Marché du travail 2024: vers la grande démission?

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Trois études sorties dans les dernières semaines de 2023 convergent pour donner une image assez précise de l’état d’esprit de l’employé belge en 2024. Le salaire et la flexibilité demeurent des éléments très importants mais ce qui frappe, c’est le désir, plus que majoritaire, de changer d’air cette année.

Il y a 15 jours, nous évoquions, dans ces colonnes, le rapport des jeunes générations au travail (lire le “Trends-Tendances” du 11 janvier). Ils manifestaient, en ces temps économiques troublés, le besoin de stabilité financière à court et moyen terme sans renier leurs valeurs ni leurs aspirations en termes de protection de l’environnement, d’impact sociétal et de sens à leur contribution à l’entreprise. L’étude du consultant Deloitte évoquait aussi les raisons qui poussaient ces jeunes à quitter ou choisir un employeur.

Nous y revoilà aujourd’hui mais sur l’ensemble des tranches d’âge au travail en Belgique. Trois études menées par trois prestataires RH différents (Acerta, Robert Half et Robert Walters) donnent une image assez précise des aspirations des travailleurs belges au début de cette nouvelle année.

Plus de départs que d’arrivées

Au tout début du mois de décembre, Acerta a sorti une étude qui aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Se basant sur les données de 200.000 travailleurs, employés ou ouvriers occupés auprès de 20.000 employeurs, le prestataire de services RH a observé que pour la première fois depuis cinq ans, le nombre de contrats en CDI résiliés a dépassé le nombre de contrats en CDI signés en 2023. Les départs ont donc dépassé les arrivées, plombées il est vrai par un marché de l’emploi tendu et par la pénurie de main-d’œuvre. Mais pour ne pas se méprendre, signalons que la majorité de ces départs ont eu lieu à l’initiative du travailleur (38 %) devant le commun accord (34,4 %), toujours un peu fourre-tout en termes de justification, et le licenciement (17,4 %). La même étude indique qu’en 2023, un jeune de 20 à 25 ans sur cinq a quitté son employeur (21,3 %) ! Le pourcentage reste élevé sur les deux tranches suivantes : 17,2 % pour les 25-30 et 13,1 % pour les 30-35.

Cette tendance au départ va s’amplifier cette année. Dans le cadre de son enquête salariale annuelle, Robert Walters, le cabinet de recrutement international, le confirme allègrement. L’édition 2024 de cette enquête révèle que 59 % des professionnels belges ont l’intention de changer d’emploi cette année, et 44 % veulent le faire dès le premier trimestre ! C’est énorme. Et à l’en croire, cela signifiera qu’avec retard, la Belgique va connaître cette année sa période de grande démission que d’autres pays ont connue dès la sortie de la pandémie.

Cet effet retard trouve sans doute sa source dans notre indexation automatique des salaires. La forte augmentation afférente intervenue l’an dernier, parfois à des moments différents suivant les commissions paritaires, n’incitait pas, en effet, à faire le grand saut. Les choses s’étant calmées, ce n’est plus le cas cette année.

Changer d’air

Robert Walters passe en revue les motivations qui animent les candidats au départ : faire évoluer sa carrière et relever un nouveau défi (33 %), besoin simplement de changer d’air et de découvrir de nouvelles perspectives (22 %), recherche d’un leadership et d’une culture d’entreprise plus en phase avec leurs valeurs (14 %), etc.

Il y a aussi clairement, et cela ressort de toutes les enquêtes, une espèce d’opportunisme chez les candidats au départ. Un phénomène déjà à l’œuvre depuis la fin de la pandémie. Vu la pénurie de main-d’œuvre et la guerre des talents que se livrent les entreprises sur certains profils, les tentations de départ sont beaucoup plus nombreuses qu’avant. Robert Walters parle d’un quart des employés activement en recherche au moment de la réalisation de l’enquête ! Vu la conjoncture du marché de l’emploi, et le quasi plein-emploi en Flandre, les candidats sont en position de force par rapport aux recruteurs et ont l’embarras du choix pour trouver l’employeur qui coche toutes leurs cases : valeurs, impact sociétal, flexibilité et télétravail, évolution de carrière, management humain, etc.

Comme le soulignait, en décembre, Benoit Caufriez, directeur d’Acerta Consult, ” il est plus que jamais important que les entreprises investissent suffisamment dans une politique de rétention solide axée sur le bien-être, le sens, les possibilités de carrière, la formation et le reskilling (acquisition de compétences différentes au cours de la carrière, Ndlr). Une politique de rétention réussie se concentre sur les facteurs de motivation intrinsèques, qui garantissent que les travailleurs, et les jeunes principalement dans notre enquête, disposent également d’une autonomie suffisante, se sentent liés à l’entreprise et peuvent apprendre sur le terrain. Les motivations extrinsèques, telles que la rémunération, doivent bien entendu être conformes au marché”.

Il est plus que jamais important que les entreprises investissent suffisamment dans une politique de rétention solide.” – Benoit Caufriez (Acerta Consult)

Dans le même ordre d’idées, dans son Guide des Salaires 2024, Robert Half, la première agence de recrutement spécialisée au monde, évo­que des entreprises plutôt ou très préoccupées par la rétention des collaborateurs (84 %) et le recrutement (82 %). Dans le premier cas, elles évoquent des soucis au niveau de la charge de travail accrue, du débauchage par des concurrents, de taux de burn-out élevé et d’une rémunération faible par rapport au secteur. Dans le deuxième cas, il est question à nouveau de cette faible rémunération mais aussi du manque de flexibilité et d’avantages extralégaux compétitifs et d’un faible équilibre vie privée-vie professionnelle.

Et le salaire ?

L’ensemble des travailleurs belges sont-ils en 2024 aussi sensibles que les jeunes à la question du salaire ? Robert Half répond oui et cela correspond bien à la préoccupation des entreprises: 59 % des employés inter­rogés indiquent effectivement qu’un salaire insuffisant demeure la principale raison de refus d’un emploi lorsque plusieurs offres sont sur la table. Mais Robert Walters le confirme, la progression salariale n’est plus le facteur déterminant. Un package complet est très apprécié par les salariés belges : salaire compétitif par rapport au marché, travail à domicile, développement personnel, congés supplémentaires, etc. Dans une année où augmenter les salaires n’est pas toujours possible sur un plan économique, Joël Poilvache, regional managing director chez Robert Half, parle de la nécessité “d’une écoute individuelle. Il n’existe pas de package universel qui conviendrait à tout le monde. Il est donc crucial que les attentes de l’un et de l’autre soient alignées. Ce n’est pas toujours évident et peut engendrer le mécontentement de l’employé et la frustration de l’employeur”.

Ce non-alignement sur une question aussi cruciale que le package salarial, vu la complexité économique et la guerre des talents, est un casse-tête pour les entreprises et une autre raison qui pousse les salariés à changer d’air.

59% – Part des professionnels belges qui ont l’intention de changer 
d’emploi 
cette année, d’après le cabinet Robert Walters.

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