La fin des concessions automobiles
Une bonne partie des marques automobiles changent en profondeur la distribution, convertissant les concessionnaires indépendants en agents commerciaux. Pour réduire les frais de commercialisation et mieux contrôler les prix de vente. Des négociations délicates sont en cours.
Le sujet préoccupe le petit monde des concessionnaires autos en Belgique et ailleurs. “C’est un sujet brûlant”, dit Patrick Piret, manager research et expertise à la fédération Traxio, qui réunit les distributeurs et les spécialistes de l’après-vente dans l’automobile et le camion.
Une bonne partie des importateurs entendent revoir les contrats avec leurs partenaires distributeurs indépendants, les faire migrer d’un statut de concessionnaire à celui d’agent commercial. C’est le cas de Stellantis (Peugeot, Fiat, Citroën, DS, Jeep, Chrysler, Alfa Romeo, etc.), dont les revendeurs sauteront le pas au 1er juillet prochain . Ford a ouvert les mêmes négociations. Idem chez BMW et Mercedes, et VW dans certains pays européens. En Belgique, les marques du groupe VW sont distribuées par D’Ieteren, importateur indépendant.
Pour le client, rien ne change a priori, sauf que le concessionnaire, devenu agent, ne pourra plus accorder de remise de son propre chef. Le même tarif sera appliqué partout. Actuellement, la vente de voiture est indirecte. Le constructeur vend ses véhicules à des concessionnaires indépendants, des entrepreneurs locaux, parfois des groupes spécialisés, qui revendent le véhicule au client final.
Ce dernier est le client du concessionnaire, pas du constructeur, qui bénéficie ainsi d’une vente anticipée. Les concessionnaires financent le stock et en assument le risque. Cet intermédiaire se rémunère sur la différence entre le prix d’achat et celui de la revente, qui assure sa marge. Il est supposé appliquer des prix recommandés, mais est libre d’accorder des remises pour vendre plus. Avec le statut d’agent, la voiture est facturée directement par le constructeur, via l’importateur, qui prend en charge le stock et décide du tarif.
Réduire les coûts
Longtemps les constructeurs ont été ravis que les concessionnaires financent leurs stocks, assurent la vente au détail et l’après-vente. Ils n’avaient pas de raison d’avoir des liens directs avec les utilisateurs. Les choses ont changé. Le coût du dispositif leur paraît aujourd’hui élevé au regard du gain de ne pas financer le stock. Stellantis espère ainsi réduire ses coûts de distribution et de marketing variables de 40% en passant à une vente directe via des agents.
“Le contrat d’agence présente l’avantage d’échapper au droit européen de la concurrence.”
Tesla, il est vrai, a montré qu’il y avait moyen de dégager une forte rentabilité en se passant de concessionnaires. Et de vendre via le web, ce dont rêvent bien des constructeurs. Le statut d’agent leur paraît un bon compromis pour sous-traiter la vente et l’après-vente, à meilleur compte, en ouvrant une relation directe avec les clients finaux, avec l’objectif, à terme, de vendre via internet.
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L’évolution vers la voiture digitalisée, connectée et électrique encourage cette transition. Les constructeurs espèrent tous commercialiser des services tout au long de la vie du véhicule, comme des fonctions d’aide à la conduite, voire, dans le futur, des services de conduite autonome, ce qui est plus aisé en créant un lien direct dès l’achat du véhicule. Le concessionnaire, devenu agent, est rémunéré par des commissions selon ses prestations: vente, livraison, etc.
“Le contrat d’agence présente l’avantage d’échapper au droit européen de la concurrence, car l’agent est le représentant du constructeur”, explique Patrick Piret, de Traxio. Les tarifs étant uniformes, les agents ne se concurrencent pas. Alors que les concessionnaires peuvent se concurrencer par le biais de la liberté à accorder des remises.
“C’est un modèle structurant que celui des agents, estime Guido Savi, consultant en distribution automobile. Il permet aux constructeurs de mieux contrôler les prix, de mieux pousser la vente de services comme les extensions de garantie, des contrats d’entretien, de pneus hiver, encore peu commercialisés dans la distribution en concessions.”
L’exception Renault
Le mouvement vers le statut d’agent est général, sauf pour des marques haut de gamme. Le groupe Renault est aussi réticent. Son CEO, Luca De Meo, estime que le risque sur les stocks est trop grand pour le constructeur par rapport aux gains escomptés. Il est vrai que le groupe a déjà montré avec Dacia qu’il était possible de réduire les frais de distribution par concessions, notamment par le biais d’une marge réduite ne permettant pas d’accorder des remises.
Henri de Hemptinne, président du Groupement des concessionnaires et agents de marques automobiles (GDA), au sein de la fédération Traxio, n’est pas opposé au passage au statut d’agent, mais s’interroge. “On peut le comprendre, du moins en partie. Pas mal de nouvelles marques débarquent, à commencer par Tesla, qui vend en direct, sur un modèle de distribution différent, qui peut alors jouer davantage sur les prix. Les constructeurs qui travaillent avec des concessionnaires veulent être plus attractifs face à cette concurrence. Si la distribution ne s’adapte pas, ce sera la fin de notre business, nous le comprenons. Mais il faut ce que soit fait de manière correcte.” Henri de Hemptinne dirige CIAC, un groupe de concessions Ford, Toyota, Lexus à Gand, et Toyota à Alost.
La question des marges
“Un des grands problèmes, c’est la question des marges: les commissions, pointe Henri de Hemptinne. Quand les concessionnaires seront convertis en agents, les importateurs diminueront le nombre de contrats et de points de vente. Ceux qui resteront auront plus de volume, mais nous avons peu de visibilité sur les marges et l’impact sur notre business model.”
“Avec le nouveau système d’agent, nous devenons le prolongement de l’importateur, son exécutant.”
“Le modèle va changer, poursuit notre interlocuteur. Comme concessionnaire, nous sommes indépendants, nous dirigeons notre société, avec notre clientèle à nous. Avec le nouveau système d’agent, nous devenons le prolongement de l’importateur, nous serons son exécutant.” Il restera encore l’activité de la revente de véhicules de seconde main qui conservera une certaine liberté. L’un des points sensibles est la transition entre les deux contrats.
Le passage du statut de concessionnaire à agent (ou commissionnaire, un statut proche en droit belge) suppose un préavis pour la fin du contrat de concession, souvent de deux ans, et une indemnisation est possible pour la clientèle et les frais consentis, qui serviront pour exécuter le contrat d’agent, notamment le show-room, dont les caractéristiques ont été imposées par le constructeur. Sans parler du risque de n’être pas repris parmi les futurs agents, dans le cadre d’un remodelage du réseau…
Discussions très secrètes
Enfin, le contrat d’agent, qui relève du droit belge, doit aussi coller aux réglementations européennes. “Il doit répondre à des critères très précis, l’agent ne doit supporter aucun risque commercial, ainsi c’est le commettant (constructeur, importateur, Ndlr) qui se charge des stocks. Si l’acheteur renonce à l’auto dont il a signé un bon de commande, c’est le commettant qui supporte le risque de revendre le véhicule à quelqu’un d’autre, pas l’agent”, avance Patrick Piret. Sinon le partenaire risque d’être assimilé à une concession automobile, qui relève d’une réglementation européenne spécifique très contraignante.
“Il est difficile de savoir ce qui se va se passer réellement.”
La fédération Traxio suit attentivement le sujet. Mais ce n’est pas simple car les constructeurs limitent l’information. Les concessionnaires participant aux discussions, souvent à travers des associations nationales réunissant les distributeurs d’une marque, sont souvent amenés à signer des clauses de confidentialité qui font que l’information circule peu. “Il est difficile de savoir ce qui se va se passer réellement”, dit Patrick Piret.
L’association européenne des distributeurs automobiles, Cecra, dirigée par un Belge, Bernard Lycke, s’est plainte des méthodes utilisées. “Plusieurs constructeurs refusent de mettre cartes sur table et ne communiquent pas les principaux éléments contractuels à toutes les parties prenantes, indique un communiqué de Cecra publié en décembre dernier. L’information est incomplète et fournie délibérément très tard, suggérant que ce n’est pas un partage de valeur, mais un transfert de valeur au détriment des distributeurs.”
Il est vrai que les importateurs contactés pour cet article se sont montrés peu diserts sur les négociations en cours. “La phase finale des négociations et la conclusion de contrats avec les associations du réseau se déroulent dans un climat constructif”, nous a indiqué Stellantis Belgique, dans un très bref statement.
Tous les distributeurs n’ont pas la même inquiétude face à ce changement. Les grands groupes européens, qui gèrent des centaines de points de vente, comme Van Mossel ou Emil Frey, ont un rapport de force et une organisation qui leur permettent d’aborder la négociation de manière sereine. Les concessions familiales sont moins armées pour entamer ces discussions.
“Nous sommes rassurés sur notre fonction, nous resterons le contact pour le client.”
“Il faut accepter de revoir le modèle de distribution mais on doit trouver un bon compromis, avance Laurent Louyet, premier distributeur BMW en Belgique, basé à Bruxelles, Leeuw-Saint-Pierre et en Wallonie, qui ne paraît pas trop inquiet. Je retiens que notre rôle reste toujours le même, le client passera par le show-room. Nous sommes rassurés sur notre fonction, nous resterons le contact pour le client.” Même une voiture achetée sur le net sera livrée et entretenue par un agent.
Trois grandes approches
Concessionnaire. C’est le canal traditionnel, où le constructeur vend des véhicules à des entreprises qui se chargent de les revendre aux clients finaux. Le concessionnaire finance le stock, en assume le risque, et peut bénéficier d’une exclusivité territoriale. Il peut accorder des remises.
Agent. L’agent commercial (ou commissionnaire) est chargé, moyennant rétribution, de vendre des véhicules, au nom du commettant (importateur ou constructeur). La facturation est assurée par le commettant, qui fixe le prix, et l’agent n’assume aucun risque commercial ou financier. C’est une forme de distribution directe structurée à travers des agents.
Distribution directe. Le constructeur vend en direct ses véhicules, généralement via internet. Tesla a cette approche. Polestar aussi. Des constructeurs chinois sont aussi coutumiers de la vente directe, mais passent en Europe – où ils sont moins connus – par des canaux de concessionnaires.
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