Les nuages noirs des RH: l’incertitude géopolitique perturbe les intentions des entreprises
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Comme chaque année, à l’occasion du Forum de Davos, Manpower prédit, avec l’aide de ses milliers de clients, les grandes tendances RH de l’année. En 2025, l’incertitude géopolitique joue les trouble-fêtes et impacte fortement les intentions des entreprises. Où se situe la Belgique dans ces tendances mondiales ?
Depuis plus de 10 ans, Manpower profite du Forum de Davos pour présenter ses Global Workforce Trends. Le groupe américain coté en Bourse et présent dans le monde entier analyse, avec ses milliers de clients, les forces, parfois souterraines, qui impactent le futur des RH et du travail. Pour 2025, 16 tendances ont été dégagées. Cela va du besoin de grandir de la génération Z à l’impact des cyberattaques en passant par la transition écologique et la nécessité d’innover pour continuer à exister. À côté de ces éléments plus classiques, voyons à quel niveau se situe la Belgique dans un certain nombre de points plus critiques des RH.
Diversité
C’est évidemment le sujet brûlant du moment puisque cette diversité est devenue la nouvelle obsession de Donald Trump. L’étude de Manpower indique que, malgré tout, 61% des entreprises ont inclus les matières DEI (diversité, équité et inclusion) dans leur stratégie RH. Il n’empêche, suite à l’élection du milliardaire, un nombre certain d’entreprises américaines actives au niveau mondial ont supprimé ces programmes : Google, Meta, McDonald’s, Ford, etc.
“En tant que groupe américain coté en Bourse et dont certains actionnaires sont des grands fonds tout aussi américains, nous nous sommes évidemment posé la question, confie Sébastien Delfosse, managing director Manpower Belgium & Luxembourg. Le conseil d’administration a décidé de ne pas céder à la pression et de ne rien changer. Pour deux raisons. D’une part, c’est la bonne voie à suivre. D’autre part, en tant qu’acteur actif sur les talents, il est impossible d’ignorer la diversité. C’est un levier stratégique important pour recruter dans un contexte de pénurie. Il est possible que l’attitude de Trump ait un impact en Belgique. Tout va dépendre de l’attitude des grands groupes américains présents chez nous.”
Maintenir les seniors sur le marché du travail
En termes de diversité, la Belgique, pour faire monter son taux d’emploi, doit maintenir ses seniors sur le marché du travail. Ces derniers mois, on sent un frémissement avec des recrutements beaucoup plus fréquents de travailleurs de 55 ans et plus. Il faut dire qu’avec la pension à 67 ans, un travailleur âgé aujourd’hui de 55 ans dispose encore de 12 années de carrière.
“Quand j’ai débuté dans ce métier, c’était il y a un peu plus de 20 ans, poursuit Sébastien Delfosse. On parlait de rendre l’outplacement obligatoire pour les travailleurs âgés, soit les plus de 45 ans ! Les choses ont bien évolué ! Aujourd’hui, la pénurie de main-d’œuvre et de talents, ainsi qu’une prise de conscience plus générale de certaines entreprises sur la diversité liée à l’âge, font que les 55 ans et plus ont une probabilité plus grande de trouver du travail ou d’en changer. Il y a moins de freins. Ce n’est pas le cas partout. Des préjugés, entre autres sur les salaires forcément élevés, demeurent. La perception n’a pas toujours évolué dans le bon sens. Pourtant, de nombreux services RH ont revu leur stratégie d’acquisition de talents. Ce changement est aussi lié à la frustration de voir les jeunes quitter l’entreprise au bout de deux ou trois ans. Et ce afin de faire évoluer plus vite leur carrière ou pour prendre une pause- carrière d’un an pour voyager. Pour certains DRH, un senior de 55 ans offre plus de stabilité même s’il coûte plus cher.”
Le “middle management” sous pression
Le rapport de Manpower met l’accent sur la pression rencontrée par les milléniaux (nés entre 1981 et 1996) qui occupent des postes de middle management. 53% évoquent du stress quotidien et 27% pensent quitter leur job dans les six mois. Manpower parle de managers coincés entre les exigences de la hiérarchie et le besoin de répondre aux aspirations des membres de leur équipe. S’y ajoutent la gestion des enfants et de parents vieillissants, de même que la nécessité de trouver du temps pour s’occuper de soi-même. Ce constat posé par Manpower rejoint d’autres études qui parlent, récemment, du manque d’appétence des jeunes pour les postes de manager.
“En réalité, ce manque d’appétence n’est pas un phénomène nouveau, souligne Sébastien Delfosse. On en parle depuis 10 ans. C’est la question de l’équilibre vie privée-vie professionnelle, mais aussi la tendance à la spécialisation de certains rôles. Certains profils d’expert sont tout autant valorisés, entre autres financièrement, que des managers d’équipe.”
Dans notre article sur les souffrances professionnelles, il était question de la forte prévalence de troubles psychiques chez ces managers du milieu. “Cette pression du middle management n’est pas liée à l’âge, poursuit Sébastien Delfosse. C’est un phénomène généralisé. Ces managers ont vu la complexité de leur job grimper en flèche entre l’accélération des changements et les objectifs fixés par la direction et les demandes, exprimées plus fortement qu’avant, de leurs équipes. Cette couche du milieu est soumise à forte pression depuis la pandémie. Chez Manpower, j’ai deux directeurs d’agence qui démissionnent pour cette raison. Ce sujet est un enjeu massif pour les entreprises belges.”
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L’écart salarial
Dans son rapport, Manpower évoque un écart salarial mondial de 20% entre les hommes et les femmes. La moitié des entreprises ne parviennent pas à combler cet écart ou n’ont pas de plan pour le faire.
La Belgique est mieux lotie puisque selon les derniers chiffres Statbel sur l’année 2022, l’écart ne serait que de 5% (quatrième place européenne). Ce n’est pas une raison pour s’endormir sur nos lauriers…
La pression de la productivité
Selon Manpower, 49% des travailleurs du monde entier ressentent un stress modéré ou fort chaque jour. Seulement 21% pensent que leur employeur se soucie de leur bien-être mental. Selon diverses études récentes, la Belgique n’est pas mieux lotie.
“C’est un point qui m’inquiète beaucoup, confie Sébastien Delfosse. Cette demande de productivité ne va pas s’estomper, au contraire. Trois éléments jouent chez nous. D’une part, l’indexation automatique, qui a engendré une forte augmentation des salaires ces quatre dernières années, présente un effet pervers sur la productivité. Pour de nombreux employeurs, c’est une contrepartie logique de la flambée des salaires. D’autre part, la pénurie de main-d’œuvre oblige certaines équipes incomplètes à accroître fortement leur productivité. Enfin, l’IA, pour laquelle de gros investissements sont consentis, génère des attentes de hausse de productivité tant chez les employeurs que chez les travailleurs. Or, ce gain n’est pas là. C’est un autre point du rapport qui indique qu’il faut passer avec l’IA de l’effet ‘wow’ à l’effet ‘how’ (comment, ndlr). C’est toute la question, prégnante aujourd’hui chez nous, de la formation et de l’accompagnement pour être efficace avec ces outils et de l’adoption plus large de l’IA dans le travail de tous les jours.”
“L’IA génère des attentes de hausse de productivité tant chez les employeurs que chez les travailleurs. Or, ce gain n’est pas là.” – Sébastien Delfosse (Manpower)
Le télétravail
Selon Manpower, la présence au bureau s’est stabilisée à un niveau de 30% inférieur à celui de 2019. Ce serait toujours le cas en 2030. Le télétravail (et son impact sur les espaces de travail plus petits et adaptés à la collaboration) demeure un sujet important en Belgique.
“Mais notre pays est moins polarisé que les États-Unis, sourit Sébastien Delfosse. Entre Amazon et Meta qui exigent le retour total au bureau et Apple qui laisse toute liberté, il y a un gouffre. Chez nous, deux ou trois jours à la maison sont devenus la norme et cela ne va pas changer. Même si la plupart des employeurs affinent encore leur système. Imposer un retour total au bureau est suicidaire en Belgique. L’entreprise qui s’y risque va faire face à un exode massif de ses employés. De même qu’à d’énormes difficultés pour les remplacer.”
La présence au bureau s’est stabilisée à un niveau de 30% inférieur à celui de 2019. Ce serait toujours le cas en 2030.
Incertitude géopolitique
“Aux États-Unis, les impôts vont descendre à 15%, les ateliers sont subventionnés dans une série d’États. Quand on revient en France et qu’on voit qu’on s’apprête à augmenter de 40% les impôts des entreprises qui fabriquent dans le pays, c’est incroyable. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal !” Ces propos de Bernard Arnault, le patron de LVMH, tournent en boucle dans les milieux politiques et économiques depuis quelques jours. Ils illustrent l’un des points cruciaux du rapport de Manpower : l’incertitude géopolitique. 38% des CEO interrogés confirment avoir annulé des plans stratégiques en raison de risques politiques élevés. Pas la peine de tout mettre sur le dos de Donald Trump, il n’est pas le seul responsable.
“Des mois pour former un gouvernement fédéral dans un contexte économique compliqué et avec l’arrivée d’un disrupteur comme Trump, ce n’est évidemment pas bon du tout, assène Sébastien Delfosse. En France, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, plus rien ne se fait au niveau politique. C’est dévastateur : les chiffres de l’intérim et du travail temporaire sont en chute libre chez Manpower France. Même chose en Allemagne et en Grande- Bretagne. Le monde économique a besoin de stabilité et d’un cadre clair. En Europe, le déficit politique est marqué. Trump fait peur à tout le monde, entre autres avec ses tarifs douaniers. Mais le monde économique américain est plutôt optimiste car le chemin pro-business est clair. Il va faire bouger les choses en Europe et ce pourrait être positif pour nous.”
Le pouvoir aux employeurs
Voilà, sans doute, le point le plus controversé du rapport : le rapport de force entre employeurs et employés a bougé en faveur des premiers l’an dernier en raison d’un ralentissement du marché mondial de l’emploi. 65% des employeurs dans le monde entier confirment avoir la main sur les salaires, 66% sur le lieu du travail et 59% sur les heures flexibles. Manpower insiste tout de même sur la nécessité de maintenir un équilibre pour éviter les mauvaises surprises quand ce marché s’emballera à nouveau. Il nous semble qu’en Belgique, ce rapport de force n’a pas suivi le même mouvement.
“J’ai les mêmes doutes, confirme Sébastien Delfosse. Le balancier n’a pas vraiment bougé vers les employeurs, d’autant que contrairement à une certaine caricature, il n’était pas parti tellement dans le sens des travailleurs ces dernières années. En fait, tout dépend du secteur. Les bons talents en finance ou dans les banques ont toujours très largement la main en 2025. En IT aussi. Par contre, sur les profils moins qualifiés, la balance a, de fait, bougé en faveur des employeurs. Il suffit d’examiner le nombre de plans de restructuration annoncés et leur impact sur l’emploi.”
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