La semaine des 4 jours: une initiative à double tranchant

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Un an après son entrée en vigueur, la semaine des quatre jours peine à séduire. Intéressante sur papier, cette initiative ne convient pas à tout le monde ni à toutes les entreprises. Les retours du terrain démontrent la nécessité d’une vaste réflexion en amont qui intègre l’ensemble des conditions de travail.

Le 9 novembre dernier paraissait au Moniteur la loi du 3 octobre 2022 appelée Deal pour l’emploi. Elle visait à réformer le droit du travail tout en offrant plus de flexibilité et un meilleur équilibre vie privée-vie professionnelle. Elle contenait plusieurs mesures, dont la semaine des quatre jours et le rythme hebdomadaire alterné.

La première autorise un travailleur à effectuer son temps de travail hebdomadaire en quatre jours avec un maximum de 9h30 par jour si la durée normale du travail est inférieure ou égale à 38 h et un maximum pouvant aller jusqu’à 10 h si cette même durée est comprise entre 38 et 40 h.

Cette semaine de quatre jours est donc devenue un droit pour le travailleur que l’employeur ne peut refuser que de façon motivée. Le rythme alterné part du même principe mais sur deux semaines. Dans ce système, le travailleur peut travailler jusqu’à 45 heures la première semaine (9 h max par jour) pour autant que les heures prestées en plus soient déduites de la semaine suivante. Pendant les mois d’été, le rythme alterné peut être étendu à quatre semaines.

Une mesure controversée

Cette semaine des quatre jours fait couler beaucoup d’encre depuis son instauration. Au printemps dernier, une étude du cabinet d’avocats Claeys & Engels indiquait que sept entreprises sur dix la rejetait. Quasi au même moment, dans une carte blanche dans plusieurs journaux belges, Gretel Schrijvers, la CEO de Mensura, le plus grand service de prévention externe belge, avouait son scepticisme.

“Tout bien considéré, la perspective d’effectuer les mêmes tâches en quatre jours au lieu de cinq ne semble pas souhaitable, observe-t-elle. Qui dit journées de travail plus longues, dit plus de risques pour la santé, ce qui ne justifie pas le temps de récupération libéré. Mais est-ce vrai dans toutes les situations? Non, le contexte joue. L’erreur est de couler tout le monde dans le même moule. Car ce qui fonctionne pour Marc ne marche pas forcément pour Nadine.”

Le 4 octobre dernier, Acerta, le prestataire de services RH, a publié une étude sur le sujet. Elle portait sur 40.000 employeurs employant 390.000 travailleurs à temps plein. Cette étude indique une forte progression (+56%! ) du nombre de travailleurs ayant opté pour la semaine des quatre jours. Mais attention aux apparences, surtout quand on examine des progressions sur des petits volumes! L’étude, très intéressante au demeurant, nous apprend qu’un travailleur sur 130 est entré dans le système, soit 0,8% de tous les ouvriers et 0,8% de tous les employés. Selon Acerta, 1,9% des employeurs appliquent ce nouveau régime. C’est une progression indéniable mais ce n’est pas une révolution RH.

“Avant de se lancer dans ce genre d’initiatives, une entreprise doit avoir d’abord une vision claire sur son organisation.”

Avec six mois de recul, la position de Gretel Schrijvers n’a pas varié d’un iota. “Pour moi, le contexte reste fondamental. Je demeure persuadée qu’avant de se lancer dans ce genre d’initiatives, une entreprise se doit d’avoir d’abord une vision claire sur son organisation du travail. Une vision qui intègre ce qu’elle souhaite en termes de flexibilité, d’autonomisation et de responsabilisation, de télétravail, de déconnexion, de semaine de quatre jours ou pas, et comment, etc. Chez Mensura, nous avons reçu trois demandes. Deux ont été acceptées. Les deux personnes, de leur propre chef, sont aujourd’hui revenues dans un système classique. Cette mesure n’est pas faite pour tout le monde. Il me semblerait raisonnable de voir si une personne est physiquement et/ou psychiquement apte à ce changement. Je ne suis pas en train de plaider pour une visite médicale supplémentaire. Je me contente de rappeler que voir son médecin du travail est possible et que, dans certains cas, pourrait se révéler utile. Nous servons 55.000 clients chez Mensura. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, aucune visite de ce genre n’a été demandée…”

Exemple concret

Au début de l’année, SD Worx, le plus grand secrétariat social du pays, où règne une culture de travail flexible basée sur la confiance, a lancé la semaine de quatre jours en tant que projet pilote. Quatre-vingt personnes (sur 2.400 employés en Belgique) ont été mises à l’essai. Un tiers d’entre elles avaient opté pour la semaine des quatre jours, deux tiers pour le rythme alterné de deux semaines. Les résultats sont bons.

“Prester 37 h sur quatre jours, cela peut être lourd.”

“Nous avons reçu 75% d’avis très positifs tant du côté des employés que des managers, souligne Hicham Al Bouhali, people director talent acquisition & projects. Quelques personnes ont arrêté en cours de route. La raison principale est la gestion du temps: 37 h sur quatre jours, cela peut être lourd à prester, notamment pour ceux qui ont des déplacements conséquents pour venir travailler ou des enfants. L’autre raison est l’impact financier. La semaine des quatre jours fait perdre un chèque-repas ainsi qu’une partie des réductions du temps de travail. En effet, chez SD Worx, nous émargeons aux 37 h suivant notre commission paritaire mais en prestons 39 avec récupération de 12 jours sur l’année. Avec les quatre jours, les 39 heures ne sont plus prestées. Une autre leçon retenue, c’est la nécessité pour les managers de trouver un équilibre subtil dans la gestion du travail de leur équipe entre ceux qui prestent quatre ou cinq jours.”

Chez SD Worx, toutes les fonctions sont éligibles sauf les consultants qui se rendent chez les clients cinq jours par semaine, certains profils commerciaux et les jeunes récemment arrivés dans l’entreprise. Il faut aussi respecter un équilibre dans les équipes. Il avait été ainsi décidé que le test ne dépasserait pas les 5% du personnel et les 5% dans chaque équipe. Ce test a été renouvelé pour six mois supplémentaires (juillet à décembre) avec une population légèrement différente: 86 personnes dont 19 en quatre jours, 64 en rythme alterné de deux semaines et 3 en rythme alterné de quatre semaines. SD Worx veut jouer la prudence et bien évaluer la mesure sur une année complète (novembre et décembre sont traditionnellement bien chargés) avant d’aller plus loin. Quant à Hicham Al Bouhali, il était à la fois l’un des gestionnaires du projet et l’un des participants.

“Moi, je trouve le système génial. D’ailleurs, j’ai rempilé dans le deuxième test. J’ai opté pour le rythme alterné de deux semaines. SD Worx offre déjà beaucoup de flexibilité: pas besoin de prendre congé pour un rendez-vous médical, possibilité de télétravailler si un enfant est malade, etc. Ici, le rythme alterné m’offre un surcroît de flexibilité. J’ai quatre enfants en bas âge dont une fille handicapée. En fait, j’ai calqué mon rythme sur le programme de leurs activités pour être plus présent dans leur vie.”

Gentis, la pionnière

Si la loi est entrée en vigueur l’an dernier, Gentis, une entreprise de recrutement lancée il y a 12 ans par Olivier de Montjoye, Stéphanie Reniers, Farid El Machaoud et Hassane Lhasnaoui et aujourd’hui en pleine croissance avec sept bureaux dans le monde entier, a lancé sa propre semaine de quatre jours en 2021. En clair, l’entreprise est ouverte du lundi au jeudi. Le vendredi, les consultants ne traitent que les urgences, mais elles sont très rares.

“Moi, je preste toujours cinq jours, sourit Stéphanie Reniers, la co-CEO. J’ai essayé mais pour un chef d’entreprise, c’est impossible de faire autrement. Le vendredi, je donne des formations et vais rendre visite à nos clients. Je ne fais plus de gestion interne à proprement parler. Pour le reste, le système se passe très bien chez nous. C’est faisable et nos employés sont contents. Nous ne sommes pas dans les clous légaux puisqu’il n’y a pas d’obligation de prester toutes les heures en quatre jours. Les employés travaillent les heures qu’ils désirent. Ce qui m’importe, c’est l’output, pas le présentéisme.”

“Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Ceux qui ont au moins cinq ans d’expérience vont mieux s’adapter.”

“Mais du coup, il n’y a pas de télétravail. C’est quatre jours au bureau, exception faite aux familles pour qui la flexibilité est maximale. La responsabilisation et l’autonomisation sont totales. C’est une question d’équilibre entre la confiance d’un côté et la prise de responsabilités de l’autre. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Je dirais que ceux qui ont au moins cinq ans d’expérience vont mieux s’adapter. Pour les jeunes diplômés, c’est compliqué. Il faut les former à notre système et les accompagner sur bien des aspects. Je suis parfois effarée de constater le manque de préparation au monde de l’entreprise de ces jeunes pourtant sortis avec mention de grandes universités. Ceci dit, beaucoup de nos employés y ont trouvé leur bonheur.”

L’autre semaine des quatre jours

Pendant six mois l’an dernier, 61 entreprises britanniques (ce qui n’est guère élevé à l’échelle du pays) ont testé la semaine des quatre jours. Elles étaient libres de s’organiser pour autant que le salaire demeurât le même et que la réduction du temps de travail fût significative. Les résultats de ce test sont plutôt positifs. Il est question d’une performance, d’une productivité et d’un chiffre d’affaires maintenus, d’une baisse des jours de maladie et des départs volontaires et d’une réduction du stress pour près de 40% des employés.

Mais le diable se niche dans les détails: augmentation de la fatigue (22% des employés), du volume horaire presté (15) et des heures supplémentaires (17). Le même genre de test se profile en Belgique puisqu’à la mi-septembre, Pierre-Yves Dermagne, ministre de l’Economie et de l’Emploi (PS), a lancé un projet de réduction collective du temps de travail, soit une semaine de quatre jours (32 h) sans perte de salaire. C’est donc une vieille revendication de gauche que le ministre va confronter à la réalité du terrain à quelques mois des élections. Il reste à savoir quelles entreprises vont oser se lancer dans une démarche que l’UCM apparente à un coup de frein économique.

“C’est un test intéressant, souligne Gretel Schrijvers. Cette semaine des quatre jours est plus simple pour les employés et, sans doute, génératrice de bien-être à plus grande échelle. A l’heure d’une forte prévalence des problèmes psychosociaux (burn-out, etc.) et d’un nombre très élevé de malades de longue durée, c’est plus que louable. Il y a évidemment de solides réserves à émettre. Si la mesure ne s’accompagne pas d’une hausse de l’emploi et de l’activation de chômeurs, elle n’a aucun sens au niveau économique. Vu la pénurie de main-d’œuvre, il ne faudrait en effet pas qu’elle déshabille Paul pour habiller Jacques. Enfin, le timing économique est effroyable. Après l’indexation des salaires et l’inflation des coûts notamment énergétiques, c’est une mesure qui va coûter cher aux entreprises en productivité ou en embauche compensatoire.”

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