Pourquoi tous les magasins intégrés ne sont pas menacés en Belgique

Carrefour fait partie des enseignes qui conservent les deux modèles, intégrés et franchises. © PG
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Si la franchise semble une tendance de plus en plus lourde dans la grande distribution, certaines enseignes conservent leurs magasins en propre. Pour plusieurs raisons.

Bientôt tous franchisés? C’est l’inquiétude de nombreux travailleurs du secteur du commerce après l’annonce de Delhaize de franchiser ses 128 magasins intégrés. Cette décision qui a bousculé la grande distribution pourrait perturber un peu plus l’ensemble des acteurs.

En cause? Les négociations sectorielles qui débutent. “Cela risque de polluer le débat”, admet Christophe Sancy, rédacteur en chef de Gondola. A cela s’ajoutent les intentions d’Intermarché qui envisage également un réseau composé exclusivement de magasins gérés par des indépendants.

“Les magasins intégrés nous permettent de tester et de mettre rapidement en œuvre de nouveaux concepts.”

Plus largement, ces annonces jettent une nouvelle lumière sur le modèle socioéconomique encadrant la grande distribution en Belgique. Une structure jugée dépassée par certains et qui “pousse les magasins vers la franchise”, critiquait Dominique Michel, CEO de Comeos, pour qui “d’autres points de vente suivront” après Delhaize.

“En réalité, il ne reste plus grand monde susceptible d’être directement concerné par la franchise”, tempère Christophe Sancy. Si l’on se concentre sur les supermarchés généralistes (hors discount donc), on ne compte plus beaucoup de magasins intégrés: juste les 44 Carrefour Market, les points de vente appartenant au groupe Louis Delhaize ainsi que certains Albert Heijn et Jumbo ouverts au moment du lancement de ces enseignes en Belgique.

Faut-il donc s’attendre à ce que tous ceux-là changent également de régime? Pas si vite. Si les organisations syndicales défendent corps et âme les magasins intégrés, notamment parce que ces derniers garantissent de meilleures conditions salariales pour les travailleurs, les enseignes elles-mêmes ont également plusieurs raisons de les maintenir.

1. Certains modèles ne sont pas adaptés

Les enseignes de la grande distribution sont, en fait, déjà majoritairement franchisées. L’annonce de Delhaize ne va donc pas faire basculer tout un secteur d’un modèle à l’autre. “Que Carrefour suive cette voie me semble peu probable car le groupe a tout intérêt à maintenir la paix sociale”, pointe Christophe Sancy. Carrefour fait partie des enseignes qui conservent les deux modèles. Le groupe possède encore 84 magasins en propre sur un total de 705.

Parmi eux, des Carrefour Market mais aussi des hypermarchés (à l’exception de celui de Bruges) dont la gestion est complètement différente. “C’est un modèle qui demande des investissements assez conséquents et est donc moins intéressant pour un franchisé”, explique Christophe Sancy.

“Le principal avantage à maintenir ce modèle est la maîtrise complète de ses prix et de ses marges.”

Colruyt se partage également entre les deux modèles avec les magasins Spar sous la bannière Retail Partners Colruyt Group mais la majorité de son parc reste composé de magasins intégrés. “Nous avons un véritable intérêt à conserver ces points de vente, confirme Nathalie Roisin, porte-parole de Colruyt. Dans un modèle basé sur l’efficacité et la gestion des coûts, la centralisation est extrêmement pertinente, encore plus avec la promesse des meilleurs prix de Colruyt.”

Les seules enseignes en Belgique qui travaillent uniquement avec des magasins en propre sont Aldi et Lidl. “Cela fait partie de notre modèle discount et cela correspond à l’efficacité et à la simplicité de notre gestion”, assure Tinne De Keersmaker, porte-parole d’Aldi. Les hard discounters ont en effet un modèle où toutes les décisions sont appliquées uniformément. “Ce sont des machines opérationnelles et logistiques, analyse Pierre-Alexandre Billiet, CEO de la plateforme sectorielle Gondola. Cela ne laisse pas de liberté d’entreprendre.”

2. Maîtriser ses prix en cas de guerre commerciale

Le modèle intégré semble donc davantage un héritage du passé, mais il garde au moins un intérêt. “Le principal avantage est la maîtrise complète des prix et des marges”, ajoute Christophe Sancy qui explique que Colruyt est capable de s’aligner sur les tarifs d’Albert Heijn justement grâce à son réseau d’intégrés. Le groupe sacrifie ses marges sur certains produits, manœuvre qui se révélerait plus difficile avec un réseau d’indépendants dont la rentabilité serait directement touchée. “Faire passer des baisses de prix chez les indépendants est très compliqué”, assure-t-il. Le franchiseur propose certes des prix mais ne peut obliger ses franchisés à les diminuer.

Le modèle intégré offre donc moins de discussions puisque les magasins appliquent directement les décisions de la direction, là où un indépendant voudra négocier les prix, le type de promotion, etc. Garder une maîtrise complète de ses prix et de son assortiment permet donc aux enseignes d’être plus réactives en cas de campagne agressive d’un concurrent, “sans craindre un retour de flamme de la part de son réseau d’indépendants”.

3. Innover et offrir un savoir-faire

C’est la raison première invoquée par Carrefour: l’innovation. “Les magasins intégrés nous permettent de tester et de mettre rapidement en œuvre de nouveaux concepts dans lesquels le groupe souhaite investir”, souligne Siryn Stambouli, porte-parole de Carrefour. Le distributeur conserve donc des points de vente en propre sur l’ensemble du territoire belge afin de pouvoir évaluer ses innovations dans différents contextes. “Il faut pouvoir étudier les concepts selon un modèle rural ou urbain et selon les différentes régions en fonction des habitudes de consommation.”

CHRISTOPHE SANCY
Christophe Sancy (Gondola) © PG

Ces tests – s’ils sont validés – sont ensuite proposés aux franchisés. “C’est aussi à ça que servent les magasins intégrés, confirme Giosino Cornacchia, directeur exploitation franchise chez Carrefour. Offrir un savoir-faire, qu’il soit logistique, marketing, ou conceptuel.” Un exemple? La machine à jus. Celle-ci a d’abord été testée dans les magasins propriétés de Carrefour et est aujourd’hui systématiquement placée dans chaque Express. “On ne peut pas être un bon franchiseur si l’on n’offre pas la garantie que le concept que l’on propose fonctionne”, ajoute Giosino Cornacchia.

Autre exemple qui a d’abord été testé chez les intégrés pour être ensuite implémenté chez les franchisés: les corners bios, ces shops in shop qui permettent aux clients d’avoir accès à un magasin bio dont toutes les catégories de produits sont représentées (food et non food) au sein d’un supermarché ou d’un hypermarché.

Peut-on dès lors considérer que posséder des magasins en propre est un avantage concurrentiel? “C’est aller chercher un peu loin”, nuance Christophe Sancy qui s’étonne tout de même que Delhaize ne conserve aucun point de vente intégré pour toutes les raisons évoquées ci-dessus. Si les intégrés – de par leur surface et les conditions salariales plus avantageuses pour les travailleurs – sont moins rentables, ils peuvent être optimisés via leur rôle de laboratoire d’innovations. “Cela permet de faire évoluer son concept rapidement et d’éviter à son réseau de franchisés de prendre des risques, résume Christophe Sancy. Si les tests ne fonctionnent pas, ils auront été à la charge du groupe et pas des indépendants.”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content