Linatelle industrialise ses crackers écoresponsables

© PG
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Les Liégeois de Linatelle proposent des crackers sains et locaux pour l’apéro, à base de drêches, ces déchets issus des brasseries. Grâce à leur ligne de production, ils deviennent le premier atelier industriel à proposer des produits de ce type en Belgique.

Ils sont épais d’à peine 8 millimètres. Bios, sans sucre raffiné et riches en fibres. Nature, curry, poivré… ils se dégustent avec des tartinades à l’heure de l’apéro. Ils? Ces petits crackers écoresponsables produits par l’entreprise Linatelle – un nom issu de la combinaison des noms de famille des fondateurs, Pierre Linotte et Florence Juprelle. Diplômés de HEC Liège, l’un et l’autre se sont rencontrés sur un salon dédié à l’alimentation.

Travailler ensemble fut une évidence pour ces deux entrepreneurs qui se sont également associés dans la vie. Passionné d’agroalimentaire, le couple a décidé de créer une gamme de produits sains et locaux qui s’inscrit dans l’économie circulaire. L’objectif? Combiner un produit bon pour le consommateur mais également pour l’environnement.

L’idée est de se concentrer davantage sur la fabrication de produits pour d’autres marques.

Partant du constat qu’à la fin du processus de brassage, les drêches de bière – à savoir des résidus du brassage des céréales – étaient destinées à l’alimentation animale ou tout simplement jetées, les deux entrepreneurs ont œuvré à revaloriser cette matière. Les drêches de brasserie possèdent en effet de nombreux avantages. Elles offrent des teneurs assez élevées en protéines, ce qui en fait une source d’alimentation intéressante. “Elles sont également riches en fibres, possèdent des minéraux et des vitamines qui sont bonnes pour la production d’énergie et le bon fonctionnement du système nerveux”, explique le duo.

Passionnée par le goût et la nutrition, c’est Florence Juprelle qui est aux commandes des recettes. Tandis qu’elle marie les produits de qualité et les associe afin de réaliser des produits savoureux, Pierre Linotte gère, lui, les partenaires et l’aspect financier. Il propose aux producteurs locaux une diversification de leurs produits ainsi qu’une voie responsable afin de se débarrasser de leurs déchets. “En recyclant les déchets alimentaires comme les drêches, les crackers obtenus sont sains, locaux et issus de l’économie circulaire”, résume Florence Juprelle. Une économie circulaire qui est déjà à l’origine de 14.000 emplois en Wallonie…

Modèle “B to B”

Avant de se concentrer sur la production à destination de private labels, Linatelle a commercialisé ses produits sous sa propre marque Be-Nat (pour Belgique Nature). Ceux-ci sont toujours disponibles auprès de quelques distributeurs, notamment chez Bio-Planet, enseigne qui appartient au groupe Colruyt. “Ils seront également bientôt disponibles chez Cora”, précisent les Liégeois. Linatelle continuera de produire et commercialiser sa marque Be-Nat, mais l’idée est de se concentrer davantage sur la fabrication de produits pour d’autres marques. “En tant que start-up, il est très coûteux de lancer une nouvelle marque”, analyse Florence Juprelle.

PIERRE LINOTTE ET FLORENCE JUPRELLE L’un gère les partenaires et l’aspect financier, l’autre est aux commandes des recettes.
Pierre Linotte et Florence Juprelle. © PG

L’entreprise fonctionne donc principalement sur un modèle B to B. “Un modèle qui permet une croissance bien plus rapide puisqu’il ne faut pas séduire les millions de consommateurs un par un”, poursuit Pierre Linotte. Parmi ses clients, Linatelle compte de nombreuses brasseries comme la liégeoise Val-Dieu ou encore les brasseries Chouffe ou Brunehaut mais également la moutarderie Raeren. Ces entreprises commercialisent donc les snacks et crackers de Linatelle sous leur propre nom et packaging.

“Nous avons longtemps réfléchi sur la manière dont nous devions fonctionner, explique Florence Juprelle. Le plus important pour moi était de pouvoir produire et réaliser mes recettes, c’est comme ça que nous nous sommes tournés vers la production pour les private labels.” L’entreprise est donc passée à une production industrielle, rendue possible grâce à un investissement dans une première ligne de fabrication.

“Depuis que l’usine a été lancée, en mars 2023, nous sommes passés de 600 à 5.000 sachets de crackers par jour”, souligne Florence Juprelle. “Ce type de ligne n’existait pas à cette échelle en Belgique, poursuit Pierre Linotte. Aujourd’hui, ces biscuits peuvent enfin être produits sur notre territoire. Toutes les sociétés qui souhaitent des crackers ne devront plus aller à l’étranger pour les concevoir.”

Un partenaire idéal

La nouvelle ligne est installée au sein de l’ETA Jean Gielen à Waremme. Linatelle profite ainsi des 10.000 m2 d’infrastructures de cette entreprise sociale qui met également du personnel à disposition. Un sérieux avantage qui permet à cette start-up de bénéficier de quatre autres collaborateurs en plus de leur chef de ligne qui, lui, est employé par Linatelle. “C’est un partenaire idéal qui jouit de certification de qualité et qui répond aux normes très strictes de l’agroalimentaire”, poursuit le fondateur.

Linatelle profite également des panneaux solaires installés sur les toits de l’entreprise et qui permettent d’optimiser le coût de la cuisson, énergivore, des biscuits et crackers. “Nous avons également réfléchi à une manière d’optimiser cette cuisson par nous-même”, ajoute Florence Juprelle. Celle-ci a donc étudié l’épaisseur idéale de ces crackers – huit millimètres donc – afin qu’ils aient un temps de cuisson limité et ainsi éviter les émissions de CO2 inutiles.

“Rien que pour le mois de juin, nous avons déjà reçu des commandes pour 60.000 packs.”

Grâce à cet investissement, la capacité de production se situe désormais aux alentours de 500.000 sachets de crackers par et peut atteindre les 750.000. “Rien que pour le mois de juin, nous avons déjà reçu des commandes pour 60.000 packs”, précise Pierre Linotte qui ajoute que les mois de juillet et août enregistrent des demandes similaires. “L’objectif est de saturer l’outil de production actuel avant de pouvoir investir pour augmenter notre capacité.”

HUIT MILLIMÈTRES Afin de limiter le temps de cuisson et donc les émissions de CO2, l’épaisseur des crackers a été spécifiquement étudiée.
Afin de limiter le temps de cuisson et donc les émissions de CO2, l’épaisseur des crackers a été spécifiquement étudiée. © PG

Au total, l’investissement en matériel de production se chiffre aujourd’hui à 400.000 euros. Après avoir démarré sur fonds propres, le couple d’entrepreneurs s’est ensuite entouré d’investisseurs privés comme Jean-Michel Foidart (cofondateur de Mithra Pharmaceuticals), Denis Knoops (ancien patron de Delhaize) et de BeAngels. Tous s’accordent sur le formidable potentiel de la start-up et soutiennent que les profils complémentaires des deux fondateurs est un véritable avantage.

Ces actionnaires sont également membres du conseil d’administration de Linatelle. “Un vrai plus tant sur le plan humain que professionnel”, assurent les fondateurs. “C’est important et très enrichissant de pouvoir s’appuyer sur des personnes qui connaissent le milieu”, ajoutent-ils. Linatelle a aussi reçu le soutien de Wallonie Entreprendre, sous forme de prêts subordonnés, et de la banque Belfius afin de financer ses projets.

Réorientation

Si Florence Juprelle et Pierre Linotte font très attention aux personnes dont ils s’entourent, c’est parce qu’ils ont failli devoir arrêter leur aventure entrepreneuriale. En cause? La crise sanitaire qui a mis en difficulté leur modèle alors qu’il venait de séduire la chaîne de boulangeries Le Pain Quotidien grâce à un granola à base de fleurs. “On a lancé Linatelle en 2018 avec la production artisanale d’un mix de céréales aux fleurs, qu’on vendait partout dans le monde via Le Pain Quotidien. Mais avec la crise sanitaire, les choses se sont compliquées, se rappelle Pierre Linotte. Il a donc fallu qu’on se réinvente. C’est pourquoi nous nous sommes dirigés vers l’économie circulaire.”

A sa gamme de crackers sains, s’ajoutent également les biscuits sucrés à base de protéines végétales belges et tartinades qui répondent aux mêmes critères d’exigence. “Bon pour l’environnement, bon pour la santé et bon en goût”: si l’on prend les premières lettres des termes clés du slogan de l’entreprise, celui-ci rappelle d’ailleurs subtilement les critères ESG… L’étape suivante? Devenir un acteur de référence en Wallonie avant de pouvoir exporter le savoir-faire belge. “Si on réussit en Belgique, on peut aller n’importe où”, concluent-ils.

Wallonie Entreprendre: “C’est typiquement le genre de projet que nous souhaitons soutenir”

En plus d’investisseurs privés, Linatelle a également séduit Wallonie Entreprendre, l’outil économique et financier de la Région wallonne au service des entreprises. Ce dernier a pour objectif d’accompagner et financer les entreprises afin de leur apporter des solutions à chacune de leurs étapes. “Le projet de Linatelle est très emblématique, c’est ce type de dossier que nous aimerions voir plus souvent en Wallonie, explique Anne Vereecke, membre du conseil de direction étendu. Ils ont parfaitement compris qu’il y avait un marché en attente de produits locaux et plus sains.”

Wallonie Entreprendre apporte des solutions de financement, sous forme de prêts subordonnés et de garanties bancaires, aux start-up. “Dans ce cas précis, nous avons investi dans la ligne de production industrielle afin que Linatelle puisse répondre à la demande croissante de ses clients”, précise Anne Vereecke qui est convaincue du potentiel de la start-up. “Linatelle répond à toutes les cases des critères ESG”, ajoute-t-elle. Des critères pris en compte par Wallonie Entreprise mais auxquels les banques font de plus en plus attention. “Nous sommes persuadés que ce genre d’entreprises seront beaucoup plus performantes et résilientes à l’avenir.”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content