Marie-Hélène Caillol (Leap): “Nous voulons aider les entreprises à brancher leur GPS de l’avenir”

Marie-Hélène Caillol (Leap) © PG
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Plus que jamais, nous avons besoin de comprendre le monde dans lequel nous vivons afin de faire les bons choix.

Marie-Hélène Caillol préside depuis plus de 17 ans le Leap, le Laboratoire Européen d’Anticipation Politique (www.leap2040.eu). Elle enseigne aussi l’anticipation politique depuis 2018 à l’Inseec (L’Institut des hautes études économiques et commerciales, une école de commerce privée française). Aujourd’hui, elle travaille à ce que cette méthode sorte des temples académiques pour aller se frotter au monde de l’entreprise. Car, dit-elle, les entreprises sont un des moteurs principaux du changement. Et elle plaide pour que les entreprises développent leur « intelligence collective de l’avenir ».

Anticiper n’est pas prévoir

Mais d’abord, qu’est-ce que l’anticipation politique ? C’est une méthode qui a été fondée par Frank Biancheri, un homme politique français disparu prématurément en 2012 qui était un promoteur d’une Europe véritablement citoyenne. Il a notamment été « l’un des pères du programme Erasmus » en permettant son adoption en 1987 grâce à l’intervention du réseau européen qu’il avait lancé deux ans plus tôt.

Mais il avait aussi mis au point une méthode particulière basée sur le fait que dans des systèmes complexes comme les Etats ou les entreprises, aucune décision ou action politique n’est possible sans anticipation. « Lorsque vous pilotez un petit bateau, expliquait-il, vous pouvez décider de changer de cap et le faire dans la foulée ; lorsque vous pilotez un pétrolier, vous devez décider quand exactement vous changerez de cap, donc à un moment déterminé (anticipation), et commencer à effectuer la manœuvre (action politique). »

Cette méthode d’anticipation politique explore le futur moins en prolongeant les tendances existantes qu’en recherchant les points de ruptures à venir provoqués par les convergences/divergences de différents facteurs (sociaux, démographiques, économiques, géopolitiques, culturels, techniques…) influençant nos destins. Le Leap, inventeur  de cette méthode, publie régulièrement un bulletin d’anticipation. Il a été ainsi un des premiers à entrevoir, dès 2006, le surgissement d’une crise systémique financière. « Si l’on considère que les changements font partie intégrante de la vie quotidienne, nous sommes contraints de les accompagner, et non de tenter de résister », souligne Marie-Hélène Caillol.

Avenir et intelligence collective

Aujourd’hui, la présidente du Leap estime que les entreprises auraient intérêt à associer l’anticipation politique à l’intelligence collective. « Nous travaillons depuis trois ans sur le concept de mise en intelligence collective de l’avenir, dit-elle. Nous avons commencé à le mettre en œuvre dans le cadre de l’Inseec, en organisant une réflexion de groupe entre professeurs pour les amener à faire évoluer leurs manières de travailler et d’enseigner. » L’Inseec a par exemple appliqué ces principes d’intelligences collectives et d’anticipation pour rédiger un petit guide, Doing Business in 2025, « à l’intention des étudiants et écoles pour ne pas rater les milliards de métiers en vue ».

« Et cette expérience m’a amené à réfléchir à la manière dont les entreprises prennent leur décision et travaillent à leur agilité », poursuit Marie-Hélène Caillol. L’idée consiste à utiliser les outils de l’intelligence collective au service de la projection d’un regard collectif vers l’avenir ». Leap a ainsi pris contact avec des entreprises pour les aider dans ce processus.

« Notre mission n’est pas de venir expliquer aux entreprises ce qui les attend demain mais de mettre en place le dispositif qui instaurera au sein de l’entreprise une capacité collective de discernement de l’avenir : tendances systémiques pertinentes affectant leur secteur, questionnement des certitudes, changements « inattendus », acteurs et événements disruptifs, opportunités stratégiques,… », explique Marie-Hélène Caillol. Le projet consiste par exemple à organiser au sein des entreprises des réunions régulières de groupes (relativement restreints) réunissant des personnes de toutes fonctions et de tous les niveaux hiérarchiques. Dans ces réunions, chacun expliquerait alors ce qui est en train de changer ou ce qui changera à court terme dans son domaine d’activité.

Ce « micro-management » est assez éloigné du management à l’occidentale, plutôt vertical. « Il est en revanche très proche du management que l’on observe en Chine, explique Marie-Hélène Caillol.

Dans un entretien à Trends Tendances, Sandrine Zerbib, une femme d’affaires française qui a fondé la filiale chinoise d’Adidas, expliquait en effet que « dans la culture chinoise, l’atout numéro un est d’avoir des yeux : bien observer, voir où sont les opportunités et les saisir quand elles se présentent. Une société comme le spécialiste de l’hyper fast fashion Shein est dans ce modèle de l’observation permanente du consommateur au travers des outils digitaux, et elle se caractérise par une réactivité absolue face à ces observations ».

L’avenir est déjà écrit

Marie-Hélène Caillol abonde : « Le système pyramidal n’est plus adapté à notre monde. Nous devons aller vers des systèmes plats. Et quand nous parlons d’intelligence collective de l’avenir, cela signifie que notre mission n’est pas de faire des scénarios sur les avenirs souhaitables mais de trouver les indices de l’avenir tel qu’il va réellement se dérouler et essayer d’être au plus près de ce qui va arriver. Nous partons d’un principe simple :  l’avenir à 2,3 ou 5 ans est déjà écrit ».

Et elle ajoute : « La première tâche est de bien définir ce qui relève de l’avenir (présent, passé, avenir, ce n’est paradoxalement pas toujours clair dans l’esprit des gens). Mais une fois que l’on parle d’avenir, tout le monde est au même niveau et tout le monde a des angles différents, qui n’ont d’intérêt que s’ils sont croisés pour emmener le collectif dans une vision plus large. Ces réunions régulières n’aboutissent pas à de grandes révolutions, mais à des micro-changements et aident une organisation à mieux voir ce qu’elle a devant elle et à s’y préparer. Elles l’aident à brancher son GPS de l’avenir ».

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