Le salaire de la peur: le coût de la vie change les préoccupations des jeunes au travail

Les jeunes générations ne travaillent pas pour des clopinettes. © Getty Images

Comme chaque année, Deloitte prend le pouls des plus jeunes générations à l’œuvre dans les entreprises et organisations du monde entier. En Belgique, le bien-être au travail et l’impact sociétal demeurent au centre des préoccupations. Mais le contexte économique a ravivé l’importance de la stabilité financière.

Quatre générations sont désormais actives sur les différents lieux de travail en Belgique. Dans certains secteurs, une cinquième est même déjà à l’œuvre : la génération Alpha (Gen Alpha), soit les jeunes nés en 2004 et après.

Quatre générations, ce sont autant d’aspirations différentes à faire cohabiter mais aussi diverses manières d’appréhender le travail et le rôle qu’il occupe dans nos vies. Pour la 12e année consécutive, Deloitte, le leader de la consultance en Belgique et membre du Big Four mondial, a étudié l’évolution des besoins et des aspirations des milléniaux et de la génération Z (Gen Z), soit les actifs âgés entre 20 et 40 ans. Ils ont longtemps évolué de concert mais, depuis quelques années, les différences de comportement et d’attentes deviennent notables. Deloitte ­s’attend d’ailleurs à ce que la Gen Alpha soit encore plus impitoyable que la précédente pour les employeurs.

Stabilité financière

En Belgique, Deloitte a interrogé, comme à chaque fois, 500 jeunes issus des deux générations. Ils sont actifs dans l’ensemble des secteurs, y compris le public. La première conclusion majeure de l’étude, sortie en décembre dernier, est le retour au premier plan du salaire.

“Le thème n’avait jamais vraiment disparu, souligne Nathalie Vandaele, Deloitte North South Europe Human Capital Leader. Mais c’était surtout le thème de l’égalité salariale qui était prégnant. Depuis 2022 et cela s’est fortement amplifié dans l’étude 2023, les finances personnelles sont redevenues essentielles. La stabilité financière arrive en tête des préoccupations pour 38 % des Gen Z et 43 % des milléniaux. A chaque fois devant l’environnement et le changement climatique. Il est tout aussi marquant, voire même effrayant, de découvrir qu’un grand nombre de ces jeunes vivent désormais d’un salaire à l’autre. C’est d’ailleurs la majorité des cas de la Gen Z.”

Près la moitié de la Gen Z et un quart des milléniaux disposent d’un deuxième travail rémunéré.

Il n’est donc pas surprenant de découvrir que quasi la moitié de la Gen Z (47 %) et un quart des milléniaux (23 %) disposent d’un deuxième travail rémunéré ! Les deux générations pensent, de concert et en majorité, que dans le contexte actuel, obtenir une augmentation, une promotion ou une autre affectation sera difficile voire impossible. Ils se méfient aussi dès lors de l’impact des méthodes de travail flexible (et des compromis qu’elles induisent) sur leur stabilité financière et l’évolution de leur carrière. D’une manière générale, les moins de 40 ans retardent les étapes-clés d’une vie comme l’achat d’une maison ou la fondation d’une famille. Ils évoquent aussi l’avenir financier à long terme et les finances quotidiennes comme l’une des principales causes de stress et d’anxiété. Cette anxiété financière qui entrave la capacité à planifier l’avenir a engendré un schisme entre les deux dernières générations dans les raisons qui poussent les jeunes à quitter un employeur: pour la Gen Z, une rémunération trop peu élevée supplante désormais les questions liées au bien-être au sens large et l’équilibre vie privée- vie professionnelle.

Une question d’équilibre

Si le financier occupe les esprits, il ne faut pas se méprendre : le bien-être au travail demeure un sujet majeur de préoccupation. Quelques chiffres font froid dans le dos : 64 % des membres de la Gen Z (41 % des milléniaux) ont été victimes de harcèlement ou de micro-agressions au cours des 12 derniers mois. Quarante-huit pour cent (39 % des milléniaux) se disent épuisés en raison de la surcharge de travail. A titre de comparaison, au niveau mondial, ce chiffre ne s’élève qu’à 32 %…

“Ce chiffre témoigne du travail, gigantesque qu’il reste à accomplir en Belgique, souligne Nathalie Vandaele. Le bien-être au travail avec son aspect santé mentale est un thème très prégnant en Belgique et pour toutes les générations. Les cas de burn-out, cause majeure de l’absentéisme de longue durée en Belgique, n’ont jamais été aussi élevés. Et l’étude montre bien que, chez nous, le niveau de stress se maintient à un niveau inacceptable : quasi la moitié de la Gen Z se sent stressée ou anxieuse en permanence ou presque tout le temps. C’est moins marqué chez les milléniaux (34 %) mais même un tiers des cas, cela demeure beaucoup trop ! Cela souligne, une fois encore, la nécessité pour nos entreprises et organismes publics de travailler sur la prévention des risques psycho-­sociaux et de proposer une culture de travail positive. Il est de leur responsabilité de créer un contexte de travail épanouissant à tous points de vue. Notre étude montre aussi un besoin de transparence au travail sur les questions de santé mentale. Même si les choses évoluent dans le bon sens, beaucoup d’employés n’osent pas en parler car il n’y a pas ou la confiance ou la structure adéquate ou les deux. “

Le bien-être au travail et l’équilibre vie privée-vie professionnelle demeurent les principales raisons pour choisir un employeur. Si la Gen Z fait là aussi plus de cas du financier ou de la carrière, les modèles de travail flexibles et adaptés ont plus que jamais la cote chez nos jeunes.

Rapport au travail

Il y a un an dans une couverture sur le recrutement (Trends-Tendances du 8 décembre 2022), nous évoquions le changement de rapport au travail. Un changement, objectivé et quantifié en France par des études de la Fondation Jean Jaurès mais qui a aussi cours chez nous. Pour les boomers ou la Génération X, on travaille donc on existe. Ce n’est clairement plus cela aujourd’hui et à l’époque, nous écrivions que l’employé était devenu un consommateur et le travail un bien de consommation auquel il n’est pas obligatoire d’être fidèle. L’étude de Deloitte vient confirmer ce changement. Comme le montre l’infographie qui détaille les facteurs les plus importants pour définir l’identité, le travail n’est qu’un élément comme un autre pour la Gen Z. Il n’est pas plus important que les hobbies ou le sport. Et il arrive, comme pour les milléniaux d’ailleurs, bien loin derrière les amis et la famille. Le changement de paradigme est donc bien en marche en Belgique.

“Je m’attends à ce que ce changement soit confirmé avec la Gen Alpha, confie Nathalie Vandaele. Le travail ne définit plus l’individu, en tous cas chez les jeunes. Il faut, comme vous le soulignez, mettre ce constat avec les frontières inter-entreprises de plus en plus floues et les facilités de changer de travail. C’est un nouvel écosystème qui se met en place et il convient de bien l’appréhender afin de bien gérer les talents, en rétention comme en recrutement. Je constate qu’en Belgique, peu d’entreprises réfléchissent déjà de cette manière.”

Nathalie Vandaele
Le travail ne définit plus l’individu, en tous cas chez les jeunes.” – Nathalie Vandaele (Deloitte)

On ne cesse de le répéter et l’étude de Deloitte le confirme : les jeunes sont en quête de sens et ont besoin de se profiler dans quelque chose de plus grand qu’eux et qui correspond à leurs valeurs. Ainsi, 44 % des membres de la Gen Z ont déjà rejeté un employeur sur base de leurs valeurs et convictions personnelles !

“C’est beaucoup plus marqué que chez les milléniaux où l’on arrive à un quart, poursuit Nathalie ­Vandaele. Les valeurs se sont aussi invitées chez Deloitte dans nos entretiens de recrutement. Nous recevons énormément de questions sur le positionnement de notre entreprise, sur notre impact sociétal, sur les démarches que nous entreprenons en termes de durabilité et d’environnement, sur l’inclusion et la diversité.”

Ecoutés et impliqués

Sans surprise, le changement climatique et l’impact sociétal arrivent en tête de leurs convictions personnelles et de loin. Nos jeunes sont d’ailleurs bien plus critiques que leurs copains du monde entier vis-à-vis des efforts environnementaux de leurs entreprises. Quasi sept sur dix pensent qu’elles pourraient en faire beaucoup plus : critères de durabilité pour la chaîne logistique, bureaux écologiques, bannissement des plastiques à usage unique, forte réduction des émissions carbonées, etc. Sept membres de la Gen Z sur dix jugent la politique environnementale d’un employeur fondamentale avant de s’engager. En termes de ressources humaines, les milléniaux et la Gen Z ont globalement les mêmes désirs dans le même ordre : la semaine des quatre jours, les horaires flexibles, l’emploi à temps partiel avec les mêmes opportunités de carrière, les opportunités de partage de job et une culture qui encourage la prise de vacances.

Enfin, et c’est aussi une confirmation, dans leur quête de sens, les jeunes entendent peser sur les décisions. Etre écoutés, certes, mais surtout impliqués. “Cette co-création s’avère un autre élément essentiel de l’étude, conclut Nathalie Vandaele. Les jeunes veulent être impliqués dans le mode de décision et, même, dans la définition de la stratégie. C’est, pour moi, la différence entre diversité et inclusion. Honnêtement, je vois cela rarement dans les entreprises belges. Il existe pourtant des pratiques qui marchent plutôt bien comme les comités des jeunes par exemple. Ce qui est certain, c’est que les employeurs vont devoir comprendre les aspirations de cette dernière génération s’ils veulent demeurer performants et attractifs. On revient à une notion très prégnante depuis le covid : le leadership inclusif dans toutes les strates décisionnelles…

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