Marcolini mise sur l’Asie et entend doubler son offre de boutiques en Chine
La société japonaise VM2 Holdings est devenue l’actionnaire majoritaire des chocolats Pierre Marcolini et nourrit de fortes ambitions. Pour le fondateur de la marque, pas de gros changement: l’homme reste maître de la création et la production sera toujours bien belge avec un nouvel atelier bruxellois à l’horizon 2024.
Les histoires qui commencent dans un garage ont toujours une saveur particulière. Surtout lorsque leurs auteurs transforment une petite aventure entrepreneuriale en une success story internationale. Bill Gates et Microsoft, Steve Jobs et Apple, Jeff Bezos et Amazon… Les exemples sont nombreux et souvent embellis avec les années qui accompagnent la construction patiente d’un label décrété mythique.
Mais lorsque cette histoire de garage est belge et chocolatée, elle prend une tout autre dimension sur l’échelle des saveurs patriotiques. A 58 ans, Pierre Marcolini peut se targuer d’une aventure “ à la Steve Jobs” avec une marque de chocolats éponyme devenue, elle aussi, internationale. Entre son premier atelier de 30 m2 à peine, installé en 1995 dans un garage de Crainhem en périphérie bruxelloise, et ses 45 boutiques haut de gamme déployées aujourd’hui en Europe, en Asie et au Moyen-Orient, le chemin de cet artisan chocolatier inspire forcément le respect.
Virage asiatique
Si l’histoire est belle, une question toutefois s’impose: le chocolatier Pierre Marcolini est-il toujours “vraiment” belge? Sur la carte d’identité de l’intéressé, rien n’a évidemment changé, mais l’entreprise bruxelloise est passée il y a tout juste un mois sous pavillon nippon. La société japonaise VM2 Holdings (elle-même détenue par le fonds d’investissement sud-coréen MBK Partners) est en effet devenue l’actionnaire majoritaire des chocolats Marcolini et elle nourrit aujourd’hui de fortes ambitions.
“Au niveau de l’actionnariat, il est vrai que l’entreprise n’est plus vraiment belge, reconnaît Pierre Marcolini, mais la marque reste belge parce que le savoir-faire est belge. Les nouveaux propriétaires veulent d’ailleurs que toute la production continue à se faire ici, à Bruxelles, pour défendre justement ce savoir-faire. Ils ont investi dans une histoire, celle d’un chocolat d’auteur. Cet ancrage bruxellois et cet artisanat qui nous caractérisent sont très importants à leurs yeux.”
Preuve en est avec ce nouvel investissement qui va doper la production de Pierre Marcolini à l’horizon 2024. Juste à côté de son atelier bruxellois de Haren qui emploie 80 personnes, dont 60 artisans (sur 400 employés à travers le monde), l’entreprise chocolatière vient d’acquérir un vaste bâtiment pour 2,5 millions d’euros. Objectif: agrandir les installations et les doter de nouveaux modèles de fabrication pour tripler la production de pralines et autres douceurs dans les 10 prochaines années. Avec ces aménagements et les nouvelles infrastructures, le montant total de l’investissement oscillera entre 4 et 5 millions d’euros pour donner vie à ces 5.000 m2. Soit un espace 150 fois plus grand que son garage originel de Crainhem…
Le chocolatier espère engager une trentaine d’artisans supplémentaires dans les deux ans et tripler sa production dans les 10 prochaines années.
Garder son âme
Cette nouvelle dimension “industrielle” ne risque-t-elle pas de porter un coup à la dimension artisanale du chocolatier? “On peut devenir une marque internationale en gardant son âme, ses valeurs et son artisanat, répond Pierre Marcolini. Exactement comme l’ont fait de grandes maisons de luxe françaises, Chanel et Hermès en tête, qui ont su justement préserver leur savoir-faire tout en se développant à l’international et en multipliant leur nombre de boutiques.”
Pour appuyer son discours, le chocolatier rappelle que la matière première est essentielle dans la fabrication de ses produits qualitatifs et qu’il restera fidèle à ses fournisseurs minutieusement sélectionnés. A Haren, son “coffre-fort”, comme il l’appelle, renferme des dizaines de gros sacs en toile de jute avec, à l’intérieur, des fèves de cacao venues de l’île africaine de São Tomé, d’Indonésie ou encore de Cuba. Pionnier du mouvement “bean to bar” (de la fève à la tablette), Pierre Marcolini est un artisan qui fabrique son chocolat à partir d’une fève qu’il choisit lui-même, sans passer comme d’autres grandes marques par un chocolat dit “de couverture” qui sert de base à leurs produits grand public. Voilà pourquoi l’homme parle de chocolat d’auteur lorsqu’il évoque ses pralines raffinées dont la matière première a été torréfiée dans son propre atelier. Une matière première pour laquelle il met d’ailleurs le prix, histoire de soutenir aussi les producteurs locaux qui lui garantissent un produit de haute qualité: “Nous payons plus de 3.500 dollars la tonne de fèves de cacao alors que ce prix sur le marché mondial est à 2.000 dollars, précise Pierre Marcolini. Nous tenons à leur octroyer un revenu acceptable.”
Nouvelles boutiques
Pour le chocolatier, il n’est donc pas question de brader la qualité dans les nouveaux plans de croissance. L’actionnaire de référence VM2 Holdings tient d’ailleurs à ce positionnement haut de gamme de Pierre Marcolini, avec le souhait clairement affiché de développer fortement la marque en Asie, un marché qui représente déjà 50% du revenu global de l’entreprise (son chiffre d’affaires consolidé est évalué aujourd’hui à plus de 50 millions d’euros).
“La priorité est de développer le marché japonais, annonce Jeanne Guillet, CEO des chocolats Pierre Marcolini. Nous avions déjà neuf boutiques au Japon et nous venons d’en ouvrir une dixième à Osaka. En Chine, nous comptons huit boutiques et nous allons en inaugurer une neuvième à l’aéroport de Shanghai. Nous espérons doubler cette offre asiatique dans les deux à trois prochaines années.”
L’Europe n’est pas délaissée pour autant. La marque, qui dispose déjà de cinq points de vente en nom propre à Paris, en ouvrira prochainement un sixième dans le Marais. Le Royaume-Uni, non plus, n’est pas oublié: Pierre Marcolini, qui possède une boutique et deux prestigieux corners dans les magasins Harrods et Selfridges à Londres, développe actuellement le projet d’installer un quatrième point de vente dans la capitale britannique.
Histoire d’amour
Mais c’est bel et bien au pays du Soleil levant que l’essentiel des efforts de conquête seront déployés dans les prochains mois. “Depuis 23 ans, je vis une véritable histoire d’amour avec le Japon, confie Pierre Marcolini qui porte aujourd’hui la triple casquette de fondateur, administrateur et directeur de la création des fameux chocolats. Il y a un vrai engouement pour la marque là-bas et d’ailleurs, à la Saint- Valentin, nous installons aussi une centaine de boutiques éphémères sur un territoire qui pourrait s’étendre, en Europe, de Hambourg à Nice.”
Trop modeste, le chocolatier ne l’affirmera pas lui-même mais là-bas, il est une véritable star, multipliant les interviews et les séances de dédicaces sur ses boîtes de pralines lors de l’inauguration de ses pop-up stores à ce moment particulier de l’année. Et c’est précisément pour accompagner cette belle histoire que le fonds japonais VM2 Holdings est entré dans la danse.
L’idée d’un tel développement en Asie n’aurait-elle pas été envisageable avec un fonds européen comme actionnaire principal? “Les gens pensent que le label ‘chocolat belge’ vous ouvre toutes les portes, réagit Pierre Marcolini, et que vous pouvez dès lors facilement vous installer dans n’importe quel department store au Japon, mais c’est faux! Ce n’est pas gagné d’avance et les quelques fonds européens avec qui j’ai discuté le savent (le précédent actionnaire de référence était le fonds britannique Neo Capital qui a revendu ses parts, Ndlr). Ils ont peur de ce marché et je peux facilement le comprendre. Le Japon est un pays insulaire, un pays de clubs et de réseaux. En nous associant avec VM2 Holdings qui connaît très bien ce marché japonais, la marque a désormais plus de poids et tout ira plus vite. L’idée n’est pas d’ouvrir beaucoup plus de magasins, mais d’en ouvrir beaucoup plus rapidement.”
Une école du vivant
Pour anticiper l’augmentation très probable de la demande asiatique à moyen terme, Pierre Marcolini a donc enclenché l’agrandissement de son atelier de production à Haren. Adepte de la démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises), le chocolatier promet de nouvelles installations durables (panneaux solaires, récupération de l’eau de pluie, etc.) qui joueront aussi la carte de la transparence envers les consommateurs. Il s’est en effet engagé sur la voie d’une certification B Corp, du nom de ce prestigieux label octroyé aux entreprises qui répondent à des exigences sociétales et environnementales très strictes, ainsi qu’à des normes de gouvernance et de transparence envers le public.
“Dans notre nouveau bâtiment, l’idée est de rendre l’atelier accessible aux visiteurs et de montrer tout le processus de fabrication, détaille Pierre Marcolini. On travaille aussi sur un concept de café et surtout sur un projet d’école où l’on pourrait proposer une formation continue. Ce serait une école du vivant où l’on pourrait suivre des stages et s’inscrire à des ateliers participatifs. Je reste persuadé que le rôle d’une entreprise est de former les jeunes et les moins jeunes. Il faut libérer la connaissance.”
Avec son nouvel atelier qui sera inauguré dans le courant de l’année 2024, le chocolatier espère engager une trentaine d’artisans supplémentaires dans les deux ans et tripler sa production dans les 10 prochaines années.
Récompenses et collections
L’aventure asiatique débute à peine pour Pierre Marcolini. De son parcours atypique, le Belge retient son obsession et sa détermination à faire un produit de qualité qui, il y a presque 30 ans, sortait des sentiers battus du chocolat belge. Aujourd’hui, il n’exprime aucun regret, pas même celui de s’être momentanément associé au géant de l’agroalimentaire Nestlé afin de créer de petits chocolats pour la marque de café Nespresso. “Le seul regret que je pourrais avoir, c’est que nous n’avons pas bien communiqué à l’époque, précise Pierre Marcolini. C’était une belle aventure entrepreneuriale qui a duré trois ans et qui nous a amené non seulement des capitaux, mais aussi de la connaissance.”
Auréolé des titres de Champion du Monde de Pâtisserie à Lyon en 1995, de Fournisseur de la Cour de Belgique depuis 2015 et de Meilleur Pâtissier du Monde aux World Pastry Stars de 2020, le chocolatier poursuit doucement son histoire gustative, déclinant les saisons en collections raffinées, à l’instar des grands couturiers. L’été 2023 est ainsi placé sous le signe de la vanille avec un “plumier” des plus exquis. Un savoir-faire et une renommée qui lui ont d’ailleurs valu une entrée dans l’édition 2016 du Petit Larousse Illustré. Sans doute la plus belle victoire pour cet autodidacte qui a réussi à faire de son garage le tremplin de toutes ses ambitions.
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