L’Union belge de football doit corriger le tir

Domenico Tedesco. Le sélectionneur des Diables Rouges n’a plus les faveurs du public, ni même de nombreux spécialistes. © PRESSE SPORTS
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Plus que jamais, l’entraîneur des Diables Rouges se trouve sur un siège éjectable. Problème : son licenciement coûterait cher, très cher à la fédération belge de football qui ne peut pas vraiment se le permettre. Sa situation financière est catastrophique, mais l’occasion est peut-être venue pour mettre justement un peu d’ordre dans les comptes de cette génération désargentée.

Les héritiers et rares survivants de la génération dorée ne brillent plus. Depuis leur fiasco à la Coupe du monde au Qatar en 2022 (élimination au premier tour), les Diables Rouges peinent à séduire et à se maintenir dans les hautes sphères du football mondial. Ils sont inertes, éteints, perdus. Entre un Euro 2024 poussif et leurs derniers matchs lamentables en Ligue des Nations, on ne les reconnaît plus.

Avec leur récente défaite contre Israël, personne ne s’étonnera dès lors que des banderoles Tedesc’out aient fleuri devant le stade Roi Baudouin pour réclamer le départ du sélectionneur national Domenico Tedesco. Catalyseur de toutes les frustrations, l’entraîneur des Diables Rouges ne jouit plus des faveurs du public, ni même de nombreux spécialistes, en raison de son bilan désastreux : six défaites et seulement deux victoires lors des 10 derniers matchs officiels joués pour l’Euro 2024 et la Ligue des Nations.

Une majorité de supporters et plusieurs cadres du football belge veulent désormais du sang neuf à la tête de l’équipe nationale, non seulement pour redorer le blason noir-jaune-rouge, mais surtout pour éviter le cercle vicieux : les mauvais résultats qui s’enchaînent, c’est moins de supporters dans les stades, moins de sponsors pour les Diables, moins d’argent pour l’Union belge de football, moins de moyens pour recruter un entraîneur de prestige, moins de punch pour motiver l’équipe et le risque que le déclin de notre football ne s’installe dans la durée.

Finances dans le rouge

Dans les hautes sphères de la fédération, le cas Tedesco est régulièrement évoqué et un conseil d’administration était d’ailleurs prévu ce 28 novembre. Nul ne sait encore si le sort du sélectionneur national sera scellé ce jour-là, car un nouveau directeur sportif est attendu le 2 décembre en la personne de Vincent Mannaert. Et il se dit en coulisse qu’il faudra au moins son avis d’expert avant que le débat ne soit définitivement tranché. Toujours est-il que le prochain match des Diables ne se jouera pas avant quatre mois (à savoir les barrages pour rester en Ligue A de la Ligue des Nations) et que l’atmosphère risque d’être bien lourde jusqu’à ces duels importants.

Alors, sur un siège éjectable, Domenico Tedesco ? Encore faut-il que l’Union belge ait l’envie et surtout les moyens de se débarrasser de l’entraîneur des Diables avant la fin de son contrat qui expire avec la prochaine Coupe du monde en 2026. Selon nos confrères du journal flamand Het Laatste Nieuws, le licenciement prématuré du technicien allemand coûterait aujourd’hui près de 1,5 million d’euros à la fédération. Or, les finances de cette dernière sont au plus mal, plombées par près de 12 millions de pertes en 2023 sur un chiffre d’affaires de 57 millions. Remercier le sélectionneur actuel et libérer des fonds pour recruter un nouvel entraîneur ne ferait qu’aggraver la situation.

“Les caisses ne sont cependant pas vides, commente Pascal Flisch, analyste chez Trends Business Information. L’association dispose encore de 16,1 millions d’euros en banque. C’est presque 6 millions de plus que l’année précédente, mais les dettes fournisseurs ont augmenté de quasiment le même montant pour atteindre 16,9 millions en 2023. Bref, la situation n’est pas brillante. Si les ventes ne se redressent pas en 2024, il va falloir restructurer.” Et ces coupes devraient se faire parmi quelque 150 équivalents temps plein répertoriés fin 2023.

La valse des CEO

Contactée par nos soins, la fédération n’a pas souhaité faire de commentaires ni sur le cas Tedesco ni sur sa situation financière. Tout au plus apprend-on, dans son dernier rapport annuel, qu’une série de facteurs ont contrarié l’exercice 2023, une année impaire et donc sans tournoi d’envergure comme l’Euro ou la Coupe du monde et les recettes qui les accompagnent. “La perte a été plus importante que prévu, écrit l’association dans son rapport. Nous avons en effet dû faire face à une perte de revenus liée à une série de matchs des Diables Rouges, à une augmentation des coûts d’exploitation et à une série de changements organisationnels majeurs.”

Parmi ces “changements” en 2023, on notera le licenciement onéreux de l’ancien CEO Peter Bossaert (1,6 million d’indemnités de sortie) et le recrutement d’un nouveau CEO, Piet Vandendriessche, débauché chez Deloitte et lui-même démis de ses fonctions à peine quelques mois plus tard. Des opérations coûteuses – nous y reviendrons – qui ont lesté les comptes de l’Union belge. Résultat de cette année tempétueuse où les ventes des tickets pour les matchs des Diables ont été bien en dessous des attentes (dont un Belgique-Serbie joué sans public) : d’une perte initialement budgétisée à 6 millions d’euros, le déficit comptable s’est finalement creusé à 11,9 millions pour l’année 2023, soit le double.

Mais ces “accidents” sont-ils suffisants pour justifier l’inquiétante situation financière de la fédération ? Dopée par la génération dorée et sa première place au classement Fifa durant trois ans et demi (de septembre 2018 à février 2022), l’Union belge n’aurait-elle pas pu surfer sereinement sur l’état de grâce des Diables afin d’enchaîner les résultats positifs dans ses exercices comptables ? Ses finances se révèlent éminemment cycliques en fonction des années paires ou impaires, et donc de l’organisation de grands tournois (à l’exception des années covid où l’Euro a “glissé” de l’année 2020 à 2021). Mais la fédération a-t-elle pour autant fait preuve, ces dernières années, d’une gestion exemplaire ? Il semblerait que ce soit tout le contraire.

Les finances de l’Union belge de football depuis 2014 et début de la génération dite dorée.

La folie des grandeurs

Le 1er septembre 2018, alors que les Diables Rouges sortent d’une très belle Coupe du monde en Russie avec une victoire en quart de finale contre le Brésil et une remarquable troisième place sur le podium, Peter Bossaert, ancien patron de l’entreprise audiovisuelle Medialaan (VTM, Qmusic, etc.), prend les rênes de l’Union belge de football. Les exploits passés et à venir de la génération dorée sont sur toutes les lèvres et le nouveau CEO de la fédération voit grand, très grand. À commencer par son salaire qui flirte avec les 500.000 euros par an, agrémentés d’une prime de 100.000 euros annuels en fonction des bons résultats. Et des bons résultats, il y en aura.

Vu le nouveau statut de “meilleure équipe du monde” (selon le classement contesté de la Fifa), il faut en mettre plein la vue avec les Diables Rouges. Bref, ce sera “open bar” avec un rebranding de l’Union belge de football, le recours à des consultants externes, un nouveau logo pour les Diables et, surtout, un impressionnant déménagement du siège de la fédération de Bruxelles vers Tubize où de toutes nouvelles installations (bureaux, terrains d’entraînement, vestiaires, restaurant, centre de congrès, etc.) se sont ajoutées aux infrastructures existantes du Centre national. Une révolution toutefois bienvenue à l’aube du 125e anniversaire de l’Union belge, avec un quartier général flambant neuf officiellement inauguré en septembre 2022. Et une grande fête qui, à elle seule, a coûté plus de 500.000 euros selon la RTBF, montant qui nous a été confirmé en interne.

Bien sûr, l’Union belge a pu compter sur la vente d’une bonne partie de son patrimoine immobilier pour financer ses ambitions tubiziennes, mais il n’en reste pas moins qu’elle vit toujours au-dessus de ses moyens. Et la valse des CEO – trois en moins de deux ans ! – n’a pas épargné ses comptes, entre les indemnités de licenciement, les procédures de recrutement et les nouveaux salaires alléchants.

Petits privilèges entre amis

Nommé il y a deux mois à peine à la tête de la fédération, le nouveau patron Peter Willems a déjà pas mal de pain sur la planche, entre la crise sportive qui entoure Domenico Tedesco et la situation financière de l’institution. Après un championnat d’Europe décevant et des matchs de la Ligue des Nations boudés par le public, le rapport annuel 2024 risque d’être à nouveau terne pour l’Union belge. Sans compter que 2025 sera une année sans tournoi d’envergure. Et si la même logique s’applique qu’à 2023, les finances feront à nouveau grise mine.

Alors comment corriger le tir ? En trouvant de nouveaux sponsors ? En augmentant la cotisation des affiliés de la fédération ? Ou en remettant un peu d’ordre et de raison dans la gestion des instances dirigeantes ? Car c’est sans doute là que le bât blesse. “L’Union belge de football est mal gérée depuis longtemps, constate Jean-Michel De Waele, sociologue du sport à l’ULB. Il y a eu énormément d’instabilité à la tête de cette organisation, avec des CEO et des administrateurs qui ont été régulièrement en conflit. Il est clair que l’équilibre est très difficile à trouver entre le volet sportif et le management pur, mais on notera que le monde du football est un milieu qui cultive l’entre-soi et les petits privilèges. Quand ces personnes voient des gamins de 20 ans gagner des sommes astronomiques sur le terrain, ils veulent aussi avoir leur part du gâteau ! Et si vous venez d’une autre sphère pour tenter de mettre un peu d’ordre dans ce milieu-là, ça ne fonctionne pas.”

Il y a un réel manque de transparence et de bonne gestion dans cette institution.
Paul Van den Bulck

Paul Van den Bulck

ex-président du CA de l’Union belge

L’heure d’un régulateur ?

Mettre de l’ordre, imposer des règles de bonne gouvernance, jouer la carte de la transparence… C’est précisément ce qu’ont tenté de faire certains dirigeants venus du monde économique, à l’instar de Piet Vandendriessche, l’ex-patron de Deloitte qui a enfilé le costume de CEO de l’Union belge durant les neuf premiers mois de cette année, avant d’être étonnamment remercié. Ou encore l’avocat Paul Van den Bulck, président du conseil d’administration de la fédération de juin 2022 à mai 2023, et qui n’a eu d’autre choix que de remettre sa démission.

“Il y a un réel manque de transparence et de bonne gestion dans cette institution, témoigne Paul Van den Bulck. C’est un monde avec une chape de plomb où très peu de personnes défendent l’intérêt général et où règne une certaine omerta. Le copinage prévaut, contrôleurs et contrôlés s’entendent à merveille, et tout le monde se tient. Or, il faudrait une réforme profonde de la gouvernance dans le football belge ! Je pense que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer et ils devraient notamment s’inspirer de la Grande-Bretagne qui a le projet d’installer un régulateur indépendant pour mettre justement de l’ordre dans son football. Ce ne serait pas inutile de faire la même chose chez nous.”

Les comptes de l’Union belge seraient peut-être, alors, enfin à l’équilibre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content