Singulières “success stories”: ils avaient tout pour ne pas réussir

Marvin Ndiaye - "Pour l’instant, ma priorité reste le groupe belge avec l’objectif de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les cinq à sept ans qui viennent."
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Sur le papier, leur avenir semblait compliqué. Un parcours chaotique, pas de grand diplôme, un destin qui s’acharne… Et pourtant, ils y sont arrivés ! Portraits croisés de sept entrepreneurs, majoritairement issus de la diversité, qui font rimer galère avec succès. Des leçons de vie forcément inspirantes.

Le titre est un brin racoleur, mais il l’assume totalement. Fauché à 18 ans, millionnaire à 23 est le premier livre de Marvin Ndiaye et sans doute pas le dernier. À même pas 28 ans, le jeune entrepreneur publie déjà ses “mémoires” pour encourager d’autres jeunes à oser le succès. “Vous pensez qu’il faut nécessairement avoir 40 ans et une série d’échecs au compteur pour trouver la voie de la réussite ? Eh bien, vous avez tout faux !”, écrit-il d’emblée dans un style enjoué qui tient plus du livre de management que de la biographie à l’eau de rose.

Son histoire, il est vrai, se veut forcément inspirante. Né d’un père sénégalais et d’une mère indienne adoptée par des Belges, Marvin Ndiaye grandit dans la région de Charleroi, au cœur d’un environnement familial tumultueux. Ses parents multiplient les projets professionnels “plus ou moins foireux” et lui, adolescent, rêve d’ouvrir un restaurant. Mais il n’a pas d’argent. Son père, criblé de dettes, décède durant les études du jeune homme à l’école hôtelière de Namur, mais Marvin ne baisse pas les bras pour autant. Il squatte le garage familial, se lance seul dans la préparation de plats équilibrés et fait connaître sa nouvelle activité de traiteur “sain” sur les réseaux sociaux. L’aventure Fresheo naît en 2018 et le succès est fulgurant.

Cinq ans et 500.000 plats préparés plus tard, l’entrepreneur inaugure un atelier de 1.000 m² à Floreffe où officient désormais une petite centaine de collaborateurs. Une success story à 5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023 qui lui a valu, cette année-là, la visite du Premier ministre Alexander De Croo en personne.

“Mes parents m’ont appris le plus important pour un entrepreneur en devenir : ce qu’est vraiment la chute.” – Marvin Ndiaye (Fresheo)

Croissance infernale

Depuis, l’entreprise ou plutôt le groupe de Marvin Ndiaye a encore grandi avec l’acquisition de trois sociétés actives dans le secteur agroalimentaire, mais aussi avec le lancement d’une nouvelle structure, Ultra, spécialisée dans le conseil aux entrepreneurs et l’organisation de séminaires. Fier de sa réussite, avec un chiffre d’affaires cumulé de plus de 10 millions d’euros pour l’ensemble de ses activités en 2024, le businessman vise même les États-Unis où il a lancé, il y a quelques mois, un Fresheo local (sous un autre nom) en collaboration avec un traiteur de Los Angeles.

“Pour l’instant, ma priorité reste le groupe belge avec l’objectif de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les cinq à sept ans qui viennent”, confie Marvin Ndiaye qui n’a pas peur de s’exposer massivement sur les réseaux sociaux, entre ses deux Lamborghini et ses trois Tesla.

“Ce côté show off fait partie de ma réussite et je le revendique complètement, renchérit l’homme d’affaires, car je veux m’adresser aux jeunes avec leurs codes pour leur donner l’envie de réussir. Moi, j’ai grandi au cœur d’une faillite et je travaillais dans les restos à 15 ans pour aider mes parents dont les dettes se sont élevées à plus de 2 millions d’euros. Ils m’ont appris le plus important pour un entrepreneur en devenir : ce qu’est vraiment la chute. Et je leur en suis reconnaissant. Mes voitures, aujourd’hui, ce sont des outils de communication pour dire aux jeunes issus de la diversité et même aux Blancs écorchés vifs qu’ils peuvent, eux aussi, y arriver en travaillant correctement, sans léser personne. C’est ce que je raconte dans mon livre avec ce que j’appelle la méthode Ultra.”

Donuts “made in Borinage”

Ilyass Aoussar – En cinq ans à peine, Dreams Donuts est devenu un véritable phénomène: Belgique, France, Italie, Espagne, île de La Réunion…

Se lancer dans la grande aventure entrepreneuriale sans diplôme universitaire ni soutien financier, avec un nom et une couleur de peau qui peuvent être parfois un frein à l’emploi, c’est aussi le pari réussi d’autres entrepreneurs belges qui ont signé, récemment, de très belles success stories. Parmi eux, le jeune quadragénaire Ilyass Aoussar dont la vie a joliment basculé il y a cinq ans à peine.

Né à Al Hoceïma au Maroc en 1983, le futur patron de la chaîne Dreams Donuts débarque en Belgique avec ses parents à l’âge de neuf mois. Il grandit dans un quartier populaire de Mons, entre un père chauffeur de poids lourd et une mère au foyer. La famille ne roule pas sur l’or – c’est le moins qu’on puisse dire – et le jeune Ilyass décide de se lancer dans la vie active dès la fin de ses secondaires.

Sans aucune expérience, il travaille deux ans comme délégué commercial chez Ladbrokes, puis une dizaine d’années pour l’enseigne The Phone House, période durant laquelle il nourrit l’idée de lancer sa propre entreprise. “C’est un rêve que j’avais depuis longtemps, raconte Ilyass Aoussar, même si je n’avais aucune idée de ce que je pouvais faire. Je voulais juste être mon propre patron pour pouvoir contrôler ma vie et réussir comme aux États-Unis !”

La crise sanitaire sera l’élément déclencheur. À l’époque, l’homme travaille comme gardien de parking pour des sociétés événementielles, mais le covid sonne la fin des festivités. Confronté à ses responsabilités, Ilyass Aoussar décide de passer à l’action et d’ouvrir, à Charleroi, un commerce dédié au donut, ce fameux beignet nord-américain qui lui a tapé dans l’œil lors d’un séjour aux States.

Il en est le premier surpris : le succès est au rendez-vous et l’entrepreneur décide d’enchaîner les ouvertures avec un deuxième point de vente deux mois plus tard, puis un troisième trois mois plus tard… “En l’espace de neuf mois, je me suis retrouvé chef d’entreprise, en réinjectant à chaque fois l’argent gagné dans les nouvelles boutiques, raconte le fondateur de Dreams Donuts. Et puis, j’ai décidé de me développer à l’américaine, en m’inspirant du système des franchises.”

Merci Insta !

En 2021, le jeune entrepreneur compte déjà 12 points de vente et lorgne le marché français tout proche. C’est là que Dreams Donuts passe véritablement la vitesse supérieure, porté par un business model innovant : des donuts personnalisables à l’envi (plus de 1.600 goûts disponibles !) et un environnement très girly, donc forcément “instagrammable” pour sa jeune clientèle. “Les réseaux sociaux, c’est notre moteur !”, se réjouit Ilyass Aoussar.

De fait, chaque ouverture fait l’objet de selfies frénétiques et de longues files d’attente portées par le bouche à oreille précieux de cette étonnante success story. Car en cinq ans à peine, Dreams Donuts est devenu un véritable phénomène : Belgique, France, Italie, Espagne, île de La Réunion… L’enseigne de cet autodidacte, qui a réussi à capter l’air du temps, a bien grandi et il espère inaugurer, dans quelques semaines, son centième point de vente.

“Aujourd’hui, l’entreprise compte 350 collaborateurs directs ou indirects via les franchises et elle produit 40.000 donuts par jour, confie Ilyass Aoussar. Mais nous allons bientôt doubler le rythme de production car nous sommes en train de construire une toute nouvelle usine à Quaregnon, dans le Borinage, qui sera opérationnelle dans les prochaines semaines, si tout va bien. À terme, l’objectif est d’atteindre le nombre de 250 boutiques en Europe et, pourquoi pas, de partir un jour à l’assaut des États-Unis !”

Un rêve américain qui ne semble pas si farfelu que ça : en septembre dernier, Dreams Donuts a été honoré du prix Wallonia Export Start Award par l’Agence wallonne à l’Exportation (Awex), un trophée qui récompense “une entreprise de moins de cinq ans faisant preuve d’innovation et de perspectives internationales”. Le gardien de parking n’en revient toujours pas.

Voyager pour entreprendre

Franchises, Borinage et American Dream sont aussi au menu de cette autre success story ancrée dans le secteur du fast-food. “Je n’étais pas un mauvais élève, j’étais un très mauvais élève !”, sourit Adlane Draou, 34 ans, jeune patron de Mad Vision Group, une entreprise active dans l’horeca à travers les enseignes O’Tacos et Gong cha.

Adlane Draou – En quelques années à peine, le “très mauvais élève” a monté un business qui pèse aujourd’hui 12 millions de chiffre d’affaires annuel.

Exotique, le patronyme de ce Belgo-Algérien porte la trace de son grand-père paternel, venu en Belgique à l’âge de 14 ans, juste après la guerre, pour travailler dans les mines. Son petit-fils Adlane grandit à Mons, dans un milieu modeste, avec des résultats scolaires qui désespèrent ses parents. La décision est donc prise d’envoyer l’adolescent un mois aux États-Unis pour y apprendre l’anglais. “Là-bas, je me suis pris ma première gifle mentale, raconte Adlane Draou. J’ai compris qu’un autre monde existait et que n’importe qui pouvait devenir entrepreneur. Cela a changé ma vie car, dans le Borinage, ce schéma de réussite-là n’est pas vraiment présent.”

De retour au pays, le jeune homme passe son jury central et s’inscrit dans une école de commerce. Il y côtoie des étudiants congolais et se lie d’amitié avec l’un d’entre eux. Deuxième “gifle mentale” : le Borain découvre le Congo lors d’un stage sur place chez le père d’un ami. Il y a fait ensuite ses premiers pas d’entrepreneur dans l’import-export de riz, de pâte de tomates, de bois et, finalement, de voitures. Sur place, il crée sa première société de taxis, avant de revenir finalement en Belgique, attiré par un autre défi : son expert-comptable l’informe qu’un restaurant O’Tacos est à reprendre et que l’affaire pourrait être intéressante.

Adlane Draou ne connaît rien à l’horeca, mais il se lance dans l’aventure avec succès. En trois ans, il ouvre huit restaurants franchisés de la même enseigne, avant de s’intéresser à une autre marque Chick & Cheez qu’il décroche en master franchise.

Toujours plus haut

Depuis, sa propre structure Mad Vision Group s’est concentrée sur une nouvelle aventure dans laquelle il place désormais l’essentiel de son énergie. En 2022, le jeune entrepreneur a en effet négocié la master franchise de Gong cha – une marque de thé premium mondialement connue – pour le Benelux, la France et le Maroc. En trois ans à peine, Adlane Draou a inauguré 27 points de vente (12 en France métropolitaine, 10 en Belgique, trois au Maroc, deux sur l’île Maurice et la Réunion) et il vise l’ouverture d’au moins 10 nouvelles boutiques chaque année.

“Aux États-Unis, j’ai compris qu’un autre monde existait et que n’importe qui pouvait devenir entrepreneur.” – Adlane Draou (mad vision group)

Pour y arriver, l’homme d’affaires a accompli la prouesse de lever deux millions d’euros, même s’il avoue que le financement reste toujours son plus gros défi à l’heure actuelle : “Je véhicule beaucoup d’a priori, constate le patron de Mad Vision Group. Je viens du Borinage et j’évolue dans une industrie qui a mauvaise presse, où les levées de fonds sont plutôt rares. Généralement, les banquiers et les investisseurs préfèrent la tech au fast-food pour libérer leur argent !”

Il n’empêche. En quelques années à peine, le “très mauvais élève” Adlane Draou a monté un business qui pèse aujourd’hui 12 millions de chiffre d’affaires annuel et dont la belle histoire est loin d’être terminée. Son prochain objectif consiste à dépasser le stade de la master franchise pour s’offrir une marque et la faire évoluer comme bon lui semble.

Un cancre doué

Bâtir une marque reconnue en l’espace de quelques années à peine, c’est l’exploit qu’a réussi Hafedh Ben Naceur, fondateur de la chaîne de boulangeries-pâtisseries Le Pain d’Antan. Le mot exploit n’est pas usurpé pour ce fils d’immigrés tunisiens arrivés en Belgique, sans le sou, au milieu des années 1960. “Je n’aurais jamais imaginé ouvrir un jour mon propre commerce car j’ai grandi avec l’idée que j’étais un incapable, lance d’emblée l’âme créative de cette enseigne qui compte aujourd’hui 13 points de vente en Belgique. Je n’ai jamais aimé l’école, j’ai souvent fait l’objet de moqueries durant ma jeunesse, mais j’y suis finalement arrivé.”

Hafedh Ben Naceur (à droite) avec sa sœur et son frère – “Pour réussir, il faut savoir provoquer la chance par le travail et, surtout, parler de ses rêves.”

L’histoire de la famille Ben Naceur est une véritable épopée qui pourrait, à elle seule, s’étendre sur plusieurs pages avec quelques faits d’armes marquants : le père Othman qui quitte sa petite oasis pour rejoindre Tunis en 1958, son ambition de réussir à l’étranger parce qu’il est amoureux, son départ vers la France en bateau, son arrivée rocambolesque à Bruxelles en 1966, ses premiers pas professionnels dans l’entreprise Blanc de Bierges de Jean Delvaux, petit-fils du célèbre peintre… De cette expédition haute en couleur naîtront ensuite trois bébés sur le sol belge qui se retrouveront réunis, bien des années plus tard, au cœur du Pain d’Antan.

Mais c’est à Hafedh, deuxième enfant de la famille Ben Naceur, que revient le mérite d’avoir fondé cette chaîne de boulangeries-pâtisseries, malgré un parcours chaotique, tissé de brimades et de frustrations. Le jeune homme ne fera pas de grandes études (juste trois années de secondaires professionnelles en hôtellerie), mais son réel talent de pâtissier lui vaudra, peu à peu, une reconnaissance parmi ses différents patrons boulangers tout au long des années 1990.

Ce n’est qu’en 2001, à l’âge de 30 ans tout ronds, qu’il ose enfin se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Avec l’aide financière de sa famille et surtout de précieux amis qui croient en lui, il rachète une minuscule boulangerie de 45 m², à Wavre, qui porte déjà à l’époque le nom du Pain d’Antan. “C’était l’enfer, se souvient-il avec émotion. Je ne pouvais pas me permettre d’engager un ouvrier, ni même une vendeuse, donc je bossais 20 heures par jour. J’étais devenu un zombie. J’ai perdu 28 kilos en l’espace de neuf mois. Je pleurais tous les jours.”

Mais Hafedh Ben Naceur s’accroche car les affaires marchent bien.

L’esprit de famille

Après cette période difficile, le jeune indépendant peut enfin engager du personnel et sa boutique prospère. Fort de son succès, il s’offre une deuxième boulangerie en 2005 à Gembloux, suivie d’une troisième, de nouveau à Wavre, un peu plus tard. Mais c’est en 2013 que l’entreprise prend véritablement son envol. Cette année-là, son frère cadet, beaucoup moins turbulent à l’école et titulaire d’un diplôme en sciences économiques à l’UCL, rejoint la saga naissante du Pain d’Antan.

“Je travaillais depuis quelques années chez JP Morgan au Luxembourg et j’ai décidé de quitter un joli poste pour épauler mon frère, raconte Aymen Ben Naceur, aujourd’hui directeur général de l’enseigne. J’avais besoin de sens et ce nouveau défi lié à la nourriture me plaisait. En 10 ans, nous sommes passés de trois à 13 boulangeries-pâtisseries avec ce pari gagnant de toujours garder la qualité artisanale au cœur de nos produits.”

Entretemps, leur sœur aînée Amira a, elle aussi, rejoint l’aventure du Pain d’Antan, qui emploie désormais 150 équivalents temps plein pour un chiffre d’affaires annuel de quelque 17 millions d’euros. Une sacrée réussite pour le “petit apprenti boulanger”, fils d’immigrés tunisiens dont on se moquait volontiers à l’école.

“Je n’ai jamais cru en moi, mais ce qui a changé le cours de ma vie, c’est le regard de certaines personnes, conclut Hafedh Ben Naceur. Pour réussir, il faut savoir provoquer la chance par le travail et, surtout, parler de ses rêves. Car c’est en communiquant et en se révélant bon dans tout ce qu’on fait que l’on finit par attirer l’attention des gens. Un jour, la bonne étoile passe et le rêve se réalise…”

Ayden et le hasard

Cette bonne étoile, la Française Lou Garagnani est venue la chercher en Belgique. En l’espace de cinq ans, elle a réussi à monter un projet audacieux alors que, sur le papier, cette mère célibataire au chômage avait, elle aussi, tout pour ne pas réussir : un burn-out à peine digéré, trois enfants à charge (quatre aujourd’hui) dont un multi-handicapé, pas d’argent de côté et la crise sanitaire qui vient jouer les trouble-fêtes… Le décor est planté !

Lou Garagnani – Forte de son enthousiasme, la jeune femme vient de signer l’exploit de lever 1,6 million d’euros auprès de deux fonds.

Mais Lou Garagnani a une vision et, surtout, une envie : celle d’offrir à son petit Ayden, peu gâté par la vie, une structure d’accueil innovante, ouverte à tous, et qui prend en compte les parents qui, comme elle, sont quelque peu déboussolés par la situation problématique de leur enfant considéré comme “inadapté”.

“Je n’avais jamais été entrepreneure, raconte la jeune femme de 36 ans, mais j’avais cette idée et je me suis accrochée. Comme je n’arrivais déjà pas à nouer les deux bouts et que je ne savais pas par où commencer, j’ai tapé dans Google : ‘Comment se faire accompagner pour son projet ?’ C’est là que j’ai découvert hub.brussels et que les choses se sont mises tout doucement en place.”

L’Agence bruxelloise pour l’entrepreneuriat était alors un ovni pour cette Française arrivée en Belgique au tout début des années 2010. Née à Paris, Lou Garagnani grandit à Montpellier où elle décroche un diplôme à l’École supérieure des Beaux-Arts. Mais elle se cherche et décide de parcourir le monde. Après plusieurs voyages, une amie lui propose de poser momentanément ses valises à Bruxelles. La jeune artiste s’y plaît, mais elle ne trouve aucun débouché professionnel dans son secteur artistique. Pour subvenir à ses besoins, la Montpelliéraine accepte alors un poste de vendeuse chez Zara, un job alimentaire qui va se prolonger, malgré elle.

“J’ai eu un premier enfant, raconte-t-elle, puis mon deuxième garçon en 2016. Ayden était atteint du syndrome polymalformatif et c’est là que tout a basculé.”

Une levée de 1,6 million

Lou Garagnani tente de maintenir une vie normale et reprend le travail chez Zara durant quelques mois. Mais le choc traumatique est bien présent et le burn-out surgit en 2017, année où la jeune mère tombe enceinte de son troisième enfant. Le destin s’acharne, les parents d’Ayden se séparent et la Française se retrouve seule, au chômage et sans perspective d’avenir. “C’était très dur, d’autant plus que j’étais confrontée à la problématique du manque de structures d’accompagnement pour mon fils multi-handicapé, enchaîne Lou Garagnani. Mais cela m’a donné une espèce de force et de rage. Je me suis dit : ce que je n’arrive pas à trouver, je vais le créer !”

“Je me suis dit : ce que je n’arrive pas à trouver, je vais le créer !” – Lou Garagnani (Le Monde d’Ayden)

Avec l’aide de l’agence hub.brussels et de la coopérative de finance éthique Crédal, l’entrepreneuse en herbe peaufine son projet et boucle laborieusement son business plan… juste avant que ne surgisse le covid ! Le stress monte encore d’un cran, mais malgré le coup de théâtre sanitaire, la Française réussit son pari d’ouvrir, fin 2020, Le Monde d’Ayden à Uccle, “premier lieu de loisirs récréatifs et ludo-éducatifs adapté pour répondre aux besoins spécifiques liés au handicap pour les enfants de 0 à 12 ans”.

Le succès est immédiat et, depuis, Lou Garagnani a ouvert un deuxième Monde d’Ayden à Nivelles et un “café poussette inclusif” dans la capitale, des espaces dont elle assure elle-même l’aménagement et la décoration, vu sa formation artistique. Mais son projet entrepreneurial à vocation sociale ne s’arrête pas là. Forte de son enthousiasme, la jeune femme vient de signer l’exploit de lever 1,6 million d’euros auprès du fonds d’investissement Phitrust et du Fonds de Soutien Marguerite-Marie Delacroix. Objectif : ouvrir trois nouvelles antennes du Monde d’Ayden en Belgique d’ici un an. Et pourquoi pas, un jour, faire de même à Montpellier…

Changer les mentalités

Samir Sheikh – “J’ai eu l’idée de répondre à un besoin croissant de repas rapides, mais avec la dimension ‘restaurant’ et ‘saveurs d’ailleurs’.”

Croire en ses rêves, aller à contre-courant, s’accrocher et persévérer… Voilà ce qui a aussi animé Samir Sheikh, fondateur et CEO de Food Impact, une entreprise spécialisée dans la commercialisation de plats préparés ethniques. Fondée il y a 30 ans, cette société affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros et emploie quelque 150 collaborateurs directs ou indirects. Elle s’articule autour de deux marques : Isali (B to C), disponible en grandes surfaces et Delasia (B to B), destinée au marché des traiteurs.

La réussite de cette entreprise belge qui couvre le Benelux, la France et l’Allemagne est admirable et pourtant, rien n’était gagné. Né au Pakistan, Samir Sheikh y a grandi en internat jusqu’à l’âge de 16 ans, alors que ses parents tentaient l’aventure commerciale en Belgique dans l’import-export de tapis d’Orient. Au début des années 1980, le jeune homme atterrit à son tour à Bruxelles pour y poursuivre ses études, mais contre toute attente, il choisit une autre option professionnelle que la voie textile tracée par ses parents.

“J’ai eu l’idée de répondre à un besoin croissant de repas rapides, mais avec la dimension ‘restaurant’ et ‘saveurs d’ailleurs’, raconte Samir Sheikh. C’était extrêmement ambitieux parce que, à l’époque, les plats préparés étaient plutôt mal vus. Il était de bon ton de cuisiner chez soi, et donc le défi de produire et de commercialiser des plats chinois, indiens ou thaïs n’était pas gagné d’avance car, en plus, aucun Belge ne savait ce qu’était le poulet tikka masala !”

Nous sommes en 1993 et le jeune entrepreneur se lance, avec son frère, dans l’aventure Food Impact. Déterminé, il convainc les traiteurs et au final les consommateurs, porté par un business model audacieux et une philosophie qu’il résume en deux mots : qualité et authenticité. Petit à petit, son champ d’action s’agrandit et la cuisine exotique s’installe dans les mœurs domestiques.

“Je pense que nous avons modestement aidé à changer les mentalités, affirme Samir Sheikh. Notre groupe a été vecteur de cette évolution au niveau culinaire car nous avons non seulement démocratisé les plats préparés haut de gamme avec la marque Isali, mais nous avons aussi développé des concepts innovants d’un point de vue marketing. À titre d’exemple, c’est moi qui ai lancé, sur le marché belge, le Nouvel An chinois qui, auparavant, n’existait pas commercialement parlant !”

Pari réussi : aujourd’hui, Food Impact produit chaque jour plusieurs dizaines de milliers de plats préparés ethniques.

“Je pense que nous avons modestement aidé à changer les mentalités .” – Samir Sheikh (food impact)

Un réfugié aux fourneaux

Mais l’arrivée dans un pays lointain, en l’occurrence la Belgique, est parfois beaucoup plus problématique. Réfugié syrien, Georges Bagdhi Sar a découvert Bruxelles à l’âge de 11 ans, en passant d’abord par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides. De son pays natal, il garde quelques images nostalgiques d’une enfance paisible où il accompagnait volontiers son père, agriculteur et éleveur prospère, dans la transhumance des quelque 10.000 moutons du cheptel familial.

Georges Bagdhi Sar – Son entreprise s’est transformée en une jolie success story avec une douzaine d’adresses moyen-orientales.

La deuxième partie de son enfance sera beaucoup moins féérique. Contrainte à l’exil, la famille Bagdhi Sar débarque en Belgique à la charnière des années 2000. Ni les parents ni les enfants ne parlent le français et c’est une nouvelle vie beaucoup plus austère qui se dessine alors pour le jeune Georges, déraciné de sa Syrie natale. Mais le garçon s’accroche et maîtrise, en un an et demi, la langue de Voltaire, pimentée d’un zeste d’accent bruxellois. Jeune adolescent, il consacre son temps libre à aider sa mère qui travaille dans un restaurant libanais et prend goût, peu à peu, aux vertus de la cuisine.

Georges Bagdhi Sar a visiblement du talent et ses parents se serrent la ceinture pour lui payer l’école hôtelière de Namur. Choix judicieux : le jeune homme boucle son cycle d’études en trois ans au lieu de quatre et multiplie les expériences culinaires de prestige : un stage au restaurant Comme chez soi dans la capitale (à l’époque trois étoiles au Michelin), un autre au Château de Namur, un contrat dans une brasserie réputée tout près de Saint-Tropez…

Le destin lui sourit, mais pas pour longtemps.

Le déclic My Tannour

À 23 ans, le jeune chef ouvre une sandwicherie à Bruxelles, puis un premier restaurant deux ans plus tard baptisé C’Chicounou, avant d’oser l’inauguration de trois établissements avec un nouvel associé en qui il a entièrement confiance. “Aujourd’hui, je le regrette car je me suis fait arnaquer, confie Georges Bagdhi Sar. La société a été déclarée en faillite et comme j’étais caution solidaire, je me suis retrouvé avec une dette de 300.000 euros. Je me suis senti trahi et je l’ai très mal vécu. Alors, à ce moment-là, on a que deux choix : soit on coule, soit on remonte à la surface. Moi, j’ai rebondi et j’ai ouvert mon premier My Tannour.”

Dédié à la street food syrienne avec du pain fait maison cuit dans un four en argile, ce nouveau concept cartonne rapidement dans la capitale. La foule s’y presse et, moins d’un an après son ouverture, le petit resto exotique reçoit le prix Pop du guide Gault&Millau 2019 pour la Région bruxelloise. Georges décide alors de multiplier les My Tannour, tout en poursuivant l’ouverture d’autres établissements plus cossus qui privilégient les saveurs de sa région natale.

Aujourd’hui, son entreprise s’est transformée en une jolie success story avec une douzaine d’adresses moyen-orientales : six restaurants divers et variés (Kamoun, Sehra, etc.) et six enseignes My Tannour, avant l’inauguration d’une septième à Gand dans quelques semaines et l’ouverture espérée d’un premier comptoir syrien à Paris, un jour peut-être…

“C’est peut-être ça, le secret de la réussite: travailler, ne jamais baisser les bras et être prêt à faire beaucoup de sacrifices.” – Georges Bagdhi Sar (My Tannour)

“Malgré les épreuves, j’ai toujours eu l’ambition de faire quelque chose de ma vie, conclut l’ancien réfugié devenu chef à succès. J’ai toujours cru en moi et c’est peut-être ça le secret de la réussite : travailler, ne jamais baisser les bras et être prêt à faire des sacrifices. Beaucoup de sacrifices.”

Une phrase qui aurait pu être prononcée par l’ensemble de ces entrepreneurs qui avaient tout pour ne pas réussir et qui y sont parvenus, malgré tout.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content