Les Wallons sont aussi productifs que les Flamands

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Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Contrairement aux clichés, les Wallons sont productifs, créent des entreprises et innovent tant et plus. Dans certains domaines, ils supportent même la comparaison avec le nord du pays. Des raisons d’espérer, même si les problèmes structurels restent criants. Tour d’horizon en neuf affirmations.

La productivité calculée en termes de PIB par habitant témoigne d’un retard de la Wallonie. Mais la réalité est plus nuancée et le rapport annuel sur la productivité de la Belgique par le Conseil national de la productivité précise le propos. “On y observe que l’essoufflement de long terme de la croissance de la productivité en Europe et en Belgique touche les trois Régions, lit-on. Sur la période récente néanmoins (2012-2019), la croissance de la productivité en Wallonie s’est avérée supérieure à celle enregistrée dans les deux autres Régions, notamment grâce à un soutien positif plus marqué de la productivité de l’industrie manufacturière et l’absence de repli dans les services marchands sur cette période.” “La réalité, ce n’est jamais tout blanc, ni tout noir, elle se situe dans la nuance des gris, précise Giuseppe Pagano, professeur émérite de l’UMons. Si l’on prend un indicateur de productivité global, le plus évident étant le produit intérieur brut (PIB) par habitant, la productivité en Wallonie est effectivement plus faible que la moyenne belge et que la Flandre. C’est toutefois à Bruxelles qu’elle est la plus élevée: la capitale bénéfice d’un grand nombre de navetteurs qui gonflent artificiellement le PIB/habitant.”

Ce n’est toutefois que la productivité apparente. “Cela est évidemment influencé par le taux d’emploi qui est plus faible en Wallonie, poursuit Giuseppe Pagano. Pour avoir une idée plus juste de la productivité, il convient d’examiner le PIB uniquement pour les personnes occupées. Si on effectue ce travail, la Wallonie reste en dessous de la moyenne mais de manière marginale. Cela est dû à une autre donnée: en Wallonie, la proportion de gens qui travaillent dans le secteur public est supérieure à celle des deux autres Régions. Or, la productivité est moindre dans le public, notamment en raison d’une utilisation moindre des machines. Pour neutraliser ce paramètre, il conviendrait de calculer le PIB par personne occupée et secteur par secteur. Dans ce cas, nous sommes au même niveau que la Flandre.”

Son constat est clair: “Il n’y a pas de raison qu’un Wallon soit moins productif dans une même entreprise donnée. Cette idée selon laquelle il serait naturellement paresseux n’a pas de sens”. Cela dit, Giuseppe Pagano regrette le rattrapage trop lent en matière de taux d’emploi. “A ce rythme, il faudra 30 ans pour espérer rejoindre la Flandre.” La disproportion en faveur du secteur public? L’économiste prend le problème par l’autre bout: “Le problème, ce n’est pas qu’il y a trop d’emplois publics, c’est qu’il n’y a pas assez d’emplois privés. Il y a eu des catastrophes en cascade, comme Caterpillar qui nous a coûté 5.000 emplois. Ce n’est pas à coup d’emplois créés dans des petites entreprises que l’on va rapidement combler ce déficit”.

Pierre-Frédéric Nyst
Pierre-Frédéric Nyst”Les Wallons préfèrent travailler ‘petit’, sans représentation syndicale.”
– PIERRE-FRÉDÉRIC NYST (UCM)

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“Oui, nous avons un taux d’emploi beaucoup plus bas que dans d’autres régions, reconnaît Olivier de Wasseige. Je suis très interpellé par le fait que le taux de chômage chez les jeunes de 15 à 24 ans est à 25%. Au niveau européen, seuls Bruxelles et l’Espagne font moins bien avec 31% et 35%. La moyenne européenne est à 17%, la Flandre à 13% et l’Allemagne à 7%. Et je ne suis pas sûr qu’ils cherchent tous du boulot: j’entendais récemment, lors d’un débat à la RTBF, que certains souhaitaient… se poser deux ans après leurs études pour réfléchir.”

Cela étant, ajoute l’administrateur délégué de l’UWE, “les chiffres montrent que la productivité par employé est effectivement bonne en Wallonie: nous sommes meilleurs que les Pays-Bas, la France, l’Allemagne ou l’Autriche, quasiment à égalité avec la Flandre. En tout cas pour la partie industrielle. Si on a cette productivité dans l’industrie, c’est précisément grâce à notre créativité et à l’innovation qui permettent des effets multiplicateurs par personne, notamment grâce à de meilleures machines. Nous n’avons pas à rougir des entreprises wallonnes”.

“Au vu de mes expériences professionnelles successives, je peux dire que l’on dispose d’une main-d’œuvre de qualité en Belgique, acquiesce Bernard Delvaux, aujourd’hui CEO d’Etex. C’est profondément faux de dire qu’il y aurait un fossé de productivité entre les Flamands et les Wallons.” Bernard Delvaux évoque ses années passées chez Proximus ou à bpost (quand il gérait des milliers de personnes, à 60 ou 70% flamandes), à la Sonaca avec ses grosses usines en Wallonie ou Etex, davantage orientée vers le nord du pays. La vraie disparité se situe davantage dans l’écart entre les grandes villes et le reste du pays. “Il y a davantage d’absentéisme dans les villes et moins de fidélité à l’entreprise, souligne-t-il. Et c’est autant le cas à Anvers qu’à Charleroi ou à Liège.”

Le CEO d’Etex évoque aussi son expérience internationale. “Chaque pays a ses avantages et ses inconvénients. Aux Etats-Unis, il y a davantage de flexibilité mais aussi moins de loyauté. Nous avons des gens formés tandis que dans certaines usines américaines, il y a jusqu’à 40% d’illettrés. Cette main-d’œuvre de qualité, en Belgique, est ce qui nous permet encore d’avoir un tel taux d’emploi. Si les entreprises viennent encore, c’est grâce à cela et à notre position centrale.”

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