Pourquoi l’hypermarché ne séduit plus : retour sur la chute de Cora


L’enseigne Cora a annoncé vouloir cesser l’activité de ses hypermarchés en Belgique, ainsi que ses services de support, d’ici 2026. La nouvelle n’a surpris personne, tant la situation de ses hypers belges se dégradait. Début 2026, Mitiska REIM reprendra l’immobilier, mais la chaîne disparaîtra. En cause ? Un lourd passif social et un format qui ne séduit plus.
Le secteur de la distribution doit faire face à un nouveau coup dur avec l’annonce de la fermeture des sept hypermarchés Cora. Près de 1.800 emplois seront perdus d’ici à janvier 2026, une fois que les deux magasins bruxellois (Woluwe, Anderlecht) et les cinq situés en Wallonie (La Louvière, Hornu, Chatelineau, Rocourt, Messancy) auront définitivement fermé leurs portes. Syndicats et travailleurs, privés d’informations claires sur la situation de l’entreprise, attendaient avec impatience le conseil d’entreprise extraordinaire convoqué la semaine dernière par la direction de Louis Delhaize, propriétaire de l’enseigne.
Bien que Louis Delhaize ait procédé à une nouvelle injection de capital de 30 millions d’euros fin 2024, le groupe a continué à chercher un ou plusieurs repreneurs de la grande distribution, mais aucun d’entre eux ne s’est montré intéressé, du moins dans les conditions actuelles du marché. “Depuis plusieurs années, la grande distribution fait face à de nombreux défis et s’est heurtée à la montée en puissance de plusieurs phénomènes conjoncturels et structurels”, a expliqué l’entreprise dans un communiqué. “Les perspectives de résultats des années 2025 et 2026 étaient vraiment trop négatives, il n’était malheureusement pas possible de poursuivre nos activités”, a précisé Olivier Haller, CEO de Cora Belux.
Diverses tentatives de réorganisation, de relance, de diminution des surfaces et de licenciements ont échoué, Cora accumulant 34 millions d’euros de pertes en 2024 et redoutant un déficit probable de 90 millions d’euros en 2025. Restructurée à trois reprises en 10 ans, Cora était la dernière enseigne de distribution active au sein de Louis Delhaize. En Belgique, le groupe s’est délesté de toutes ses autres enseignes en cédant Delitraiteur à Colruyt, Match/Smatch en majeure partie à Colruyt, avec quelques magasins à d’autres enseignes, et les Louis Delhaize à Delhaize. À l’étranger, la tendance est la même puisque les magasins ont été cédés à Carrefour en France et en Roumanie et à Leclerc au Luxembourg.
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Petit groupe, grands magasins
La direction de Louis Delhaize estimait qu’avec seulement sept hypermarchés, l’entreprise devait, compte tenu de la taille de ses magasins, recourir à une main-d’œuvre importante sans pouvoir bénéficier d’économies d’échelle pour la logistique ou l’informatique. “Il n’y a jamais eu beaucoup d’économies d’échelle entre nous, constate le CEO de Cora. Le problème vient principalement de l’équilibre de l’exploitation qui cause aujourd’hui la crise de notre modèle.”
Cora exploite en effet de grandes surfaces de 12.000 m² en moyenne, qui nécessitent une main-d’œuvre importante dans un modèle qui n’est pas très flexible. “Une taille critique à l’échelle européenne est cruciale pour négocier avec les fournisseurs et réduire les coûts fixes. Les grands groupes peuvent encore négocier à l’international, ce que Louis Delhaize ne peut pas faire”, explique Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola.
En Belgique, le secteur de la grande distribution est dans une dynamique de consolidation : les grands rachètent les petits. Aujourd’hui, la plupart des enseignes appartiennent déjà à de grands groupes internationaux, ou sont elles-mêmes des chaînes internationales. “En Belgique, seul le groupe Colruyt reste encore indépendant et belge”, rappelle Pierre-Alexandre Billiet.
L’enseigne Cora a longtemps été une véritable institution, étant la destination des familles par excellence afin de réaliser de grosses courses. C’était donc la sortie de la semaine, mais aujourd’hui, les habitudes de consommation ont changé. La composition des ménages a évolué, avec davantage de célibataires et de familles monoparentales plus enclins à fréquenter les commerces de proximité. Et c’est surtout cette recherche de proximité qui a pesé sur le modèle de Cora, avec des hypermarchés situés principalement en périphérie des zones urbaines.
“Il y a aussi les ouvertures du dimanche qui pénalisent ce modèle d’hypermarché”, note Pierre-Alexandre Billiet. Alors qu’auparavant, le dimanche était connu comme jour de repos, il est progressivement devenu un enjeu de taille pour les commerces avec la montée en puissance du modèle de franchise. “Le consommateur belge fait de vraies courses le dimanche, ce ne sont pas des courses de dernières minutes, mais de gros chariots qui ont un impact énorme sur les ventes”, poursuit-il. Le consommateur est dès lors plus enclin à retourner dans le même magasin qui lui offre cette flexibilité et impacte les ventes récurrentes.
E-commerce et hard discount
D’autres raisons expliquent le déclin de l’enseigne, et notamment l’arrivée des hard-discounters qui a affecté les Cora, incapables de suivre la même dynamique. “Pour faire face à l’érosion du pouvoir d’achat, les consommateurs adoptent une approche plus vigilante en matière de dépenses et s’orientent vers des enseignes discount, relève l’enseigne. La montée en puissance du commerce en ligne impacte également considérablement les parts de marché de la grande distribution”, ajoute-t-elle, affirmant au passage que la concurrence avec les pays limitrophes n’aide pas non plus, avec des différences de prix de 30 à 40% sur certains produits.
La particularité de ces hypermarchés, et ce qui séduisait particulièrement la clientèle, était le concept du “tout sous le même toit.” Ce concept, qui a progressivement été délaissé par les consommateurs, a été mis à mal par l’e-commerce et les magasins spécialisés dans le non alimentaire qui offrent un plus large choix, à des prix très compétitifs. “Le ‘tout sous le même toit’, avec des produits de qualité, mais pas exceptionnels, avec des prix intéressants, mais pas non plus exceptionnels, ne fonctionne plus”, affirme en effet Pierre-Alexandre Billiet.
Plus largement, c’est le modèle de l’hypermarché qui est aujourd’hui dépassé en Belgique. “Le modèle est complètement dépassé tant au niveau social, qu’économique et financier, poursuit le CEO de Gondola. Il ne suffit pas de juste fonctionner dans la grande distribution, il faut d’abord être efficace, cela permet soit des prix bas, soit des promotions, soit des marges intéressantes. Or, s’il y a bien un point sur lequel l’hypermarché fait défaut, c’est cette hyper-efficacité, souligne Pierre-Alexandre Billiet. Aujourd’hui, vous ne pouvez être efficace qu’avec un nombre restreint de produits. Or un hyper, ce sont des milliers de produits, à quoi il faut ajouter le coût de l’emploi et le manque de flexibilité.”
“Il ne suffit pas de juste fonctionner dans la grande distribution, il faut d’abord être efficace. S’il y a bien un point sur lequel l’hypermarché fait défaut, c’est cette hyper-efficacité.” – Pierre-Alexandre Billiet (Gondola)
Un passif social trop important
Suite à la fin programmée de Cora, faut-il dès lors s’inquiéter pour Carrefour, dernier acteur en Belgique à disposer d’hypermarchés ? Pas forcément, car si les deux formules sont appelées hypermarchés, elles ne doivent pas être assimilées pour des raisons de taille et d’assortiment. “Les Carrefour sont deux fois plus petits que les Cora et ne sont pas aussi dépendants du non-alimentaire”, relève le CEO de Gondola. D’autant que Carrefour a diversifié et optimisé ses surfaces grâce à des concepts tels que des comptoirs à sushis ou le traiteur italien Prego qui permettent d’attirer le client vers d’autres modèles qui collaborent au succès de l’entreprise.
“Le dénominateur commun entre Cora et Carrefour, c’est le handicap salarial”, ajoute Pierre-Alexandre Billiet. Les deux enseignes opèrent sous une commission paritaire différente des autres acteurs, et ces différences nuisent au modèle de l’hypermarché dont les charges sont plus importantes. “Depuis 2021, les indexations successives ont augmenté les coûts salariaux de près de 20%”, assure le CEO de Cora.
“C’est le passif social qui a eu raison de Cora”, poursuit Pierre-Alexandre Billiet. Pour le CEO, il est nécessaire de changer le paradigme social dans la grande distribution si l’on veut sauver des emplois. “Plus le coût de l’emploi augmente, plus la rentabilité du distributeur est mise à mal, plus il y aura des pertes d’emplois”, avance-t-il.
“C’est le passif social qui a eu raison de Cora.” – Pierre-Alexandre Billiet (Gondola)
Aujourd’hui, la grande distribution souffre à cause du coût salarial, mais également de la concurrence déloyale qui s’opère à partir de l’étranger, essentiellement dans le non alimentaire avec des pratiques de dumping commercial. “Les plateformes asiatiques en Belgique opèrent en dessous de leurs coûts de revient, tous ces acteurs vendent à perte, ce qui n’est pas permis pour les magasins physiques, dénonce Pierre-Alexandre Billiet. La bienveillance ne suffit plus dans un pays agressé par la concurrence déloyale.”
Avec 1.779 personnes, Cora figure dans le top 10 des plus grands licenciements collectifs depuis 2010, selon le SPF Emploi. Le SETCa précise que la moitié des salariés de Cora ont plus de 20 ans d’ancienneté et que 61% d’entre eux sont âgés de plus de 45 ans. Depuis 2018, ce sont plus de 6.000 licenciements qui ont eu lieu dans la grande distribution, et les différentes estimations convergent vers une suppression de 5.000 emplois supplémentaires dans les années à venir si le modèle n’évolue pas.
“Personne ne s’étonne du sort de Cora, mais personne n’a réagi avant que cela ne se produise, ni l’entreprise, ni les syndicats, ni le politique”, regrette encore le CEO de Gondola, qui pointe également la responsabilité des syndicats qui – “c’est tout à leur honneur” – veulent maintenir les bonnes conditions de travail de ceux qui en profitent encore. “Philosophiquement, ils ont raison. Économiquement, ils ont absolument tort. Aujourd’hui, ce n’est pas possible d’aligner les conditions de travail vers le haut, il faut un alignement moyen si l’on veut sauver des emplois”, conclut Pierre-Alexandre Billiet.
Qui est le repreneur immobilier ?
Avec la cession des activités, l’intention de Louis Delhaize est de vendre à la fois Cora et Galimmo, la société qui exploite les galeries commerciales indépendamment de Cora, à un acteur belge, Mitiska REIM. Il s’agit d’une joint-venture entre Mitiska et Axel Despriet, spécialisée dans la gestion et le conseil de fonds d’investissement immobiliers.
Siégeant à Bruxelles, elle investit dans les parcs commerciaux ou les sites de logistique urbaine. Mitiska REIM détient ainsi le Dansaert Park (Grand-Bigard), le Parc de l’Europe (Wavre) ou Malinas (Malines). Elle est aussi active au-delà des frontières.
Quant à Mitiska, l’entreprise a, ces dernières années, fait des passages dans le capital d’enseignes belges comme Carpetland, Brantano, AS Adventure, Heytens ou encore Vanden Borre.
L’entreprise souhaite redynamiser totalement les centres commerciaux en s’appuyant sur le morcellement des surfaces Cora pour y amener et y intégrer de nouveaux acteurs.
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