Les belles (mais fausses) histoires de Stéphane Moreau

© Victoria Dessart/Belgaimage

Le patron de Nethys, qui passe à la commission Publifin du Parlement wallon, a réécrit l’histoire de la télédistribution en Belgique à sa manière, pour justifier l’investissement dans Voo et les diversifications créatives d’un groupe public contesté.

Avant qu’il ne passe devant la Commission Publifin, Stéphane Moreau, administrateur délégué de Nethys, s’est longuement épanché dans les colonnes de L’Echo. Une interview en trois parties, les 18 et 22 février, dont la dernière est parue le samedi 4 mars.

Les historiens des médias ont dû bondir en lisant la dernière interview, la seule où Stéphane Moreau explique les activités et la stratégie de Nethys. Il a tenté de justifier la diversification de Nethys dans le câble et les télécommunications à travers Voo, une société éloignée de la distri- bution de gaz et d’électricité, activités au coeur de l’intercommunale Publifin et de sa filiale opérationnelle Nethys.

Pour lui, l’activité est historique puisque la télédistribution a carrément été “inventée” à Liège. “Ce sont les personnes qui dirigeaient l’ALE (prédécesseur de Publifin, Ndlr) qui ont décidé, dès 1970, d’inventer la télédistribution, explique-t-il à L’Echo. La raison tombe sous le sens : on ouvrait les routes pour installer des câbles électriques. Et ils ont eu cette vision, assez extraordinaire pour l’époque, de mettre dans la même tranchée des câbles de télé- distribution. C’est un phénomène qui a prévalu quasi partout en Belgique et qui fait qu’aujourd’hui notre pays est, avec les Pays-Bas, un des mieux câblés au monde.”

Le pionnier s’appelle Coditel

L’histoire est belle mais fausse : c’est une entreprise privée, Coditel, qui a lancé la télédistribution à Namur près de 10 ans avant l’ALE. “La Belgique est le premier pays d’Europe continentale à s’être activement intéressé à la télévision par câble. Coditel, la première société belge de télédistribution, a vu le jour en 1960”, indiquait Jean-Marie Piemme, un universitaire liégeois, dans un Courrier hebdomadaire du CRISP de 1979. Coditel avait aussi développé le service à Liège et à Verviers. L’ALE est intervenue dans une deuxième phase du câble, lorsque les distributeurs d’électricité publics y ont vu un service supplémentaire à la population. Bien plus tard, Voo a ajouté la téléphonie et l’Internet, alors que beaucoup d’intercommunales publiques ont revendu leur télédistribution car celle-ci n’avait plus aucun caractère de service public.

La belle histoire du patron de Nethys n’a du reste pas convaincu L’Echo. Son rédacteur en chef, Joan Condijts, a, dans un éditorial publié en même temps que l’interview, taillé en pièce les arguments de Stéphane Moreau. Ce dernier justifiait les diversifications surprenantes de Nethys par le soutien d’une “union sacrée” des élus liégeois. “L’affaire Publifin-Nethys n’est finalement que l’illustration d’un estompement de la norme au sein des élites politiques, de l’effacement progressif des contre-pouvoirs et d’une confusion des intérêts individuels et collectifs, a conclu Joan Condijts. Car si l’Histoire explique, elle ne justifie pas. Pire : elle aveugle.” Si, en plus, l’Histoire est réinventée…

Partner Content