L’ouverture dominicale bouscule un peu plus la grande distribution

À l’instar de bon nombre de ses concurrents, Carrefour souhaite ouvrir ses magasins le dimanche. © Getty Images

C’est dans l’accord du gouvernement : l’interdiction du travail le dimanche est supprimée. Cette mesure va entraîner un sérieux changement dans le secteur de la distribution. Elle pourrait en effet léser les hypermarchés ou certains magasins qui ne sont pas en mesure d’ouvrir le dimanche, mais elle permettrait à d’autres de rattraper leur retard.

Cela n’aura pas tardé. Quelques semaines à peine après l’accord du gouvernement fédéral, le secteur de la distribution réagit déjà à l’une de ses mesures. La suppression de l’interdiction du travail le dimanche semble inspirer Carrefour. Celui-ci a fait savoir qu’il souhaitait en profiter et ouvrir l’ensemble de ses magasins ledit jour. L’enseigne a réuni sa délégation syndicale nationale afin “d’optimiser l’organisation du travail”.

Les syndicats doivent livrer leur avis avant le 1er avril, mais ils ne sont pas nécessairement adversaires de la mesure. “Nous vivons dans un monde différent depuis l’accord de gouvernement”, ont-ils déclaré au magazine spécialisé Gondola.

Et le monde de la distribution était de toute manière déjà un peu différent depuis la franchisation de l’ensemble des magasins Delhaize, il y a près de deux ans. L’ouverture dominicale était d’ailleurs l’une des motivations de l’enseigne au Lion au moment de franchiser les 128 supermarchés qui étaient jusque-là intégrés. De cette manière, le distributeur transférait sa masse salariale à des indépendants. Indépendants pour qui il est bien plus facile d’ouvrir le dimanche. En effet, ceux-ci ne paient pas de surprimes comme c’est le cas pour les employés de la grande distribution “classique.” Aujourd’hui, une centaine de Delhaize sont ouverts les dimanches et jours fériés.

“Certains ont décidé de ne pas ouvrir le dimanche. D’autres n’en ont pas la possibilité, car ils sont situés dans un centre commercial (c’est par exemple le cas du Delhaize de Tournai situé dans les Bastions, ndlr)”, explique Roel Dekelver, porte-parole de Delhaize. Une décision qui a permis d’atteindre des parts de marché plus élevées qu’avant le passage en franchise, selon les résultats du groupe Ahold-Delhaize publiés mercredi dernier.

Saisir l’opportunité

Pour rattraper son retard, Carrefour semble donc vouloir saisir l’opportunité que présente le nouvel accord de gouvernement. Lors du salon Carrefour de septembre, le CEO de la branche belge de l’enseigne française, Geoffroy Gersdorff, ne s’en était pas caché : les ouvertures dominicales de Delhaize ont fait mal. “Nous voulons ouvrir les magasins le dimanche là où la concurrence le rend nécessaire”, explique Regine Van Tomme, porte-parole de Carrefour Belgique. Autrement dit, là où se situent les Delhaize, mais aussi les Intermarchés qui fonctionnent sous le modèle de la franchise. “Nous avons soumis aux syndicats cette proposition, ainsi qu’un assouplissement des heures d’ouverture, en pensant à des ouvertures plus tôt. Le travail du dimanche serait volontaire pour les travailleurs.”

Si la majorité des Carrefour sont des indépendants (623), l’enseigne fonctionne encore avec des magasins intégrés sous différents formats (40 hypermarchés, 43 Carrefour Market et un Rob). “Dans ces magasins, la commission paritaire est différente et cela se traduit par un coût salarial plus élevé”, explique Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola. Le recours à des travailleurs flexibles et à des étudiants permettrait d’absorber une grande partie de ce problème. L’accord de gouvernement prévoit d’ailleurs une extension de cette mesure. “La question est de savoir pourquoi Carrefour ne franchise pas tous ses magasins pour profiter d’une certaine flexibilité”, s’interroge Pierre-Alexandre Billiet, qui rappelle l’exemple Delhaize. Pour le distributeur, l’enjeu sera sans doute la négociation d’une nouvelle commission paritaire s’il ne se dirige pas vers la franchise. “Elles sont d’un autre temps et entretiennent une concurrence déloyale”, ajoute le CEO.

Coup dur pour Colruyt

“Cette ouverture dominicale est surtout une mauvaise nouvelle pour Colruyt”, pointe encore Pierre-Alexandre Billiet. Leader en parts de marché, le distributeur belge est le seul – avec les hard-,discounters Aldi et Lidl – à ne pas ouvrir le dimanche, à l’exception de certaines succursales. “Nous restons constamment à l’écoute de nos clients et des tendances du marché. Nous constatons que les clients recherchent de plus en plus de moyens de faire leurs courses de manière plus flexible. Et cela inclut également le dimanche”, explique Eva Biltereyst, porte-parole de Colruyt. Parmi les enseignes du groupe qui ouvrent les dimanches, citons les Spar (franchisés), les Delitraiteur (commission paritaire horeca), les Okay City ou encore Cru.

“Nos magasins Okay City sont tous ouverts le dimanche matin. Il s’agit de la formule que nous proposons dans les grandes villes, où nous constatons que la demande pour des courses plus flexibles est plus forte”, précise-t-elle.

“Cette ouverture dominicale est surtout une mauvaise nouvelle pour Colruyt.” – Pierre-Alexandre Billiet (Gondola)

Les Colruyt Meilleurs Prix ne sont donc généralement pas ouverts le dimanche. Mais la chaîne ouvre souvent ses magasins situés dans des régions touristiques (la côte et les Ardennes) le dimanche matin pendant les périodes touristiques importantes. “Ça risque tout de même de peser très lourd sur les ventes”, assure le CEO de Gondola, qui se demande si le modèle Colruyt, peu flexible et également soumis à une commission paritaire moins avantageuse, pourrait ouvrir le dimanche. Pour le moment, l’enseigne Meilleurs Prix tente de compenser ses jours de fermeture par d’autres promotions dont les clients peuvent bénéficier. Le distributeur va sans doute à nouveau plaider pour une harmonisation des commissions paritaires dans le secteur de la grande distribution, comme il l’avait déjà fait lors de l’annonce de franchisation de Delhaize.

La fin des hypermarchés

Autres perdants de cette ouverture dominicale : les petits indépendants qui seront forcés d’ouvrir pour rester dans la course. “Tant au niveau humain qu’économique, cela va vraiment devenir compliqué pour eux”, estime Pierre-Alexandre Billiet. Mais ce sont surtout les hypermarchés qui risquent de souffrir le plus. “L’ouverture du dimanche sonne le glas pour les hypermarchés“, confirme-t-il. Année après année, ces derniers perdent en parts de marché et très peu sont aujourd’hui rentables. “Le modèle est complètement dépassé tant au niveau social, qu’économique et financier.” Plusieurs raisons expliquent ce déclin, notamment l’arrivée des magasins spécialisés, mais aussi l’e-commerce. Pourtant, c’est surtout la recherche de proximité de la part du consommateur qui pèse sur ce modèle.

Le dimanche est progressivement devenu un enjeu de taille pour les commerces. “Le consommateur belge fait de vraies courses le dimanche. De gros chariots qui ont un impact énorme sur les ventes”, poursuit le CEO de Gondola. Le consommateur est dès lors plus enclin à retourner dans le magasin qui lui offre cette flexibilité. “Avant, c’était un avantage concurrentiel d’ouvrir le dimanche puisqu’on prenait une part du gâteau aux autres magasins. Aujourd’hui, c’est un désavantage concurrentiel de ne pas ouvrir.”

En résumé, l’ouverture dominicale va redessiner les règles du jeu dans la grande distribution. La question est de savoir si cette nouvelle mesure va encourager davantage la franchisation ou la renégociation des conditions salariales via les commissions paritaires. “On va sans doute davantage voir les perdants que les gagnants de cette mesure”, conclut Pierre-Alexandre Billiet.

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