Poutine perturbe aussi l’industrie automobile

Usine VW à Zwickau Le groupe a fermé cette usine jusqu'en avril, car divers composants fabriqués en Ukraine n'arrivent plus ou plus au même rythme. © PG
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

La guerre en Ukraine pourrait ralentir temporairement la livraison de voitures, car certains sous-traitants y sont situés. La chute du marché russe affecte en revanche peu les constructeurs. Sauf Renault, qui contrôle Lada.

La guerre en Ukraine ajoute une nouvelle couche de soucis pour l’industrie automobile européenne. Cette dernière souffrait de la pénurie de semi-conducteurs, qui allonge les délais de livraison. Mais certains groupes comme VW ou BMW (dont Mini) ont désormais dû aussi arrêter temporairement plusieurs usines continentales car divers composants fabriqués en Ukraine n’arrivent plus au même rythme, ou même plus du tout. Le groupe VW a par exemple fermé son usine allemande de Zwickau jusqu’en avril – il y assemble normalement des voitures électriques sous différentes marques (VW, Audi, Skoda).

Plus de 20 usines de composants sont installées en Ukraine. Environ 15% de la production européenne de voiture pourrait donc être affectée, estime Colin Langan, analyste chez Wells Fargo. Voyez le groupe allemand Leoni qui dispose de deux usines situées à l’ouest du pays, spécialisées dans la fabrication de harnais de câbles. “La réduction du volume de production et les pertes partielles de production sur les deux sites en Ukraine ne pourront pas être totalement compensées pour l’année 2022“, indique un communiqué du groupe, qui parle d’un chiffre d’affaires juste sous les 300 millions d’euros dans ce pays, en temps “normal”. Environ 20% des harnais de câbles de l’industrie automobile européenne proviennent d’Ukraine. Cet élément est fondamental pour faire rouler une voiture, remplie de circuits électroniques. Sa fabrication recourt à une main-d’oeuvre importante, surtout féminine, dans des pays à bas coût comme l’Europe orientale. Le groupe français Nexan dispose aussi d’usines dans le même pays, également pour produire du câblage pour le secteur automobile.

En Russie, Renault fait face à un dilemme: partir et risquer des sanctions russes – jusqu’à la saisie de l’entreprise. Ou rester dans un contexte tendu, avec des perspectives très incertaines.

“Pour le moment, nous essayons d’obtenir un maximum de harnais en provenance d’Ukraine, a indiqué Herbert Diess, président du directoire de Volkswagen, au Financial Times. Mais en parallèle, depuis le début du conflit, nous cherchons des alternatives.” Au siège du groupe, à Wolfsburg, une équipe d’environ 150 personnes s’occupe de trouver des fournisseurs alternatifs. Solution provisoire? Faire assembler des modèles en Chine ou en Amérique, du moins si les chaînes y produisent les mêmes modèles, mais avec un approvisionnement différent.

L’impact sur les livraisons

En Belgique, il est difficile de percevoir l’impact précis de cette nouvelle pénurie rampante. “Il se mêle à d’autres crises successives, dit Guido Savi, services & public affairs director Luxembourg à la Febiac. Il y a d’abord eu des arrêts de production lors du premier confinement, puis l’impact de la pénurie de semi-conducteurs. Tout cela avait déjà allongé les délais de production pour certains modèles.” En février, les immatriculations en Belgique ont reculé de 11,9% par rapport à l’année précédente. “Nous sommes en contact avec les usines toutes les semaines, et même plus souvent, pour revoir en permanence le planning de livraison aux clients”, explique Jean-Marc Ponteville, porte-parole du groupe D’Ieteren, qui confirme combien la situation se révèle peu claire pour l’instant.

Les constructeurs espèrent pouvoir se réorganiser rapidement. Lors de la publication de ses résultats 2021 à la mi-mars, le groupe BMW a certes annoncé qu’il craignait un recul de la production dans les prochaines semaines. Mais le niveau de production sur l’ensemble de l’année restera identique à celui de 2022, “en dépit de ces conditions difficiles”, indique un communiqué. “Sans ses effets négatifs, les livraisons auraient été en légère augmentation.” Le groupe assure qu’il s’efforcera de continuer à se fournir dans l’ouest de l’Ukraine, “pour assurer un avenir à long terme aux employés“. Mais tous les constructeurs ne semblent pas aussi touchés. Les Français, par exemple, paraissent moins se fournir en Ukraine.

Poutine perturbe aussi l'industrie automobile

Les modèles bon marché menacés?

D’autres impacts restent difficiles à mesurer, car plus indirects. Mais on sait déjà que la hausse des cours de certaines matières premières, de même que celle des tarifs de l’énergie, devraient rendre les automobiles plus coûteuses. Ce qui pourrait se révéler ennuyeux pour les modèles bon marché. Le recul du prix des batteries et les économies d’échelle devaient ouvrir la voie, d’ici la fin de la décennie, à des petits véhicules électriques pas trop chers, moins coûteux en tout cas que leurs cousines à carburant. Hélas, le conflit pourrait enrayer cette évolution. Le coût des matières premières des batteries (lithium, nickel, cobalt) augmente fortement. Selon le Financial Times, le groupe VW hésiterait désormais à sortir un modèle électrique à 20.000 euros pour 2025, comme il l’avait annoncé.

Autre impact indirect: l’activité des constructeurs européens en Russie, fortement compromise. Toyota, Hyundai et Mercedes-Benz ont fermé leurs sites de production. Pour la plupart des marques, ce n’est pas très grave car la Russie est un marché modeste. Pour Renault, c’est autre chose. Le groupe français a misé sur ce marché et y contrôle le premier constructeur russe, Avtovaz (Lada), à qui il a apporté sa technologie. Il n’a pas annoncé son départ du pays. Ce que le gouvernement français, actionnaire minoritaire de Renault, ne lui a pas demandé.

Renault englué avec Lada

L’arrivée de Renault et de son partenaire Nissan chez Avtovaz remonte à 2007. Carlos Ghosn, alors CEO, avait misé sur Avtovaz avec les encouragements de Vladimir Poutine. Le constructeur russe, contrôlé à présent par le groupe français, a été relancé. Des plateformes communes à Renault et à Nissan ont été utilisées pour sortir de nouveaux modèles modernes et très bon marché. L’usine, la plus grande en Europe, occupe plus de 40.000 personnes et est située le long de la Volga, à Togliatti, ville construite spécifiquement autour du constructeur durant l’ère soviétique.

Lada est toujours numéro un en Russie, avec quasiment 21% du marché l’an dernier. Et Lada, Renault, Nissan, Mitsubishi captent ensemble presque 34% de parts de marché. Renault possède aussi une usine à Moscou, où est produit le Renault Duster (Dacia Duster chez nous), le SUV le plus vendu en Russie.

Dans les bilans du groupe, le poids d’Avtovaz est substantiel. En 2021, ses ventes représentaient 2,85 milliards d’euros sur un total de 46,2 milliards pour Renault. Et sa marge opérationnelle pesait plus de 10% du groupe (247 millions d’euros sur un total de 1,667 milliard d’euros).

Le constructeur français, qui cherche à se relancer avec des voitures électriques, n’avait pas besoin de cette crise. ll sort d’une période de pertes. En Russie, il fait face à un dilemme: partir et risquer des sanctions russes – jusqu’à la saisie de l’entreprise – et donc perdre des années d’investissements. Ou rester dans un contexte tendu, avec des perspectives très incertaines et un décor de sanctions croisées peu propice aux collaborations internationales. Sans parler des pressions internationales qui pourraient peser sur Renault.

La voiture russe existe peu

La quasi-totalité de l’industrie automobile russe est gérée par des groupes européens et asiatiques. “La Russie ne possède quasiment pas de technologie propre”, complète Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Center of Automotive Research à Duisburg. La crise pourrait mettre à terre tout ce secteur, fortement dépendant de l’extérieur. La production va en effet devenir très difficile, à cause des problèmes d’approvisionnement et de la chute du rouble. Le marché, qui pesait 1,67 million d’exemplaires en 2021, pourrait fondre de 50%. “La Russie tomberait alors en dessous du niveau de l’Espagne ou du Mexique”, conclut Ferdinand Dudenhöffer.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content