Le taux d’emploi, ce malade de longue durée

Le plan "Retour au travail" est d’application depuis le 1er 
janvier dernier. © Getty Images/PhotoAlto
Baptiste Lambert

Après notre analyse sur les pièges à l’emploi, nous nous attardons sur une composante qui est largement ignorée pour relever le taux d’emploi: les malades de longue durée. Leur nombre a explosé ces dernières années, plombé par les burn-out.

Les nouvelles règles budgétaires européennes laisseront très peu de marge de manœuvre aux prochaines coalitions. Notez-le ici : les belles promesses électorales qui fleurissent déjà peuvent être rempotées, quel que soit le jardinier. Un effort d’environ 30 milliards d’euros attend l’Etat fédéral et ses Régions pour les cinq prochaines années. Pour faire face à cet effort monstrueux, il existe une troisième voie. Une voie qui permet d’éviter, en partie, les deux tabous absolus de la gauche et de la droite : l’austérité et les taxes. Cette voie, elle consiste à relever le taux d’emploi, vers le fameux objectif de 80% d’ici 2030.

Les chômeurs 
ne suffiront pas

Les propositions visant à lutter contre le chômage sont légion. Le débat sur l’invalidité, lui, peine à s’imposer. C’est pourtant un élément clé. Si tous les chômeurs venaient à retrouver un job, on n’atteindrait pas plus de 76% de taux d’emploi, soit l’équivalent de la population active en Belgique. Un calcul tout à fait hypothétique, dans la mesure où il existe un taux de chômage dit incompressible.

Pour bien comprendre, il faut introduire la notion de taux d’inactivité. On y retrouve tous les inactifs, toutes les personnes qui ne font pas partie de la population active, soit 24% de la population. Dans la tranche des 20-64 ans, il y a les étudiants, les bénéficiaires d’allocations d’insertion, les préretraités, les hommes et femmes au foyer et toutes les personnes en invalidité. Parmi cette dernière catégorie, on retrouve les malades de longue durée (au-delà d’un an). Sans diminuer ce taux d’inactivité, impossible d’atteindre les 80% de taux d’emploi.

Ce taux d’emploi, justement, parlons-en. On le sait, le fossé est grand entre le nord et le sud du pays : 76,5% pour la Flandre, 72,2% pour la Belgique, 68,2% pour Bruxelles et seulement 65,9% pour la Wallonie. Par contre, pour le taux d’inactivité, les écarts se resserrent. Une étude récente de l’économiste du travail Stijn Baert (UGent) permet de s’en rendre compte. Elle s’attarde sur les 25-64 ans, ce qui écarte les étudiants. On voit que le taux d’inactivité de la Flandre (18,3%) est proche de celui de Bruxelles (21,8%) et toujours un peu éloigné de la Wallonie (25,3%).

Les malades de longue durée sont de loin la plus grande catégorie parmi les inactifs. D’après les derniers chiffres de l’Inami, ils sont environ 500.000 en Belgique. Leur augmentation est démentielle : un doublement en 15 ans. Entre 2005 et 2021, le taux d’absentéisme de longue durée est passé de 5,41% à 10,95% de l’emploi. Notons au passage que cet absentéisme est plus marqué en Wallonie (14,74%) qu’en Flandre et à Bruxelles (9,3% chacune). Parmi les maladies déclarées, les maladies mentales sont représentées à hauteur de 36,44% (dont 67% de burn-out), selon la Mutualité chrétienne. Elles mènent devant les maladies qui touchent le dos et les articulations (31%), suivies par les cancers et les maladies cardio-vasculaires. La dernière projection du Bureau du Plan voit grimper le nombre de malades de longue durée à 600.000 personnes d’ici à 2035. A titre de comparaison, il existe aujourd’hui 272.664 chômeurs indemnisés à l’Onem.

Un malade de longue durée, cela coûte cher. Pour une invalidité (plus d’un an), la mutuelle prend en charge 65% du salaire brut pour une famille, 55% pour un isolé et 40% pour un cohabitant. “L’invalidité a un coût direct annuel de 7 à 8 milliards d’euros et de 20 milliards d’euros avec les effets indirects. Cela revient à 40.000 euros par invalide”, expliquait dans nos colonnes, en novembre dernier, Xavier Brenez, CEO de l’Union des Mutualités libres.

L’invalidité à vie, c’est fini

“Ces chiffres, c’est le résultat des choix politiques de ces 10 dernières années”, fustige Elisabeth Degryse, fraîchement arrivée chez Les Engagés. Celle qui mènera la liste fédérale à Bruxelles a un œil avisé sur la question, puisqu’elle était auparavant vice-présidente de la Mutualité chrétienne. “On remarque qu’un bon nombre de burn-out concerne les plus de 50 ans. Or, les gouvernements Michel et De Croo ont détérioré les conditions de fin de carrière”, ajoute la membre de l’opposition.

La critique est encore plus acérée du côté du PTB, où Sofie Merckx, ancienne médecin généraliste, déplore “une chasse aux malades, comme pour la chasse aux chômeurs”. Il est vrai que les malades de longue durée font désormais l’objet d’un contrôle plus important. En deux temps, le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), a lancé son plan “retour au travail”, qui est pleinement d’application depuis le 1er janvier 2024.

Les entreprises qui comptent trop de malades de longue durée seront sanctionnées à hauteur de 2,5% du chiffre d’affaires.

Au-delà d’une incapacité de 10 semaines, le malade doit répondre à un questionnaire. S’il ne le fait pas, un médecin-conseil de la mutuelle pourra le convoquer pour un examen médical. En cas de deux rendez-vous manqués, le malade sera sanctionné de 2,5% de son allocation. Ensuite, il devra se soumettre à trois rendez-vous obligatoires après quatre, sept et onze mois. Si l’inactif ne s’y rend toujours pas, sans justification, il pourra perdre totalement son allocation. Après ces trois rendez-vous, la personne sera considérée ou pas comme invalide pour une période de un, deux ou cinq ans maximum. En d’autres mots, être déclaré inapte jusqu’à la pension, c’est terminé. Mais parler de “chasse aux malades” est sans doute aller un peu loin.

Et l’efficacité ?

“A ma connaissance, il n’y a toujours pas eu de sanctions”, reconnaît Sofie Merckx, mais la députée est beaucoup moins compatissante pour les entreprises. C’est l’autre volet du plan Vandenbroucke: les entreprises qui comptent trop de malades de longue durée seront sanctionnées à hauteur de 2,5% du chiffre d’affaires. Depuis le 1er janvier dernier, quelque 173 entreprises ont déjà écopé d’une amende de 1,38 million d’euros cumulés. “Le problème, c’est que ces sanctions ne sont appliquées qu’aux entreprises de plus de 50 personnes, et les sommes sont dérisoires, précise la députée. De plus, ces sanctions concernent beaucoup d’entreprises issues des soins de santé, comme les hôpitaux. En fait, Vandenbroucke se tire une balle dans le pied”.

Le ministre tente de se rassurer : “80.000 malades ont retrouvé la route du travail, à temps partiel”. Du côté des partis politiques, les méthodes sont assez semblables pour faire face à cette problématique. On mise sur la prévention et l’accompagnement durant la carrière. A gauche, on insiste sur l’allègement de fin de carrière, tout en voulant éviter le volet répression. A droite, on appuie aussi pour responsabiliser les médecins.

Quoi qu’il en soit, durant la campagne, le parti qui vous parlera de l’emploi sans parler du patient fera fausse route.

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