“Quand le cultivateur n’a plus de fèves, Il n’y a plus de chocolat c’est la nature”

© Stefano Bajak

Trends Style a accompagné le maître chocolatier bruxellois Pierre Marcolini à Guayaquil, la plus grande ville portuaire de l’Équateur et aussi l’une des villes les plus dangereuses d’Amérique du Sud. À la recherche de la fève de cacao ultime pour une nouvelle tablette de chocolat. “Je n’envoie jamais de représentants externes pour rendre visite aux producteurs de cacao. Je veux les rencontrer moi-même. Et ressentir qui ils sont.”

“C’est tout de même incroyable que quelqu’un ait eu l’idée de transformer une fève de cacao pour en faire ceci!” À côté de moi, le chocolatier belge le plus célèbre, Pierre Marcolini. Nous sommes dans une camionnette qui cahote sur une route sableuse à près de 10 000 km de chez nous. Il tient dans ses mains trois tablettes de chocolat provenant de trois cultivateurs de cacao de la province de Los Rios, en Équateur. Tous les trois attendent le Belge avec impatience dans l’espoir de signer un contrat en or.

“Le cours mondial du cacao est d’environ 1 500 dollars la tonne”, dit Pierre Marcolini. “Maison Pierre Marcolini paie jusqu’à quatre fois plus. Ou même plus s’il s’agit d’un lot que je veux vraiment.” Les grands fabricants du monde entier achètent du cacao en vrac. Ils forcent les cultivateurs de cacao à vendre leur récolte au prix le plus bas. Malheureusement, la qualité est rarement prise en compte, car la plupart des fèves de cacao sont mélangées pour en faire du chocolat industriel. Pierre Marcolini a commencé sa quête du chocolat d’origine il y a plus de 20 ans. Le jeune fils d’immigrés italiens de Charleroi ne souhaitait qu’une chose: comme un chef prépare un plat, il voulait faire un chocolat qui ne soit pas interchangeable. Au lieu d’utiliser le chocolat industriel des grands fabricants, il le créerait lui-même à partir de la fève de cacao.

Quand on propose une édition limitée d’une tablette, ce n’est pas du marketing. Cela veut dire qu’il n’y a littéralement plus de fèves de cacao de cette plantation

Du cacao, mais pas à n’importe quelles conditions

Depuis, dans ses ateliers de Haren et d’Anvers, Pierre Marcolini torréfie des fèves de cacao provenant de huit coins du monde. Le cacaoyer s’épanouit dans tous les pays autour de l’équateur, pour autant qu’il fasse chaud et humide. Le chocolatier s’enorgueillit de visiter personnellement tous ses producteurs de cacao et passe près de la moitié de l’année à l’étranger. “C’est le Cercle du Cacao qui me renseigne, il s’agit d’une association qui aide les producteurs de cacao à obtenir de meilleurs prix. Maison Pierre Marcolini pose un certain nombre de conditions: une culture aussi biologique que possible, pas de travail des enfants, replanter des arbres pour remplacer les arbres abattus pour une plantation de cacao, éviter le plus possible l’utilisation de cacaoyers hybrides et certainement pas de cacaoyers génétiquement modifiés.

Sécher Marcolini vérifie le fèves de cacao séchant au soleil.
Sécher Marcolini vérifie le fèves de cacao séchant au soleil.© Stefano Bajak

Un contact personnel

“L’Équateur est un petit acteur dans l’industrie du cacao. Il ne produit que 365 000 tonnes sur un total de dix millions de tonnes, dont le Ghana et la Côte d’Ivoire fournissent déjà 60%. Que pensez-vousde ce chocolat?” Pierre Marcolini a préparé un chocolat à partir d’échantillons de Nacional Ecuador Arriba qu’il a reçus il y a quelques semaines. C’est la fève de cacao la plus indigène d’Équateur et elle provient de trois plantations éloignées l’une de l’autre d’à peine vingt kilomètres. Étonnamment, elles ont chacune un goût différent. “C’est un peu comme le vin, le terroir détermine tout. Aujourd’hui, je connais par coeur les caractéristiques gustatives des fèves de chaque pays, mais même au sein d’un même pays, les disparités de sols et de climats influencent la saveur du fruit de la plante”, poursuit le chocolatier. J’ai une préférence pour l’un des trois, mais il ne veut pas encore me dire lequel c’est. “Quand je reçois des échantillons, nous faisons des expériences dans l’atelier. Si elles s’avèrent intéressantes, je me rends dans le pays en question pour rendre visite aux cultivateurs. Voir d’où vient le produit qu’on aime tant travailler donne une dimension totalement différente au processus de création. Et le cultivateur aussi a tendance à donner plus de sa personne quand il constate qu’on est vraiment impliqué”, déclare Pierre Marcolini.

Un échange de connaissances et d’expertise

Deux heures plus tard, à la plantation de Walter Washington Carriel, j’apprends qu’entre 1870 et 1950, il y a eu un âge d’or du cacao en Équateur. Il poursuit l’oeuvre de ses parents et grands-parents. Dans un petit bois, de grands bananiers font de l’ombre à des cacaoyers en ordre dispersé. De grandes légumineuses de différentes couleurs poussent le long des troncs des arbres, les faisant pencher de plus en plus. Difficile d’y déceler une structure, mais la famille Carriel semble y voir un terrain de jeu. Littéralement, car les petits-enfants foncent à vélo sur les feuilles éparpillées en rivalisant pour attirer notre attention. Pierre Marcolini a disparu dans une petite cabane en bois. “La salle de fermentation!”, s’exclame-t-il en sortant la tête. “Le cultivateur de cacao doit non seulement choisir les bonnes plantes, il doit aussi connaître la fermentation, car ce processus détermine en grande partie les arômes du cacao”, explique-t-il. Et ce n’est pas toujours facile quand on vit dans une région rurale, avec peu de ressources. “C’est pourquoi il est si important d’être sur place. Nous recherchons des collaborations à long terme, je discute avec eux et je les observe pour savoir s’ils sont ouverts aux suggestions.”

Expérience Il faut beaucoup d'expérience pour savoir quelles gousses sont mûres.
Expérience Il faut beaucoup d’expérience pour savoir quelles gousses sont mûres.© Stefano Bajak

Une fève de cacao indigène

Mais les cultivateurs bénéficient également d’un soutien local. Rafael Burgos, qui a mis Marcolini en contact avec la famille Carriel, travaille avec l’Université d’Espol sur un projet subventionné par l’Union européenne autour de la préservation du Nacional Ecuador Arriba, qui ne représente qu’un pour cent de toutes les fèves de cacao. À la fin des années 1990, dans un souci de stimuler la production de cacao, un clone du cacaoyer a été introduit en Équateur: le CCN-51. Contrairement à la variété indigène, sensible aux maladies et au soleil, cette plante génétiquement modifiée n’a pas besoin d’ombre et produit beaucoup plus de fruits. Et bien que le goût et la qualité soient médiocres, de plus en plus de cultivateurs de cacao poussés au désespoir se tournent vers le CCN-51. “Avec toutes les conséquences désastreuses que cela implique. Comme le CCN-51 n’a pas besoin d’ombre, les bananiers aussi disparaissent des plantations, de même que la biodiversité qui est essentielle tant pour la santé des sols et de notre planète que pour l’arôme de la fève”, explique Rafael Burgos.

Expérience Il faut beaucoup d'expérience pour savoir quelles gousses sont mûres.
Expérience Il faut beaucoup d’expérience pour savoir quelles gousses sont mûres.© Stefano Bajak

Nous suivons Walter et son frère dans les plantations. En se frayant un chemin à la machette, ils recherchent des cabosses mûres, qui sont parfois suspendues à plusieurs mètres de hauteur. Il faut beaucoup d’expérience et une grande attention pour savoir quelles cabosses sont mûres. “Dès que nous repérons des écureuils qui grignotent une cabosse, nous savons qu’elle est mûre”, dit Walter Carriel en riant. Mais pourquoi Walter Carriel se donne-t-il tant de mal alors qu’il pourrait lui aussi passer à une variété de cacao bien plus facile à cultiver?

“Mes ancêtres ont fondé cette plantation. Je vis ici avec ma famille depuis des générations. Il me semblerait très injuste de ne pas respecter notre fève originelle”, dit-il. Il a autour du cou un pendentif géant qui représente le Christ, mais on the side, Walter Carriel est aussi le guérisseur du coin. Les habitants du village demandent au cultivateur des conseils sur un problème particulier et repartent avec une vieille bouteille de coca en plastique remplie d’une décoction maison. Cela me laisse songeur: dame nature a encore son mot à dire ici.

Les périls

Un autre péril majeur pour le cacao est le manque de relève. La deuxième plantation est entourée de bananiers, de buissons d’ananas et d’autres arbres fruitiers. Dehors, étalées sur le sol en béton, les fèves de cacao sèchent au soleil. C’est un endroit idyllique, mais la fille de la propriétaire nous annonce alors qu’elle compte revendre la plantation à un cultivateur de bananes. Le rendement du cacao est trop faible, du moins avec leurs méthodes de culture. “Le changement climatique ainsi que le fait qu’il n’y a pratiquement plus de jeunes prêts à perpétuer la tradition signifient qu’il pourrait bientôt y avoir une pénurie de cacao”, affirme Pierre Marcolini.

La pression croissante exercée par le monde sur la culture du cacao est aussi l’une des préoccupations d’Unocace, une coopérative réunissant vingt-sept associations de cultivateurs et le troisième partenaire potentiel de Pierre Marcolini. La quantité de labels qui ornent la porte est impressionnante. “Le label bio du Canada n’est pas le même que celui d’Europe”, explique le directeur Jorge Ortiz. Unocace respecte toutes les conditions chères à la Maison Pierre Marcolini. Toutefois, lors de la visite d’une plantation Unocace, Pierre Marcolini me tire la manche: “Regardez, ces cacaoyers sont tous en plein soleil. Nous devons découvrir s’il s’agit de variantes CCN-51.” Et avant même que je sorte de la voiture, Pierre Marcolini est déjà en pleine discussion avec Victor Haro, un agriculteur de 73 ans. Il prie notre interprète de demander subtilement comment il se fait que les arbres n’aient pas besoin d’ombre.

La mission L'une des missions de Marcolini est de distinguer sur place les vrais plants de cacao des clones qualitativement moins intéressants.
La mission L’une des missions de Marcolini est de distinguer sur place les vrais plants de cacao des clones qualitativement moins intéressants.© Stefano Bajak

Le processus de création en action

“Seriez-vous prêt à ne pas fermenter les fèves?” C’est la question que j’entends par hasard Pierre Marcolini poser plus tard à Jorge Ortiz. Je lui demande si cette idée lui trotte dans la tête depuis un moment. Car je viens d’apprendre que la fermentation est primordiale pour la saveur. “J’avais entendu cette idée au Japon et je viens d’y repenser. Ce n’est pas parce qu’on fait la même chose depuis un siècle que l’on ne peut pas essayer de faire les choses différemment, n’est-ce-pas?”

Quand il n’y en a plus, il n’y en a plus

Le dernier jour, Pierre Marcolini a rendez-vous avec Raphaël pour négocier les prix. Le choix s’est porté sur Walter Washington Carriel. “Ce n’est pas une négociation difficile. Nous leur payons ce qu’ils demandent. Je leur donne une avance pour garantir mes fèves de cacao et leur revenu. Seulement, quand il y a un ouragan, comme il y a eu à Cuba et que vous voyez la récolte de vos producteurs détruite, c’est un peu dur à avaler. Souvent, les clients ne se rendent pas compte que pour le cacao, on dépend également des récoltes. Quand on propose une édition limitée d’une tablette de chocolat, ce n’est pas du marketing. Cela veut dire qu’il n’y a littéralement plus de fèves de cacao provenant de cette plantation.” Toutefois, on ne peut jamais exercer un contrôle total à une telle distance. N’a-t-il donc jamais peur que l’on profite de lui? “Non. Et si cela arrive, cela arrive littéralement une seule fois et la coopération s’arrête net et irrévocablement.”

Des mois plus tard, je reçois en avant-première la tablette de chocolat carrée, confectionnée à partir des fèves de cacao de Walter. Je détecte des arômes de café et une note fruitée acidulée. Rétrospectivement, il s’avère que c’était mon préféré dès le départ. C’est vrai que c’est plus cher, mais on n’achète pas un simple morceau de chocolat, on achète aussi un morceau de terroir, un morceau de passion. Et c’est très certainement le meilleur médicament que Walter peut offrir au monde.

Le chocolat single origin d’Équateur est en vente au prix de 8 euros dans toutes les boutiques de Maison Pierre Marcolini, eu.marcolini.com

© Stefano Bajak

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