Nouveau CEO, nouvelles ambitions: la Sonaca voit grand
Le nouveau CEO de la Sonaca, Yves Delatte, lance un plan pour doubler la taille du groupe wallon à l’horizon 2025. Un fameux objectif pour un groupe qui souffre encore de la pandémie, comme tout le secteur aéronautique.
Redoubler d’ambition et de taille malgré la crise: cela semble être le mot d’ordre chez Sonaca, l’un des principaux acteurs belges dans l’aéronautique. La pandémie a fléchi ses ventes mais la société mise sur une consolidation du secteur et espère bien en être un des moteurs.
Basé à Gosselies, le groupe Sonaca est actif dans la fabrication d’aérostructures, en particulier les slats (bords d’attaque de l’aile) et les flaps (volets arrière de l’aile). Il fournit quasi tous les fabricants d’avions de passagers en Occident, de Boeing à Embraer, en passant par Bombardier, Dassault et Pilatus. “Chaque fois que vous levez les yeux, que vous apercevez un avion, il y a de fortes chances qu’il y ait une pièce Sonaca à bord“, s’enorgueillit Yves Delatte, CEO de la Sonaca depuis septembre dernier. Celui-ci occupait auparavant le poste de chief commercial officer du groupe et succède à Bernard Delvaux, parti diriger le groupe Etex.
Le groupe met aussi en avant son intérêt pour la durabilité.
Retour à la normale en 2024 ou 2025
L’entreprise n’est pas encore revenue à la situation de 2019, lorsqu’elle dépassait les 781,6 millions d’euros de ventes. “On n’arrivera pas au niveau de 2019 dans le marché de l’aérostructure avant 2024 ou 2025, même si la remontée des ventes est plus rapide que ce que nous avions prévu”, note Yves Delatte. Pour 2021, le groupe Sonaca devrait annoncer 450 millions d’euros de ventes et un Ebitda positif de 13 millions d’euros. En 2020, les actionnaires avaient recapitalisé l’entreprise pour résister à la crise du covid.
La Sonaca, dont l’actionnariat est réparti entre la Région wallonne (85%) et la SFPI (15%), a été obligée de licencier à la suite de la crise sanitaire une partie du personnel des filiales étrangères au Brésil, au Canada et aux Etats-Unis. Ainsi, chez LMI Aerospace, principale filiale américaine, le personnel est passé de 2.350 à 1.250 personnes. “En Belgique, heureusement, le dispositif de chômage temporaire corona a permis d’éviter les licenciements, ajoute Yves Delatte. C’est une bonne chose pour le personnel, et aussi pour l’entreprise, car il aurait été difficile de réembaucher le type de profils particuliers que nous employons. Beaucoup d’autres pays n’ont pas mis en place ce genre de dispositif, ou pas immédiatement. Aux Etats-Unis, nous avons toutes les peines à réembaucher car la demande redémarre.” La Sonaca occupe 1.350 personnes en Belgique, sur un total (avant covid) de 4.700 salariés pour le groupe. Elle discute avec les pouvoirs publics pour obtenir un dispositif de soutien au-delà de la fin mars (lorsque le chômage covid devrait en principe prendre fin) “car notre secteur souffre d’un covid long et on a besoin d’un remède de longue durée”.
Toujours plus international
Basé à Gosselies, le groupe Sonaca dispose de filiales pour produire près des clients: au Brésil pour fournir Embraer, au Canada pour servir Bombardier, aux Etats-Unis (avec LMI notamment) pour livrer Boeing. Il dispose aussi d’implantations dans des pays où le coût de la main-d’oeuvre est plus bas, comme la Roumanie ou le Mexique, via LMI. Cette internationalisation est appelée à s’accentuer avec la consolidation annoncée. En 2016, le groupe s’est aussi diversifié en lançant la fabrication de monomoteurs (Sonaca Aircraft) pour lesquels il cherche un partenaire pour pénétrer sur le marché américain ou le marché militaire, ou pour développer un avion électrique.
Faire partie du top 3 européen
En quoi consiste le plan de développement 2025 de la Sonaca? “Nous espérons arriver autour de 1,5 milliard d’euros de ventes, répond Yves Delatte. Nous voulons faire partie du top 3 européen”, estimant que la Sonaca est aujourd’hui le sixième acteur indépendant en Europe.
L’objectif est de racheter des entreprises en Europe ou de fusionner en restant majoritaire. Le marché global des aérostructures se situe autour des 40 milliards d’euros actuellement et devrait continuer sa croissance après que l’impact du covid se soit dissipé. Outre la consolidation, le plan 2025 de Sonaca inclut aussi une volonté de diversifier les activités, le tout en poussant la digitalisation et le développement durable.
Cette hâte à grandir s’explique car la consolidation en question est déjà en cours. Elle a débuté aux Etats-Unis et arrive en Europe. “Notre secteur doit se consolider maintenant parce que les avionneurs se sont rendu compte, pendant la crise, que fonctionner avec une chaîne de valeur très fragmentée est compliqué à gérer et qu’il y a de gros risques. Ils nous demandent alors d’être proactifs.” Autrement dit, de chercher les acquisitions à faire. La stratégie est soutenue par le conseil d’administration, “qui l’a approuvée fin décembre”. Les actionnaires publics sont donc totalement d’accord. Le marché des aérostructures (éléments de fuselage, d’ailes) est plus fragmenté que les autres catégories de fournisseurs des avionneurs que sont les motoristes, les fabricants d’avionique et ceux qui produisent les intérieurs (sièges notamment).
Former un champion belge?
Cette vision de croissance externe était déjà présente lorsque Bernard Delvaux occupait le poste de CEO. Il avait organisé en 2017 le rachat du groupe américain LMI Aerospace pour diversifier la clientèle et réduire la dépendance à Airbus en rachetant un fournisseur de Boeing. “J’étais très proche de Bernard Delvaux, il ne fallait pas s’attendre à une révolution de palais“, confie Yves Delatte. Cette stratégie pourrait déboucher sur la formation d’un champion belge, “mais cela ne suffirait pas à atteindre notre objectif d’arriver dans le top 3 européen en 2025“, ajoute le CEO. On le comprend, le CEO de Sonaca vise surtout des acteurs hors de Belgique. Une liste de sociétés cibles a été établie mais Yves Delatte n’en dira pas plus.
Cette vision basée sur la consolidation ne devrait pas forcément augmenter à court terme l’emploi en Belgique. Le business du groupe est par nature international. S’il rachète des acteurs hors des frontières, les opérations augmenteront son périmètre, pas les effectifs au siège. “Pour le moment, notre objectif est plutôt de faire revenir les salariés qui sont en chômage temporaire covid et qui représentent, selon les départements, 10% à 20% des effectifs”, explique Yves Delatte. Les livraisons ont été réduites par la crise. Airbus assemble actuellement 50 A320 par mois, contre 63 avant la pandémie. Donc, la Sonaca livre moins de slats et de flaps. Les longs-courriers sont aussi assemblés au ralenti, à la moitié de leur rythme historique.
Les acquisitions comportent des risques. La Sonaca les connaît: en décembre 2019, LMI Aerospace, aux Etats-Unis, a subi les effets de l’interdiction de vol pendant plus d’un an du Boeing 737 Max, un des avions les plus vendus au monde et qui représentait la moitié de son chiffre d’affaires (20% pour le groupe Sonaca). La crise du covid a rajouté une couche. Depuis cette acquisition, Sonaca affiche des pertes, “en partie comptables, avec l’amortissement du goodwill (écart entre un prix payé trop haut et la valeur réelle de l’acquisition, Ndlr) pour LMI”, ajoute Yves Delatte. “Nous avons cependant généré des cash-flows positifs tout au long de la crise.”
Ces turbulences n’ont pas dissuadé la Sonaca à renoncer à la stratégie de la consolidation. “LMI Aerospace reviendra aux profits en 2022”, annonce le CEO, qui précise que la filiale a été restructurée: “Nous sommes passés de 21 à 12 sites pour rationaliser la production“. La filiale sera un élément important de la stratégie de croissance.
Ces efforts d’acquisition s’accompagnent aussi d’une optimisation des sites de production, afin de consolider le core business et tenir face à la pression des clients. Servir des avionneurs comme Boeing ou Airbus garantit un carnet de commandes à long terme mais malgré l’inflation, il n’est pas question d’augmenter les prix. Au contraire, les clients demandent plutôt des diminutions: c’est aux fournisseurs de travailler sur leur productivité, de renégocier les prix avec leurs propres fournisseurs, de sous-traiter certaines fabrications dans des pays à la main-d’oeuvre meilleur marché, comme la Roumanie ou le Mexique pour la Sonaca.
La promesse des avions taxis
Il y aura aussi des efforts d’ingénierie pour suivre une tendance du marché: fournir des pièces avec plus de valeur ajoutée, plus d’équipement. “Aujourd’hui, nous livrons des structures nues, non équipées, mais les avionneurs sont intéressés de recevoir des éléments prééquipés pour accélérer leur cycle de production, explique Yves Delatte. C’est un peu comme dans l’automobile où, au lieu de livrer un simple pare-choc, les équipementiers peuvent le livrer avec les capteurs, et éventuellement l’éclairage.” Ainsi, les bords d’attaque, éléments mobiles des ailes, que livre Sonaca à Airbus (et à d’autres) pourraient comprendre un système de dégivrage et des moteurs électriques intégrés. Plusieurs projets sont en cours.
Outre la croissance par acquisition, le groupe Sonaca souhaite donner un coup d’accélérateur à la diversification. Dans le militaire notamment, “qui est moins cyclique que l’aviation commerciale”. Le groupe bénéficie ainsi d’une retombée de la commande de F-35 par l’armée belge, à travers BeLightning, une joint-venture avec Asco Industries et la Sabca, pour assembler les empennages horizontaux des F-35 livrés hors des Etats-Unis. La Sonaca espère aussi pouvoir vendre des avions monomoteurs d’entraînement à l’armée belge via sa jeune filiale Sonaca Aircraft basée à Temploux.
Fournir le spatial américain
Via sa filiale LMI Aerospace, le groupe espère aussi augmenter ses activités dans le spatial, y compris aux Etats-Unis où SpaceX prospère. Et participer de manière intelligente à un nouveau marché très prometteur – encore flou – de la mobilité urbaine, avec des taxis volants. “Il y a plus de 200 acteurs actifs dans ce domaine”, avance Yves Delatte, qui souhaite participer à ce mouvement en limitant les risques “à travers des services d’ingénierie”.
Le CEO connaît bien le sujet: à son arrivée chez Sonaca en 2013 après une carrière chez Glaverbel puis McKinsey, c’était sa première mission: créer Sonaca Engineering Services. “Nous avons maintenant 60 ingénieurs et chefs de projets actifs dans ce service”, note-t-il. Parmi les clients figurent Cowboy, une start-up produisant des vélos électriques, qui a demandé des études d’ingénierie pour mettre au point ses vélos high-tech connectés.
Le groupe met aussi en avant son intérêt pour la durabilité. Un exercice obligé: le secteur est sous pression pour sortir des avions moins émetteurs de CO2. “L’association mondiale des transporteurs aériens a promis que le secteur sera décarboné totalement pour 2050”, précise le CEO. L’entreprise a réduit ses émissions de 50% en 10 ans, notamment en se couvrant de panneaux photovoltaïques. Le parking visiteurs du siège est, du reste, hérissé de bornes de recharge.
Si tout va bien, la consolidation pourrait améliorer la rentabilité structurelle du groupe et se rapprocher de celle des motoristes, qui sont moins nombreux et qui bénéficient de revenus récurrents grâce à la maintenance, ce qui n’est généralement pas le cas pour les éléments Sonaca. “Nous souffrons de la qualité de nos produits“, sourit Yves Delatte.
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