Rush sur les voyages: un vrai redémarrage pour le secteur du tourisme ?
La guerre en Ukraine et l’inflation galopante n’ont guère freiné la demande pour les voyages. Le secteur ose enfin rêver, sans le dire tout haut, d’un retour à une situation enfin viable.
Les Belges recommencent à voyager. Sans attendre l’été. Serait-ce le vrai redémarrage tant attendu? “Depuis la mi-janvier, les réservations se multiplient, c’est la reprise”, relève Florence Bruyère, porte-parole de TUI, le premier voyagiste du pays, filiale de TUI Group qui dispose de sa propre flotte d’avions avec la compagnie TUI fly. “Nous percevons un mouvement de rattrapage, ajoute-t-elle. La fréquentation pour Pâques est revenue au niveau de 2019. Les chiffres sont très encourageants. Chaque jour, nous avons plus de réservations que pour les mêmes périodes en 2019.”
Les destinations favorites pour Pâques sont, dans l’ordre: l’Espagne, qui représente la moitié des voyages, l’Egypte, la Turquie et ses hôtels tout compris, le Cap-Vert et la République dominicaine.
Un été plein d’espoir
Pour l’été, l’espoir est d’arriver aux mêmes chiffres qu’avant le covid, mais il faudra encore attendre pour le savoir. TUI fly a mis en service la totalité de sa flotte de 40 avions. La compagnie transporte les voyageurs pour des séjours à forfait mais vend aussi des tickets “secs”, sans logement, en concurrence avec Ryanair ou Brussels Airlines.
La guerre en Ukraine et l’inflation galopante ne semblent pas affecter l’appétit des voyageurs. Brussels Airlines observe la même situation. “Nous ne voyons pas vraiment d’impact sur les réservations”, indique Kim Daenen, porte-parole de la compagnie, qui parle d’un retour à 80% de l’offre en été. La remontée de la demande est plus forte pour TUI que pour Brussels Airlines car la première ne dépend guère de la clientèle d’affaires, contrairement à la filiale du groupe Lufthansa.
Nous percevons un mouvement de rattrapage.”
Florence Bruyère (TUI)
“La clientèle business revient mais pas encore au même niveau qu’avant la pandémie”, note Kim Daenen. Le conflit ne pèse pas sur le réseau car Brussels Airlines ne dessert ni Moscou ni l’Ukraine. “Nous allions à Moscou pour la saison d’été. Il était prévu d’y retourner en avril, nous ne l’avons évidemment pas fait.” Brussels Airlines espère revenir à l’équilibre financier cette année. La compagnie recrute 288 personnes. Son effectif actuel est de 3.100 personnes, contre 4.200 avant le covid, après restructuration. La flotte devrait compter cet été 41 avions, dont deux avions moyens-courriers qui s’ajoutent cet été, contre 49 avant le covid.
Thalys et Flixbus en hausse
La reprise est aussi perceptible dans les trains internationaux. Thalys a augmenté son offre de 75% du plan de transport 2019 à plus de 90% depuis avril, soit 17 trains quotidiens Bruxelles-Paris et 14 Paris-Amsterdam. Même chose pour les autocars internationaux. “Nous avons ouvert pour Pâques 90% de l’offre qui était proposée en 2019 pour le Benelux”, relève Charles Billiard, porte-parole de Flixbus pour les marchés du Benelux et de la France. “Nos indicateurs sont au vert. Nous espérons avoir le premier été ‘normal’.”
Personne n’ose pour autant crier victoire car la guerre en Ukraine et l’inflation des prix qui en résulte ajoute de l’incertitude à celle de l’évolution du covid. D’une certaine manière, le conflit a sans doute fait oublier la pandémie, toujours présente à bas bruit. La fin des restrictions sanitaires, des quarantaines et des tests obligatoires à l’arrivée dans de nombreux pays tire la demande.
“Il ne faut pas oublier que la Turquie a été fermée pendant deux ans“, note Pierre Fivet, de l’ABTO (association des voyagistes de Belgique). Elle a rouvert ses portes aux vaccinés ou porteurs d’un test négatif d’autant plus largement que la clientèle russe pourrait ne plus guère s’y rendre ces prochains mois. Dans l’étude-sondage menée régulièrement par l’ABTO à l’occasion du Salon des vacances, le niveau des intentions de voyage est quasiment revenu au niveau pré-covid: 80% des personnes interrogées disent vouloir partir dans les 12 mois (contre 82% en 2019).
La fin des restrictions
En Europe et dans les pays très demandés, beaucoup de destinations de vacances ont abandonné les restrictions covid. Comme le Maroc, même si ce dernier demande toujours un test PCR de moins de 48 h et un certificat de vaccination. “L’an passé à Pâques, c’était bien plus compliqué. Les voyages non essentiels étaient interdits”, rappelle Florence Bruyère (TUI). Certaines destinations lointaines sont à présent accessibles avec peu de restrictions, comme le Mexique ou la République dominicaine, qui figuraient dans le top 5 des destinations les plus demandées de TUI pour le congé du carnaval. L’Asie reste toutefois moins accessible pour le moment.
Ce qui plaît actuellement aux dirigeants des voyagistes et des transporteurs, c’est que les réservations à long terme sont plus nombreuses. En 2020 et 2021, les voyages se décidaient à la dernière minute, au gré des mesures sanitaires et des restrictions de voyage. Si la demande continue de grimper, il pourrait même être question de pénurie. “Tous les hôtels ne sont pas rouverts complètement“, avance Florence Bruyère. Et les loueurs de voitures, qui ont liquidé leurs flottes au plus fort de la pandémie, ne sont pas revenus à l’offre de 2019. Les tarifs last minute pourraient se révéler beaucoup plus élevés.
Le prix du kérosène fâche
La question à un euro est la pérennité de ce retour massif de la demande, vu la hausse importante des coûts de l’énergie et les effets incertains de la guerre en Ukraine. Le kérosène représente 25% à 40% des coûts d’une compagnie aérienne. La hausse qui frappe le pétrole pourrait se répercuter sur le prix des tickets. Ce n’est pas trop le cas pour le moment. “Nous avons garanti le prix du kérosène par le hedging (stratégie de couverture via des outils finananciers, Ndlr)“, indique Kim Daenen, chez Brussels Airlines. Même chose pour Ryanair et d’autres compagnies. Air France a légèrement augmenté ses tarifs. L’impact ne sera vraiment perceptible que si les cours du pétrole restent élevés sur de nombreux mois, au-delà des périodes de hedging.
La dernière note économique de l’Iata (association internationale des compagnies aériennes) publiée le 6 avril souffle le chaud et le froid. “Le lien entre l’inflation et la demande de voyages aériens n’est pas directement établi. Une haute inflation n’entraîne pas forcément des tarifs élevés – du moins pas immédiatement – et des tarifs élevés peuvent ne pas affecter significativement la demande lors des périodes de reprise et quand il y a une forte volonté de voyager, indique de manière optimiste le document qui relève par ailleurs que “l’épargne élevée accumulée dans les économies avancées en 2020 et 2021” pourrait contribuer à maintenir une forte demande.
Le document refroidit toutefois le lecteur en pointant que l’indice de confiance des consommateurs a chuté depuis la mi-2021 et qu’une “confiance plus basse signifie que les consommateurs pourraient réduire les grandes dépenses, comme les voyages en avion”.
Des assurances qui rassurent
Pour rassurer les voyageurs, il existe plusieurs recettes. Pour éviter de devoir facturer des surcharges de carburant aux clients qui achètent des voyages à forfait, TUI propose une sorte d’assurance, Fuel Protection Program, disponible sur la plupart des destinations.
Les rebonds de la crise du covid ont aussi poussé les compagnies à se montrer plus flexibles ou imaginatives pour faciliter les annulations par les clients, par exemple si la pandémie reprenait vigueur. TUI accepte sans frais les reports ou les changements de destination des voyages à forfait, jusqu’à 28 jours avant le départ (sept jours, moyennant une prime de minimum 20 euros). Les compagnies aériennes se montrent un peu plus flexibles. Brussels Airlines accepte de modifier gratuitement les dates pour toutes les catégories de tickets, sauf pour economy light, où il y a un supplément à payer.
Une nouvelle taxe
Depuis début avril, le gouvernement fédéral impose une taxe d’embarquement pour tous les vols partant de Belgique. Elle va de 2 euros pour les voyages européens au-dessus de 500 km à 10 euros pour les vols de moins de 500 km, qu’elle est supposée dissuader pour des raisons environnementales. Sa mise en place hâtive bouscule les compagnies. “Nous ne pouvons récupérer la taxe sur les vols réservés et payés avant avril”, regrette Kim Daenen, chez Brussels Airlines. Pour ces destinations, la compagnie devra payer elle-même la taxe. Les modalités ont été annoncées le 24 mars pour application une semaine plus tard, ce qui est insuffisant. Le prélèvement servira surtout à financer un mini tax-shift afin de réduire la cotisation spéciale de sécurité sociale. Elle exclut les passagers en transit. D’autres pays sont plus durs: les Pays-Bas envisagent de tripler bientôt la taxe d’embarquement déjà existante, qui s’élève à 7,45 euros ; les aéroports de Schiphol et de Heathrow augmentent fortement leurs redevances, alors que ceux de Belgique restent sages.
Ceux qui s’en tirent le mieux
Ceux qui s’en sortent le mieux sont sans doute les grandes plateformes comme Airbnb ou Booking, qui ne supportent pas le poids des actifs qu’elles proposent à leurs clients. Elles ne possèdent ni hôtels ni logements, n’ont pas la charge des dettes associées, mais profitent de l’appétit grandissant pour les achats numériques. Booking a même pu afficher une rentabilité au plus fort de la crise covid, sur l’exercice 2020. Airbnb, qui est plus récent, a enregistré des pertes pendant la crise mais a battu son record de bénéfice net au troisième trimestre 2021, avec 768 millions d’euros. La plateforme est poussée par l’appétit des clients pour la location de logements à usage mixte, à la fois pour des vacances et du télétravail.
Si de nombreux pays ont réduit les contraintes d’accès covid, il reste conseillé de vérifier les dernières conditions sur le site du SPF Affaires étrangères: www.diplomatie.belgium.be
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