Que votre chef « n’ait jamais une minute » pour vous n’est pas (entièrement) une affaire de mauvaise volonté : c’est souvent le symptôme d’un modèle organisationnel qui demande d’encadrer trop avec trop peu de ressources.
Le constat est partout le même : les managers intermédiaires manquent cruellement de temps. Et pour cause : ils sont de moins en moins nombreux, tout en devant encadrer des équipes plus larges et gérer des responsabilités toujours plus complexes. Résultat : des journées à rallonge, la tête dans le guidon, et une disponibilité réduite pour leurs collaborateurs.
Un rôle devenu surdimensionné
En Belgique, comme ailleurs dans le monde les signaux d’alerte se multiplient. Une enquête récente de Mensura révèle que 42,8 % des managers estiment subir une charge de travail trop élevée – un des taux les plus hauts parmi toutes les catégories professionnelles. Même constat du côté de Deloitte Belgique, qui observe que la fonction s’est transformée : le manager n’est plus seulement un expert technique, mais aussi un coach, un facilitateur, un agent d’exécution des décisions stratégiques et un stratège… tout en restant coincé dans des tâches administratives chronophages.
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Moins de managers, plus d’équipes et des journées sans fin
Les entreprises « s’aplatissent ». La tendance au « flattening » a réduit les couches hiérarchiques : les managers intermédiaires supervisent aujourd’hui des équipes beaucoup plus larges qu’il y a dix ans. Selon Federgon, la fédération des prestataires de services RH, le marché de l’intérim management explose en Belgique, signe que les entreprises tentent de combler temporairement des manques de leadership en attendant de stabiliser leurs structures. Dans les faits, cela se traduit par un ratio de plus en plus déséquilibré : un manager qui supervisait hier 5 à 6 personnes en encadre aujourd’hui souvent 15 à 20.
Cela se traduit également par des journées hachées, saturées de réunions et de micro-interruptions pour ces managers. Les managers reconnaissent qu’ils n’ont plus le temps d’organiser des entretiens individuels, de répondre aux sollicitations de leurs équipes, ou même de lire les mails synthétiques qu’ils demandaient autrefois. À l’inverse, une demande de la direction générale appelle une réponse immédiate – ce qui accroît la pression ressentie.
Que faire ?
Certaines entreprises belges s’organisent. BNP Paribas Fortis, par exemple, multiplie les ateliers et conférences pour aider ses managers à s’approprier les grands principes de fonctionnement du groupe. D’autres entreprises, mettent en place des communautés managériales afin d’échanger des bonnes pratiques et de briser l’isolement.
Plus globalement, les experts plaident surtout pour une réduction des réunions « institutionnelles » et d’exploiter les outils numériques – voire l’IA – pour automatiser les reporting. Mais aussi de déléguer davantage. Il existe des formations « à la délégation », à la priorisation et au coaching, pour que le manager cesse d’être le « filtre » systématique. Histoire aussi de récupérer de ce temps qui leur manque cruellement.
Un enjeu stratégique
Car le middle management reste une fonction clé : ce sont ces profils qui incarnent au quotidien les valeurs de l’entreprise, motivent les équipes et assurent la traduction opérationnelle des décisions stratégiques. Leur surcharge chronique est donc un risque majeur – à la fois pour leur santé personnelle, mais aussi pour la performance des organisations. Devenu le pivot silencieux des entreprises, s’il faiblit c’est l’équilibre même de l’entreprise qui vacille.Et c’est d’autant plus problématique que ce n’est pas seulement le manager qui en souffre.
Moins de disponibilité, c’est plus de stress pour les collaborateurs
Un manager épuisé devient moins protecteur pour son équipe. Son stress se transmet, et c’est un multiplicateur de burn-out dans l’organisation.
Car face à ce manque de disponibilité, deux attitudes opposées émergent. Soit le manager bascule dans un micro-management centré sur les chiffres, générant pression et perte de sens. Soit, à l’inverse, il délègue sans accompagnement, créant insécurité psychologique et erreurs évitables. Dans les deux cas, le stress des collaborateurs s’amplifie.
Un manager surchargé n’a plus non plus le temps d’écouter, de coacher ou de reconnaître le travail de ses collaborateurs. Or, selon une enquête de Securex (2023), le manque de reconnaissance figure parmi les premiers déclencheurs de burn-out en Belgique. La saturation se traduit aussi par un transfert de charges : certaines tâches sont reportées sur l’équipe, tandis que les priorités venant de la direction ne sont plus filtrées. Résultat : une surcharge diffuse, vécue comme une désorganisation. D’après Mensura (2024), cette perception accroît de 50 % le risque de burn-out.
Enfin, cette pression constante entraîne un effet boule de neige : les entretiens de suivi ou de développement disparaissent, privant les équipes d’un espace d’échange. Cela alimente désengagement et absentéisme, deux phénomènes que IDEWE identifie comme des facteurs indirects mais puissants de burn-out.
L’absentéisme, un poste significatif
Mensura estime le coût moyen direct/indirect de l’absentéisme à plus de 1 500 € par employé et par an. Pour des cas sévères (burn-out), des estimations font état d’un coût moyen par cas pouvant atteindre entre 23 000 et 31 000 € pour l’employeur — incluant réorganisation du travail, remplacements temporaires, recrutement et formation. Des montants qui soulignent que la surcharge des managers n’est pas seulement un problème RH : c’est un enjeu financier réel. Surtout pour les plus gros groupes ou les conséquences se comptent en millions. Bichonner le middle management n’est donc pas un luxe.