Le sans alcool, nouveau moteur de croissance

ALEXANDRE HAUBEN, CEO ET FONDATEUR DE NIETS
Alexandre Hauben, CEO et fondateur de Niets: “Il y a le bien manger, le bien-être et maintenant le bien boire.” © PG
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Boosté par des actions comme le Dry January, qui vient du Royaume-Uni, ou la Tournée Minérale, inventée en Belgique, le secteur du sans alcool s’est largement diversifié ces dernières années. De nombreuses entreprises proposent des versions 0,0% de vins, bières ou spiritueux.

“Sans alcool, la fête est plus folle”, clamait cette pub des années 1990 pour des bulles à destination des enfants. Désormais, le sans alcool s’adresse également aux adultes. Le nolo (no alcohol, l’abstinence, ou low alcohol by volume, la modération) dans les boissons, est devenu une véritable tendance du marché. La preuve? Même la chanteuse Kylie Minogue s’y met. Celle-ci a ajouté un rosé pétillant sans alcool à sa marque de vin éponyme qui s’est vendue à plus d’un million de bouteilles depuis son lancement en 2020 et qui vaut désormais 18,9 millions de livres sterling.

Au commencement, il y avait la bière et le cidre…

La désalcoolisation des boissons a d’abord commencé avec la bière et le cidre avant de se développer dans les vins et spiritueux. “Ce sont les bières 0% qui ont créé cette demande d’alternative aux boissons alcoolisées”, précise Anne Stassen, directrice stratégique de Neobulles, qui produit les marques Vintense et la Bière des Amis.

Neobulles

Tout commence en 1980 au moment où la famille Stassen, réputée pour ses cidres, met au point une technique pour les désalcooliser. “C’était la première unité de désalcoolisation d’Europe”, explique Anne Stassen. L’entreprise pionnière poursuit dès les années 2000 avec du vin sans alcool, qui est au départ destiné à un marché extérieur à la Belgique. La cidrerie est à l’époque revendue à Heineken qui ne semble pas intéressée par le vin et laisse ces marques-là à la famille. Celle-ci les regroupe en 2014 dans une nouvelle entreprise baptisée Neobulles. La société, qui emploie 30 personnes, couvre une très large gamme de produits et propose 21 références dans le vin ainsi que la Bière des Amis (0,0%) mais également des apéros et digestifs… toujours sans alcool.

Avec 45% de parts de marché, leur marque Vintense est le leader du vin sans alcool en Belgique où plus de 1,2 million de bouteilles sont écoulées dans le retail. Neobulles rayonne également à l’international et exporte dans plus de 40 pays, notamment au Japon où elle envoie 35 containers par an.

Le changement du profil du consommateur a largement aidé au développement du secteur des boissons sans alcool. Celui-ci a évolué avec la santé comme préoccupation principale. Par exemple, l’entreprise Univers Drinks, qui produit les marques Night Orient et Vendôme Mademoiselle, a enregistré une hausse de son chiffre d’affaires de 40% lors de la crise sanitaire.

“Aujourd’hui, celui qui ne boit pas en soirée est perçu comme quelqu’un de responsable”, analyse Arnaud Jacquemin, fondateur d’Univers Drink. L’intérêt des consommateurs pour le bien-être ainsi que la sensibilisation croissante des effets néfastes d’une forte consommation de boissons alcoolisées sont des facteurs qui ont largement stimulé la croissance du marché. “Il y a le bien manger, le bien-être et maintenant le bien boire”, ajoute Alexandre Hauben, CEO et fondateur de Niets, première distillerie sans alcool de Belgique.

Les “switchers”

Parmi les consommateurs de ces boissons, près de 43% sont des switchers, soit des personnes qui remplacent l’alcool par leur version nolo à certaines occasions afin de réduire leur consommation d’alcool sans se l’interdire. Le sans alcool ne s’adresse donc plus seulement aux personnes qui ne peuvent pas consommer de boissons alcoolisées, que ce soit pour des raisons de santé ou de religion, mais également aux personnes qui veulent adopter un mode de vie plus sain.

Univers Drink

Avec plus de 40 références, Univers Drink est un des leaders du sans alcool en Belgique. L’entreprise créée en 2009 propose aussi bien du vin, des bulles, des cocktails que des spiritueux. Une manière de toucher tous les publics. “Les jeunes sont moins attirés par un vin sans alcool que par un cocktail”, reconnaît Arnaud Jacquemin. Le fondateur de l’entreprise, qui emploie 15 collaborateurs, a vu le profil de ses consommateurs évoluer, notamment lors de la crise sanitaire, où les ventes ont augmenté de 40%. Univers Drink propose aussi des boissons sans alcool bios mais évite le secteur “trop concurrentiel et déjà bien développé” de la bière sans alcool.

Le succès de l’entreprise repose notamment sur sa distribution dans les enseignes comme Delhaize, Carrefour et bientôt Colruyt qui permettent de toucher un public assez large. L’entreprise exporte principalement ses marques Night Orient et Vendôme dans 49 pays, aussi bien en Europe qu’en Asie et outre-Atlantique avec le Canada récemment.

En plus d’être socialement contraignante, l’offre des boissons sans alcool était auparavant assez peu diversifiée. “Le sans alcool signifiait de se retrouver confronté à un choix très basique, soit un jus de fruit ou un soft”, explique Alexandre Hauben qui souligne qu’aujourd’hui le sans alcool se décline sous diverses formes de manière qualitative, ce qui n’a pas toujours été le cas. “A l’époque les produits étaient souvent compensés avec du sucre et la technique pour désalcooliser n’était pas toujours au point.”

Hausse du volume

Selon une étude de l’International Wine and Spirit Research (IWSR), les ventes de boissons peu ou pas alcoolisées ont connu une progression de 20% entre 2017 et 2018 et de 30,5% entre 2018 et 2019. “Alors que janvier est devenu un mois populaire pour les gens qui souhaitent réduire ou s’abstenir de consommer de l’alcool, l’intérêt pour les boissons sans alcool et à faible teneur en alcool est de plus en plus une tendance toute l’année parmi les consommateurs du monde entier”, déclare Emily Neill, COO Research & Operations à l’IWSR.

“Janvier et février ont toujours été des mois record pour les ventes”, confirme Arnaud Jacquemin. “Le mois de décembre est également un mois très important, souligne Laurent Chenot, en charge du marketing de Neobulles. Ces trois mois représentent entre 30 et 35% des nos ventes annuelles.”

Même constat du côté de la grande distribution qui observe une augmentation du volume d’achat de boissons non alcoolisées. Existe-t-il un lien avec la Tournée Minérale et le Dry January? Si Colruyt enregistre une hausse des ventes au cours de ces deux mois, c’est principalement durant la période estivale et les vacances que les ventes de boissons non alcoolisées sont singulièrement élevées. Il est donc clair que le sans alcool fait désormais partie du mode de vie des Belges.

Delhaize remarque une augmentation de 15% des ventes de boissons non alcoolisées par rapport à l’année dernière et leurs ventes sont 20% plus élevées en février que pendant les autres mois de l’année. “D’année en année, nous constatons que les boissons non alcoolisées ne cessent de gagner en popularité”, explique Catherine León Castro, responsable des achats de boissons chez Delhaize. Globalement, cette forte croissance incite Delhaize à proposer un assortiment de plus en plus large, celui-ci a plus que doublé en trois ans. De son côté, Colruyt Meilleurs Prix ajoutera cette année 35 produits à son assortiment de substituts sans alcool pour atteindre un total de 100 références.

Sans surprise, le canal de distribution qui détient la plus grande part de revenus du marché reste la grande distribution en raison de la disponibilité d’une large gamme de produits de plusieurs marques mondiales sous un même toit et de la possibilité de vérifier physiquement les produits, couplée à une meilleure expérience d’achat par rapport aux autres canaux. La catégorie nolo a une valeur mondiale des ventes au détail d’un peu moins de 10 milliards de dollars. A l’échelle mondiale, l’IWSR prévoit que le secteur aura un taux de croissance annuel composé en volume de 7% entre 2021 et 2026.

Un marché mondial en croissance

Si d’un côté, certaines entreprises se concentrent uniquement sur le sans alcool (comme Niets et Univers Drink), les alcooliers ne se privent pas de saisir cette opportunité. Et ça fonctionne! Alcooliers, brasseurs ou cavistes étoffent donc leur portefeuille de produits avec des boissons non alcoolisées. A l’instar des géants, comme Bacardi avec le Martini sans alcool ou Pernod Ricard qui propose de la Suze 0,0% et a racheté l’équivalent de gin sud-africain Ceder’s.

En Belgique, AB InBev avait déjà lancé en 2016 une version sans alcool de ses bières. La Jupiler 0,0% était en 2017 et 2018 le produit qui avait connu la plus forte croissance dans sa catégorie comme dans les magasins. Ce succès a d’ailleurs poussé AB InBev à élargir sa gamme de bières sans alcool, avec la Leffe Blonde et Brune 0,0%, la Stella Artois 0,0% et la Hoegaarden 0,0%.

Les pays où l’alcool est interdit ne représentent pas une grande part de marché”

Le marché de la bière sans alcool est d’ailleurs celui qui motive la croissance mondiale du secteur nolo avec 13,4%. Si ce dernier ne représente encore qu’une fraction du marché mondial total des boissons, son potentiel de croissance est énorme. La preuve en chiffres: le marché mondial des boissons à faible teneur en alcool était évalué à 1,27 milliard de dollars en 2021 et devrait croître de 5,9% au cours de la période de prévisions, pour atteindre 2,11 milliards en 2030.

“Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les pays où l’alcool est interdit ne représentent pas une grande part de marché”, souligne Anne Stassen. Le marché américain a le plus grand potentiel de croissance, suivi du marché européen. “Plus la culture de l’alcool est forte dans un pays, plus les substituts y auront du succès”, ajoute le fondateur d’Univers Drink.

Du gin belge sans alcool

Sportif amateur, Alexandre Hauben constate que l’offre des boissons sans alcool est assez pauvre. “A l’époque, la catégorie des bières était déjà bien développée mais je suis plutôt un amateur de vin”, se rappelle le fondateur de Niets, une distillerie haut de gamme sans alcool. “En tant que consommateur, je trouvais dommage que l’expérience d’une boisson sans alcool soit fondamentalement différente de la version alcoolisée”, ajoute Alexandre Hauben qui créé alors son entreprise en 2020. L’objectif? Proposer des spiritueux sans alcool mais de qualité.

S’il parvient à proposer des recettes uniques et traditionnelles, c’est grâce à son arrière-arrière-grand-père Georges Niets (qui a insufflé le nom de l’entreprise). En s’inspirant de ses travaux (à savoir la création de nouveaux arômes à partir de l’association de plantes), il recrée des saveurs similaires à celles des boissons alcoolisées.

L’entreprise, qui emploie 12 personnes, propose du vin et du rhum (récemment mis sur le marché) mais son produit phare est le Botaniets, un gin belge sans alcool obtenu grâce à une triple distillation qui permet de retirer l’alcool de manière séquencée. On trouve aussi les produits Niets en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. “Nous avons 15 pays en demande”, souligne le CEO qui compte 10.000 clients.

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