Laurent Louyet, Manager de l’Année 2024 : “Mon père m’a toujours laissé ma place”

Laurent Louyet
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Laurent Louyet a pris la tête de l’entreprise familiale à 31 ans seulement. Et cela, après avoir endossé différentes fonctions, histoire d’avoir toutes les cartes en main pour mener à bien le développement du groupe. “Une véritable chance”, explique l’intéressé.

Le Manager de l’Année 2024 évoque avec nous la place de la famille dans le groupe Louyet, dont il est le représentant de la troisième génération, ainsi que sa vision d’un secteur bien chahuté ces derniers temps.

TRENDS-TENDANCES. Le prix du Manager de l’Année fête ses 40 ans, et son premier lauréat était Albert Frère qui, comme vous, est originaire de Charleroi. L’avez-vous rencontré ?

LAURENT LOUYET. Tout à fait. J’ai été lui livrer un véhicule à mes tout débuts. Je devais avoir une vingtaine d’années, au début des années 2000. Je lui ai amené sa voiture à son domicile, à Gerpinnes. Un très beau souvenir, j’étais impressionné, il avait été charmant.

Quelle importance ont pour vous Charleroi et le Hainaut ?

Je suis, comme mes parents, originaire de Charleroi. C’est une fierté. La ville est souvent décriée, on en parle davantage pour des points négatifs que positifs. J’ai toujours été très fier de voir qu’une entreprise dont le siège social est situé à Charleroi puisse fort bien se développer. Nous avons élargi notre activité dans le Hainaut, notamment à La Louvière, à Mons, avec une clientèle assez similaire.

Votre père vous a cédé les commandes en 2013, alors qu’il avait 58 ans. C’est rare, dans une entreprise familiale, que le passage de témoin se fasse si tôt…

Prendre la direction à 31 ans a été ma plus grande chance. J’ai travaillé une dizaine d’années avec mon père. Cela s’est très bien passé. Il me laissait la responsabilité d’un département, la vente par exemple. J’avais mon autonomie, il y a eu le développement de la concession de Sambreville en 2007. Mon père m’a toujours laissé ma place, on discutait énormément, il m’inspirait beaucoup. C’est pour cela qu’en 2013, quand il a pensé que j’étais prêt, il a complètement arrêté. Il est toujours actionnaire, mais n’est plus dans l’opérationnel.

Je pense que c’est parfois le problème dans certaines successions : le père veut continuer à diriger l’entreprise, même après en avoir cédé la direction. Mon père me dit toujours que pour gagner aux cartes, il faut les avoir toutes en main. Si je voulais développer ma vision de l’entreprise, c’était important d’avoir toutes ces cartes en main. C’est ma plus grande chance. Je suis certain que si cela ne s’était pas passé de cette manière, je n’aurais pas pu développer l’entreprise comme je l’ai fait.

Quand mon père s’est retrouvé seul à diriger la concession en 1980, il s’est retrouvé un peu perdu, avec des fonctions qu’il ne connaissait pas. C’est pour cela qu’il m’a fait voyager dans toutes les fonctions de l’entreprise, pour que je ne vive pas cela.

“Depuis toujours, je sais ce que je veux faire. Cela ne m’a pas donné la possibilité de réfléchir à ce que je voudrais faire d’autre.”

Vous avez des frères et sœurs ?

J’ai une sœur, Valérie, qui travaille dans l’administration-vente du groupe. Elle n’était pas candidate pour reprendre. Là aussi, tout a été bien géré, nous avons discuté de tout ce qui devait l’être. Nous n’avons pas eu les conflits que certaines familles peuvent connaître.

Avant que vous ne repreniez la direction de l’entreprise, aviez-vous parlé avec votre père de votre vision, donc d’une croissance du groupe ?

Oui. Je voyais des groupes qui arrivaient en Belgique pour racheter des concessions, j’étais conscient qu’il fallait grandir. Rester sur deux concessions, cela allait devenir compliqué.

Comment le métier a-t-il évolué ?

Considérablement. Nous sommes maintenant multisite. Le métier passe au one stop shopping. On ne vend plus simplement une voiture, mais aussi un programme d’entretien, du financement, une assurance.

Pourquoi avez-vous préféré vous développer ?

Il y a plusieurs raisons. Certains monosites se rendent compte que pour continuer dans le métier, il faut avoir des équipes, des professionnels dans chaque département, les grosses structures ont plus de facilité pour cela. Les marges sont de plus en plus limitées, il faut donc faire des économies d’échelle, difficiles à obtenir avec un seul site. Deuxième raison : la succession. Il faut un repreneur qui a l’énergie pour développer le site. Certains ont une vision moins positive quant au futur de l’automobile. Je suis positif sur ce futur, surtout en ce qui concerne la mobilité individuelle.

Malgré la pression environnementale ?

Elle est là, mais on ne peut pas passer du jour au lendemain aux transports en commun pour tous les déplacements. On n’est pas prêt. Le futur de l’électrique, qu’on le veuille ou non, va arriver, au moins en grosse partie. Il va falloir renouveler la flotte. Je crois aussi au monde du luxe, avec Rolls-Royce, McLaren, Aston Martin.

Laurent Louyet

Avez-vous un objectif de taille pour le groupe ?

Non, je ne fais pas d’acquisition pour le plaisir de faire des acquisitions. Elles doivent avoir un sens, apporter quelque chose en plus au groupe.

Comment arrivent les propositions ?

Un cas n’est pas l’autre. Souvent, nous sommes contactés par le propriétaire en place. J’en connais beaucoup, c’est un petit monde.

Votre business ne dépend-il pas un peu trop des voitures de société ?

Il dépend des marques et des régions. BMW à Bruxelles est plus dépendant de la voiture de société qu’à Charleroi ou Mariembourg. Cela dépend de la marque. Rolls-Royce est beaucoup moins dépendant de la voiture de société.

La voiture-salaire est critiquée. N’y a-t-il pas un risque, à moyen terme, que le cadre fiscal soit moins favorable ?

Cela fait partie des risques pour tout le secteur automobile.

Quel est le grand défi de la voiture électrique ?

C’est notamment de s’entourer de nouveaux diagnosticiens.

Ce sont d’autres profils que des mécaniciens ?

Oui, ce sont des électromécaniciens. Il faut en trouver, les former, il y a un gros besoin. Les métiers changent, cela n’a plus rien à voir avec les vidanges.

Les délais de maintenance changent-ils ?

La maintenance d’un véhicule thermique se fait entre 25.000 et 30.000 km, mais avec une voiture électrique, comme il n’y a plus de remplacement des fluides, les intervalles sont plus longs. Il n’y a pas grand-chose à faire hormis la vérification des pneus et des freins. Et le changement du filtre à pollen. Il n’y a plus les travaux propres aux voitures à carburant : vidange de l’huile de boîte de vitesses, embrayage, etc.

À terme, devrez-vous modifier les effectifs de l’après-vente ?

La vente de voitures électriques augmente, mais le parc roulant est massivement thermique, ce n’est pas la mort du métier à court terme. Ce sera très progressif. Par ailleurs, l’échéance de 2035 pourrait être modifiée…

Cette échéance sera rediscutée au niveau européen en 2026. Il est question d’accepter d’autres carburants synthétiques zéro émission…

Ce sont des choses possibles. L’électrique est une voie intéressante, mais ce qui tient moins la route, c’est de demander à tout le monde de rouler en électrique.

Vend-on une Rolls-Royce comme une BMW ?

Les marchés sont complètement différents, avec des volumes réduits, des expériences client importantes. C’est une personnalisation très poussée, on accompagne le client à l’usine pour personnaliser la voiture.

Qui sera le Manager de l’Année 2024?

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