Après les annonces de restructuration, Renault, remis en piste, donne des gages concrets
Le groupe français tente d’oublier les années noires en sortant un modèle tout électrique, la Megane E-Tech Electric, et en publiant des résultats financiers meilleurs qu’anticipés.
Elle vire sec, accélère fort, en silence. Voilà la mini-Tesla de Renault, la Megane E-Tech Electric. Le groupe français compte sur ce semi SUV compact, de 4,2 mètres de long, aux lignes musclées et à l’intérieur plutôt premium, pour faire oublier quelques années difficiles et illustrer le plan de relance initié par son CEO, Luca de Meo. Ce que ce dernier appelle la “Renaulution”…
Renault table sur son expérience dans le véhicule électrique, avec plus de 400.000 modèles vendus depuis 10 ans, pour convaincre à la fois les clients et les investisseurs. Le groupe a traversé une période trouble avec l’arrestation en 2018 au Japon (puis sa fuite au Liban) de son ancien CEO, Carlos Ghosn. Mais aussi trois années de mauvais résultats, dont une perte de 8 milliards d’euros en 2020. Sans parler de la crise au sein de l’alliance que Renault a forgée avec Nissan et Mitsubishi (Renault possède 40% de Nissan). L’Etat français a même dû intervenir, sous forme d’une garantie à un prêt bancaire de 5 milliards d’euros.
“Magic Megane?”
Après les annonces de restructuration, Renault devait donner des gages concrets. Les voilà: outre un nouveau modèle électrique, le groupe a annoncé des résultats 2021 meilleurs qu’escomptés, avec un bénéfice net proche du milliard d’euros et des ventes en hausse malgré une pénurie de composants.
Beaucoup d’experts étaient restés dans l’expectative. Comme Philippe Houchois, managing director chez Jefferies, institution financière spécialisée notamment dans les valeurs automobiles. Mais l’arrivée de cette Megane électrique lui paraît très positive. “Elle arrive sur le marché à un moment où l’offre électrique est insuffisante. Avoir un modèle compétitif devrait générer des volumes corrects, estime l’analyste. On le voit chez Volkswagen: malgré un faux départ ( l’ID. 3 avait été livrée en 2020 avec un logiciel pas encore au top, Ndlr), les ventes sont également correctes.”
Il n’est pas clair que Renault soit particulièrement en avance sur la concurrence. En même temps, quand on a moins de moyens, on est obligé de se montrer plus créatif.” Philippe Houchois (Jefferies)
Ses collègues de la Deutsche Bank, se montrent carrément enthousiastes. “Après avoir essayé le véhicule, nous sommes convaincus que la Megane est un modèle compétitif qui peut soutenir Renault dans son objectif de devenir une marque uniquement électrique à partir de 2030″, indique une note intitulée ” Magic Megane?”.
Certes, Luca de Meo a redonné une base plus compétitive à Renault, en réalisant 2 milliards d’euros d’économie des coûts fixes, avec un an d’avance. “On les attend là-dessus, poursuit Philippe Houchois. Renault a baissé les coûts de manière agressive, il était temps. Mais il y a des limites à ce que l’on peut faire en réduisant la voilure, il faut aussi sortir des produits particuliers pour relancer la croissance”. Ce modèle tombera à pic en Belgique, où la voiture électrique sera de rigueur pour les véhicules de société à partir de 2026.
La stratégie de reconquête ne mise toutefois pas que sur l’électrification. Le credo de Luca de Meo est de vendre moins mais mieux, c’est-à-dire des véhicules plus grands et plus chers, en tout cas plus rentables. C’est clair pour la Megane électrique, dont les tarifs catalogue démarrent à 35.200 euros (jusqu’à 47.700 euros). La Megane à carburant se vend à partir de 26.125 euros. Mais tous les véhicules électriques coûtent généralement bien plus que leurs cousines à carburant. Les résultats de 2021 illustrent les propos du CEO. Renault a ainsi pu améliorer le prix moyen des exemplaires vendus, grâce il est vrai à la pénurie des véhicules neufs sur le marché, qui permet de limiter les remises.
Carlos Ghosn en avance
Renault avait démarré avant les autres dans l’électrique. Il y croyait avant que Peugeot Citroën ou le groupe VW n’y investissent des dizaines de milliards d’euros. En 2013, Renault avait lancé la Zoe, conçue dès le départ comme une électrique, puis quelques modèles à carburant transformés en électriques, comme la Kangoo.
Carlos Ghosn annonçait alors 4 milliards d’investissements en commun pour Renault et Nissan, le partenaire de l’Alliance. Au lancement de la Zoe, auquel Trends Tendances avait été invité, le CEO de Renault avait expliqué son espoir de voir l’électrique décoller, et même représenter 10% des marchés, “là où il y a une offre.” Pari perdu. Provisoirement.
“L’ancien CEO de Renault, Carlos Ghosn, était en avance sur son temps en misant sur l’électrique voici 10 ans”, reconnaît un rapport de Bloomberg Intelligence. “Cependant, les prévisions n’ont pas été tenues, car Renault-Nissan n’a atteint que 28% du volume de 1,5 million d’autos espéré sur 2010-2016”, continue le document. Cet échec provisoire a poussé Renault à lever le pied sur les investissements dans ce segment.
“Renault n’a pas les moyens d’assumer un centre de pertes pendant des années, comme l’a fait Toyota pour les hybrides, explique Philippe Houchois. Toyota a longtemps perdu de l’argent avec Prius. Renault ne peut se le permettre.”
Mais l’environnement a changé. Les pouvoirs publics multiplient désormais les réglementations anti-diesel, imposant le passage aux modèles électriques. Et Tesla a montré que ce segment pouvait être très rentable. Pour intéresser les investisseurs, réveiller le cours de Bourse, il est donc devenu vital d’afficher une solide stratégie électrique. Tous les constructeurs courent désormais derrière Tesla: le groupe VW, Stellantis, les coréens Hyundai et Kia, etc. Même Toyota a dû s’y mettre, alors qu’il ne jurait que par les hybrides ou les véhicules à hydrogène.
Renault, le pionnier, a donc lui aussi fini par reprendre le fil de l’aventure électrique. Il l’a fait d’abord avec la Megane électrique. Et annonce en 2024 une Renault 5, qui devrait remplacer la Zoe, puis une R4. “La Zoe est un produit daté, qui ne doit pas être très rentable, observe Philippe Houchois. Renault était dès lors en train de perdre son leadership. Il lui fallait réasseoir sa position sur la base de son expérience électrique, et remonter en gamme.”
Investissements partagés avec Nissan et Mitsubishi
Pour s’assurer un niveau d’investissement suffisant, Renault a pu négocier avec les partenaires de l’Alliance, Nissan et Mitsubishi, qui ont accepté que les coûts de développements soient partagés. En janvier, les trois ont annoncé un investissement commun de 23 milliards d’euros sur les cinq prochaines années afin de passer à l’électrification de leur offre, et prévu de lancer 35 nouveaux modèles d’ici 2030, utilisant à 90% des plateformes communes. Il est notamment question de multiplier les modèles au départ de la plateforme CMF-EV, base de la Renault Megane électrique, ainsi que de la Nissan Ariya, qui sort l’été prochain. Au total, 15 modèles seront construits sur cette plateforme dans les différentes marques de l’Alliance, avec l’espoir de vendre 1,5 million d’exemplaires par an, y compris Alpine.
Une avance difficile à mesurer
L’Alliance annonce aussi des investissements pour réduire le coût des batteries de 170 dollars par kWh en 2019 à 65 dollars par kWh (une Megane utilise une batterie de 40 ou de 60 kWh), pour que les modèles sortent à des tarifs acceptables et concurrentiels. L’annonce a servi à rassurer sur la pérennité de l’Alliance. Elle indique que les partenaires estiment qu’il vaut mieux partager les coûts pour affronter la concurrence mieux pourvue, comme Tesla, dont la valeur boursière est telle que son accès aux capitaux est quasi illimité. Renault pèse en effet 10,8 milliards d’euros de capitalisation boursière, là où Tesla fraye avec les 840 milliards d’euros! Mais les groupes VW, Toyota ou BMW bénéficient aussi de moyens supérieurs à l’Alliance. Reste à déterminer si Renault bénéficie encore vraiment d’une avance technologique. La Zoe a été longtemps une des voitures électriques les plus écoulées en Europe. Et le groupe a notamment développé une compétence dans les moteurs à rotor bobiné, qui n’utilisent pas de terres rares, contrairement aux moteurs à aimants permanents, plus répandus. La marque française met ainsi en avant la batterie très fine (11 cm d’épaisseur) utilisée dans la Megane électrique.
Mais la différence la plus visible avec la concurrence, c’est le choix de Renault de travailler avec Google pour l’ infotainement, à la fois pour se simplifier la tâche et promettre une expérience familière aux clients, celle de l’ergonomie de leur smartphone. La navigation est basée sur Google Maps, système généralement meilleur que ceux développés par les constructeurs. En général, ceux-ci évitent d’ouvrir leur tableau de bord à des partenaires aussi puissants, mais les barrières semblent tomber. En contrepartie, Renault promet à Google un accès à certaines données du véhicule.
Un des avantages évidents de ce partenariat, c’est le préconditionnement de la batterie. Lorsqu’un conducteur repère une borne de recharge sur le navigateur Google Maps et manifeste son désir de l’atteindre, le système de la voiture s’assure automatiquement que la batterie atteigne la température optimale. Cela garantit que la charge soit la plus rapide possible. Seul Tesla utilise un dispositif similaire. Renault promet aussi une moindre érosion de l’autonomie en hiver grâce à un dispositif complexe reliant les systèmes de conditionnement de température de la batterie, du moteur et du chauffage. Ce dispositif permet de limiter la consommation nécessaire pour réchauffer la batterie, grâce à la chaleur du moteur. Renault ne donne toutefois aucune indication chiffrée du gain apporté via ce procédé.
“Il n’est pas clair que Renault soit particulièrement en avance sur la concurrence, estime Philippe Houchois. En même temps, quand on a moins de moyens, on est obligé de se montrer plus créatif, alors que chez VW, par exemple, la réponse à tout est toujours: plus d’argent.” Le domaine où Renault a toutefois pu accumuler une expérience intéressante est le commercial. Le groupe vend des véhicules électriques depuis près de 10 ans. Il a pu mesurer les habitudes des usagers, car les Zoe ont été, dès le début, des voitures connectées. Il a donc stocké énormément de données sur les habitudes de recharge des milliers d’automobiles à batteries.
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