on leur parle de rentabilité. On ne s’étonne donc pas que beaucoup voient aujourd’hui d’un œil particulièrement critique l’évolution de Cowboy.
La scale-up a levé, depuis son lancement, quelque 113 millions d’euros… et avoue pas moins de 82 millions d’euros de pertes cumulées (incluant 2022). En posture délicate, elle a récemment sécurisé 13 millions de financements supplémentaires pour tenter de parvenir à la rentabilité d’ici 2024.
“Quand on regarde la progression des résultats depuis 2017, la société n’a jamais été rentable et la situation s’est aggravée au fil des ans. Cowboy a l’habitude de régulièrement solliciter le marché pour renforcer ses capitaux propres. Sur base de tous leurs chiffres publiés, il y a donc fort à parier que la course à l’argent frais va continuer”, analyse Pascal Flisch, business devlopper chez Trends Business Information.
“Ils vivent toutes les difficultés d’une vraie boîte industrielle.”
“Ils vivent toutes les difficultés d’une vraie boîte industrielle, tempère Thibaud Elzière, investisseur de la première heure dans Cowboy qui continue de croire pleinement dans le potentiel de l’entreprise malgré les pertes. Beaucoup sous- estiment totalement ce qu’il faut traverser pour mettre sur pied un produit comme un vélo électrique et le commercialiser. On est plus proche du secteur de l’automobile que du logiciel.”
“Le business model de Cowboy ne propose aucune innovation de rupture.”
Sur LinkedIn, Carl-Alexandre Robyn, spécialiste en valorisation de start-up, ne croit visiblement pas en Cowboy: il a partagé, ces cinq derniers mois, pas moins de huit billets critiques sur la scale-up. Dans un post intitulé Cowboy ne sera jamais une licorne il écrit: “la structure de coûts lourde pousse Cowboy à une fuite en avant perpétuelle pour augmenter le chiffre d’affaires, mais dans le modèle économique actuel, toute croissance des revenus n’engendre qu’une croissance chétive de la marge opérationnelle. Une innovation disruptive procure un avantage distinctif majeur qui finira probablement à terme par compenser les pertes occasionnées par les premiers développements commerciaux. Donc ne pas être rentable aux débuts de l’aventure entrepreneuriale n’est pas rédhibitoire pour les investisseurs, si et seulement si, la société dispose d’un avantage majeur lui permettant dans un avenir proche une bonne liberté de manœuvre sur ses prix de vente, ses marges, sa trésorerie. (Mais) le business model de Cowboy ne propose aucune innovation de rupture. Seulement une innovation de routine sur les vélos électriques.”
Toutefois, dans un exercice de transparence, la scale-up tend à démontrer le contraire: grosse croissance de son chiffre d’affaires sur 2022 qui aurait été multiplié par 2,7 pour passer de 15 à 41 millions d’euros, en doublant le nombre de vélos livrés (19.000 en 2022). En chœur, Mark Vincent, CFO de Cowboy, et Adrien Roose, le CEO, soutiennent aussi l’approche de la “rentabilité” sur le troisième trimestre de l’année et compte l’obtenir sur toute l’année 2024. Ils dévoilent une marge brute de 16% en 2022 et visent 40% en 2024. Et avancent une diminution de 15% des coûts d’exploitation (en réduisant notamment les équipes).
Avec ces chiffres, “nous pouvons montrer que nous sommes capables de contrôler de la croissance et que l’on est en mesure de scaler, tant au niveau des ventes que de la production”. Et de viser la rentabilité dès le troisième trimestre 2023.
3. Modèle de vente et service après-vente
“Ils vendent leurs vélos sur le web mais ils doivent assurer un service après-vente alors qu’ils n’ont pas un réseau de magasins comme les marques traditionnelles qui assurent la vente et le service après-vente ainsi que les entretiens”, se plaignait un lecteur qui nous écrit par e-mail suite à la lecture d’un précédent article sur Cowboy.
A l’origine, Cowboy comptait vendre uniquement en ligne. A cette fin, la scale-up a mis en place un réseau de freelances qui organisent des test-rides et un réseau de freelances pour le service après-vente et les réparations. Un modèle que certains ont regardé d’un œil sceptique, comme cet autre observateur qui a pris la peine de nous écrire: “Cowboy, comme son concurrent VanMoof ou le français Angell, doit dépenser beaucoup d’argent pour créer ou continuer à développer un réseau de maintenance afin d’assurer un service après-vente et des entretiens réguliers de ses vélos et acheminer les pièces de rechange”. Et un observateur avisé de préciser que “pour assurer une bonne expérience utilisateur, Cowboy remplace des vélos, les répare en cas de souci. Génial pour l’utilisateur, mais cela a solidement fait déraper les comptes par rapport au business plan”.
Si la vente directe a suscité pas mal de critiques, paradoxalement, le chemin inverse laissait lui aussi quelques observateurs dubitatifs: “Avec son nouveau canal de distribution (plus de 300 nouveaux partenaires commerciaux dans 60 villes européennes, selon son dernier communiqué de presse), Cowboy ambitionne d’améliorer son approche clients et son chiffre d’affaires, écrivait Carl-Alexandre Robyn. Mais la société n’optimisera pas pour autant son gros problème de cash-flow. Elle engendrera probablement plus de recettes mais n’améliorera pas sa rentabilité pour autant.”
Mais Adrien Roose se défend de cette critique et s’il admet que le système de service après-vente coûte cher, le partenariat avec des distributeurs permettra aussi, en plus de vendre plus de vélos, de diminuer les coûts de son service après-vente onéreux.
4. La mésaventure Take Eat Easy
Les trois fondateurs, Adrien Roose, Karim Slaoui et Tanguy Goretti étaient, avant de lancer Cowboy, à la barre de la start-up bruxelloise de livraison de repas à domicile Take Eat Easy. Il s’agissait de l’une des entreprises en vue de l’écosystème tech belge. Elle faisait notamment face à la concurrence féroce d’un Deliveroo et naviguait sur un marché (lui aussi) hyper “hot” et très capital intensive. La start-up, investie notamment par le groupe allemand Rocket Internet, avait levé 16 millions d’euros… mais n’avait pas réussi un nouveau tour de table, précipitant la firme vers une faillite.
“J’imagine que certains estiment que les fondateurs de Take Eat Easy ont encore une dette, évoque Thibaud Elzière. Au sens propre parce que, dans une faillite, certains ne récupèrent pas leurs créances. Mais aussi au sens figuré parce que certains leur en veulent… de ne pas avoir réussi. Take Eat Easy était un projet prometteur et très excitant. Beaucoup voulaient le voir réussir et leur tiennent rigueur de cet échec.”
Pourtant, comme le rappelle Laurent Hublet, CEO de BeCentral et observateur du secteur tech, “on ne peut pas à la fois dire qu’il faut de la place à l’erreur et directement entrer dans une logique de la faute et fustiger ceux qui font faillite. Ce sont des entrepreneurs qui ont essayé des choses disruptives et qui recommencent un projet ambitieux. Mais en Belgique, on confond souvent ambition et arrogance”. Certains détracteurs, gardant en tête le spectre Take Eat Easy, craignent que l’ambition des patrons de Cowboy mène à une issue semblable à la start-up de livraison de repas et laisse sur le carreau investisseurs, employés et sous-traitants.
“Fondamentalement, rappelle Laurent Hublet, quand il s’agit de start-up, on sait que c’est à risque. Les investisseurs le savent, tout comme les employés et fournisseurs. Les fondateurs ne mentent pas là-dessus. Tout le monde connaît les règles du jeu et doit les accepter. Sinon, on doit cesser de croire dans l’entrepreneuriat.”
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