Odometric, un pied de nez aux odeurs

Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

L’entreprise Odometric, à Arlon, a fait de la mesure des odeurs, et plus globalement de l’analyse et de la gestion de l’air, le cœur de sa stratégie entrepreneuriale. Avec succès, car la concurrence est rare et le marché toujours plus vaste.

Elles peuvent vous rappeler des souvenirs. Elles peuvent aussi vous donner faim. Et si elles ravissent vos narines quand elles sont agréables, c’est une tout autre histoire lorsqu’elles se révèlent nauséabondes. Les odeurs…. C’est à ces dernières que l’entreprise Odometric, installée à Arlon, a décidé de s’attaquer. Et plus particulièrement aux odeurs émises par les sites industriels. “Quand nous avons créé Odometric, l’approche méthodologique pour qualifier et mesurer des odeurs était presque inexistante. Il a été nécessaire de la développer, de l’enrichir afin de répondre aux problématiques de nos clients”, explique Julien Delva, administrateur délégué d’Odometric.

Julien Delva, CEO © PG

A sa création en 2008, cette spin-off de l’université de Liège s’intéressait à la technologie des nez électroniques. “Ce sont des instruments qui ne sont pas toujours très fiables”, poursuit Julien Delva qui rappelle qu’il n’est pas rare d’observer de faux positifs ou de faux négatifs avec ce type d’outils. “Ceux-ci nécessitent beaucoup d’investissement et d’interprétation de traitement des données.” Voilà pourquoi l’entreprise a refusé de les commercialiser seul.

Autour d’un bureau d’étude et d’un laboratoire d’olfactométrie, la société s’est donc plutôt dotée de capacités afin d’analyser les composés présents dans l’air et de modéliser leur dispersion atmosphérique. De cette manière, l’entreprise peut comprendre comment se forment les odeurs et, surtout, comment elles se propagent.

Si l’odeur est une perception qui peut varier d’un individu à l’autre, elle n’en reste pas moins quantifiable. Ces molécules chimiques qui se propagent dans l’air interagissent avec nos récepteurs olfactifs: si une interaction se produit, une odeur est détectée. “On parle d’unité odeur européenne par mètre cube, précise l’administrateur délégué. Par définition, une unité odeur c’est le seuil de perception.” En Wallonie, une entreprise ne peut dépasser le seuil de perception plus de 2% du temps, soit 175 heures par an, chez les riverains les plus proches.

Seuil de perception

Après les prélèvements en entreprise, Odometric fait alors appel à un jury de “nez moyen”, à savoir des personnes dont la perception des odeurs est située dans la moyenne. “Tous les jours, dans nos bureaux, des gens viennent sentir des odeurs qui sont rarement agréables, s’amuse-t-il. Les échantillons de l’odeur prélevée sont d’abord soumis de façon très diluée, puis nous diminuons la dilution jusqu’à ce que les personnes perçoivent l’odeur. Nous obtenons ainsi une mesure précise de son seuil de perception.” Ces analyses sont ensuite combinées avec les mesures de débit effectuées pour obtenir un “flux d’odeur”, afin de vérifier que l’entreprise respecte les normes en vigueur.

“Se soucier des odeurs non toxiques, ça peut paraître secondaire. Jusqu’à ce que les riverains se plaignent…”

Les nuisances olfactives ne sont pas considérées comme une pollution au sens strict puisque les émanations sont rarement dangereuses pour la santé des citoyens. Voilà pourquoi le traitement des odeurs est rarement une priorité des industries. “Pour une entreprise, se soucier des odeurs, si elles ne sont pas toxiques, ça peut paraître secondaire, poursuit-il. Jusqu’à ce que les riverains s’en plaignent…” Parmi ses clients, Odometric compte donc aujourd’hui des entreprises issues des secteurs de la chimie, de la méthanisation, de l’agriculture ou de l’agroalimentaire mais aussi des intercommunales de gestion de déchets, des stations d’épuration.

Travail d’intermédiaire

Dans nos régions, les sites industriels, autrefois éloignés des agglomérations, se sont progressivement retrouvés intégrés à un tissu urbain qui n’a cessé de se densifier au fil des années. De plus en plus d’habitants sont donc confrontés à de potentiels effluves industriels, et tolèrent moins facilement qu’autrefois certaines odeurs. C’est ainsi qu’Odometric s’est également intéressée à la médiation entre riverains et industries. L’ambition est de régler l’ensemble de chaque problématique rencontrée, même les aspects liés au voisinage et à la communication. “Beaucoup d’industriels travaillent sur le sujet mais ne communiquent pas”, constate le CEO.

Après une étude de l’impact sur le voisinage et afin de réconcilier les deux entités, l’entreprise cherchera donc des solutions en assistant l’industriel. Mais c’est lui qui devra poser des choix, à la suite des diverses analyses opérées. Odometric propose en général plusieurs solutions à l’entreprise selon le problème identifié, mais également une optimisation des coûts de fonctionnement de chaque solution. Un exemple? Les ventilateurs industriels utilisés pour évacuer et purifier l’air des bâtiments. “Dans certaines entreprises, ça peut représenter 20% des coûts de l’électricité alors que ce n’est pas l’activité principale.”

Conscient que leur travail reste parfois peu visible aux yeux des publics concernés, Julien Delva et son équipe – l’entreprise compte neuf personnes – déploient en outre des observatoires de riverains afin d’impliquer les citoyens dans le processus et recréer du lien entre l’industriel et son voisinage. L’entreprise vient par exemple de boucler le dossier d’une station d’épuration qui faisait l’objet de nombreuses plaintes. L’exploitant n’en connaissait pas la cause. Mais grâce aux relevés des membres de l’observatoire, Odometric a pu comprendre le type d’odeur et les fréquences de perception. “La station d’épuration recevait les rejets d’un industriel qui n’étaient pas prévus et qui arrivaient à certains moments très précis”, explique Julien Delva. L’entreprise a pu développer un traitement et un suivi adapté à ce rejet.

Préservation de la qualité de l’air

Cette expertise unique peut s’appliquer à l’investigation des odeurs mais également être mise en œuvre pour contribuer à la préservation de la qualité de l’air autour d’une activité industrielle ou encore de dépollution des sols. “Ce sont des activités en forte croissance”, poursuit Julien Delva. Dans ce cadre, Odometric a mis en place des outils de mesure de la chimie de l’air et des poussières mais aussi de biosurveillance afin de mesurer les risques que présente une activité industrielle. Grâce à la surveillance et à l’analyse de ruches, bryophytes (la fameuse mousse qui pousse dans le jardin) et autres lichens, l’entreprise peut déterminer le type de pollution auquel les riverains sont exposés.

En Belgique, l’entreprise cohabite avec un concurrent. Odometric s’active en Wallonie alors que la société Olfascan, installée à Gand, se concentre sur la Flandre. “Nous collaborons très souvent dans des dossiers plus techniques”, précise Julie Delva. Si la majorité du chiffre d’affaires – plus d’un million et demi d’euros en 2022 – vient principalement de Belgique, celui-ci reste très variable en fonction des années. “Environ 60% de notre activité se passe en Région wallonne mais nous sommes également présents en France et au Luxembourg.”

S’il a pu se faire une place de leader sur le marché, c’est parce que le laboratoire d’Odometric est accrédité selon la norme Iso 17025. “C’est une accréditation assez rare”, ajoute Julien Delva qui précise que seules deux entreprises en bénéficient en Belgique, et à peine trois en France. La concurrence est donc très limitée, mais le marché toujours plus vaste.

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