Réforme de la PRJ : “Pour sauver une entreprise, il faut garder sa clientèle”
La nouvelle législation prévoit des procédures privées ou confidentielles, qui devraient atténuer le risque de mauvaise réputation d’une entreprise en difficulté, estime Bart De Moor, avocat spécialisé dans l’insolvabilité et les restructurations.
Votée au printemps dernier, la nouvelle loi sur les restructurations préventives et les procédures de réorganisation judiciaire est entrée en vigueur le 1er septembre. Il s’agit de la transposition d’une directive européenne dans le droit belge. Le texte initié par le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld) renforce le volet préventif afin d’augmenter les chances d’une continuité au moins partielle des activités quand une entreprise traverse des difficultés financières.
L’objectif est clair: offrir de nouvelles possibilités aux entreprises de se restructurer afin de repartir, et de préserver ainsi au maximum le tissu économique. Plusieurs leviers sont actionnés à cette fin:
Le premier est celui de la clarification
“La nouvelle loi distingue maintenant clairement les procédures de réorganisation, qui visent à sauver l’entité juridique, et les procédures de liquidation, qui terminent l’entité juridique, ce qui n’empêche pas d’essayer de sauver un maximum d’activités, commente Bart De Moor, avocat associé au sein du département “Restructuration et insolvabilité” du cabinet Strelia. Nous avons désormais trois piliers d’intervention: les mesures provisoires en amont, la réorganisation et la liquidation. Et au sein de cette structure, il y a une variété de procédures.” Cet éventail élargi de formules doit a priori aider les entreprises en difficulté à trouver celle qui leur permettra le mieux de rebondir. Il reviendra au conseil d’administration de l’entreprise de la choisir.
Le deuxième levier est celui de la discrétion
La réforme inscrit dans notre droit des procédures privées ou confidentielles, avec un ou plusieurs créanciers. “Quand une entreprise déjà en difficulté doit annoncer qu’elle ouvre une procédure de réorganisation, cela fait très peur aux clients et cela peut aggraver la situation”, poursuit Me De Moor. L’avocat en sait quelque chose puisqu’il officiait lors du concordat judiciaire de la Sabena et que la compagnie n’a quasiment plus vendu de billets une fois que la procédure a été rendue publique. “Si on veut sauver une entreprise, il faut absolument qu’elle puisse conserver ses clients”, résume Bart De Moor qui convient cependant que plus il y a de créanciers, plus il y aura de fuites et que la discrétion n’est donc pas toujours possible, en tout cas dans la durée.
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Un troisième levier est celui de l’anticipation
La législation qui entre en vigueur ce 1er septembre permet de préparer un transfert d’activités avant la faillite. Le tribunal peut alors mandater “un curateur potentiel” qui examinera, en amont, les éventuelles possibilités de reprise. A nouveau, cela permet de travailler dans une plus grande discrétion et d’adoucir en quelque sorte le choc d’une faillite puisque si l’opération réussit, on annoncera d’abord la reprise, au moins partielle, et ensuite la faillite de l’ancienne entité. Le curateur potentiel dispose de 30 jours pour trouver un candidat, un délai très court, surtout quand on veut garder les démarches discrètes. Dans cette optique de l’anticipation, les compétences des chambres des entreprises en difficulté seront élargies, notamment grâce aux données de l’ONSS.
Le quatrième levier est celui de la répartition…
…des impacts financiers de la réorganisation judiciaire. Et c’est peut-être le plus fondamental… Désormais, elle impliquera évidemment les créanciers mais aussi les actionnaires, en tout cas en ce qui concerne les grandes entreprises (+ 250 personnes). “La procédure était économiquement illogique, analyse Bart De Moor. Le principe de l’économie capitaliste, c’est que l’actionnaire supporte le risque. Quand tout va bien, c’est pour lui. Quand il y a une faillite, il perd tout. Dans une PRJ, le poids du risque était déplacé sur les épaules des créanciers. Or, si la société allégée d’une série de dettes parvient à se relancer, sa valeur augmentera au profit des actionnaires.”
Je m’insurge contre cette terminologie ‘aveu de faillite’. Ce n’est pas un aveu, il n’y a pas de faute.” Bart De Moor
Il y a quelques beaux exemples de redémarrage après une PRJ. On peut citer la chaîne Le Pain quotidien ou la biotech Cellaïon (ex-Promethera), qui a réussi à lever 23 millions en début d’année après avoir frôlé la catastrophe. Si la nouvelle législation atteint son but d’une meilleure préservation de l’activité économique, les réticences ou clichés envers la PRJ s’effilocheront peut-être enfin. “Il faut sortir de cette idée de culpabilité, insiste Bart De Moor. Je m’insurge toujours contre cette terminologie ‘aveu de faillite’. Ce n’est pas un aveu, il n’y a pas de faute. Je préférerai qu’on parle de déclaration de cessation de paiement.”
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Dans cette idée de la deuxième ou troisième chance, Olivier Vandenabeele, conseiller Economie à l’Union des classes moyennes (UCM), préconise d’ailleurs aussi la révision du numéro d’entreprise de l’indépendant en personne physique. Actuellement, votre numéro d’entreprise, vous le gardez à vie, quels que soient les aléas et activités successives. “Après une faillite ou une PRJ, on peut être vite catalogué négativement rien que sur son numéro d’entreprise, dit-il. C’est un peu injuste par rapport à une personne morale.”
Factures impayées: le premier rappel est désormais gratuit
L’insolvabilité, cela démarre parfois par des premières factures impayées… Le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne (PS) a élaboré un texte de loi, également entré en vigueur ce 1er septembre, qui vise à renforcer la protection du consommateur face à des pratiques de recouvrement parfois “excessives”. Désormais, la première lettre de rappel pour une facture impayée doit impérativement être gratuite. Le débiteur dispose alors de 14 jours pour payer sa dette, sans aucun frais ou indemnité. Au-delà de ces 14 jours, des frais peuvent être réclamés mais ils sont plafonnés par la loi: 20 euros pour une facture de moins de 150 euros, 30 euros (+10% du montant dû) jusqu’à 500 euros, 65 euros (+5% du montant dû) au-delà de 500 euros. Ces plafonds visent à éviter certains abus constatés dans le montant des indemnités réclamées.
“Mettre de telles limites, ça peut avoir du sens car il y avait parfois des abus, convient Olivier Vandenabeele, conseiller Economie à l’Union des classes moyennes (UCM). Mais ici, le législateur s’immisce de manière assez ferme dans les relations entre l’entreprise et le consommateur. Nous avons un peu l’impression qu’on met tout le monde dans le même sac, qu’on cadenasse ces relations pour quelques abus.” L’organisation patronale regrette notamment la charge administrative générée par le système: pour ouvrir le droit aux indemnités, il sera impératif d’avoir envoyé ce premier courrier gratuit ; on ne pourra plus se contenter d’un SMS ou d’un appel téléphonique comme c’est souvent le cas dans le monde des indépendants et des PME. L’UCM craint par ailleurs que le montant très bas des pénalités ne décourage les PME d’initier la procédure.
“La digitalisation a rendu le processus de recouvrement plus automatique, nuance Emmanuel Degrève (Deg & Partners). Les efforts de recouvrement peuvent donc donner lieu à une dynamique ‘qui paie bien’. Lorsque vous appliquez des frais de rappel mécaniquement sur des volumes de factures importants, le rendement de votre recouvrement devient assez généreux. C’est d’abord et avant tout ce mécanisme que le ministre a en vue.” Pour Pierre-Yves Dermagne, les indemnités doivent viser à compenser le dommage du créancier et non à “sanctionner le consommateur pour un retard de paiement”.
La réforme vise tous les secteurs, y compris le service public quand il agit comme acteur économique (bibliothèque, centre culturel, piscine, etc.). “Je reste duratif, commente Emmanuel Degrève. Si vous êtes un client de l’Etat, vous pourrez toujours réclamer votre dû sur une base légale contraignante, mais le ferez-vous sachant que ce client est généralement récurrent et votre courant d’affaires plus essentiel que sa liquidité?”
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