Koen Dejonckheere (CEO Gimv) sur la fin de la hype financière: “Nous sommes face à un crash au ralenti”

Jozef Vangelder Journaliste chez Trends Magazine

Selon Koen Dejonckheere, PDG de la société d’investissement Gimv, d’autres remous sont à prévoir dans le secteur financier. Notre attention ne doit pas se relâcher sur les mégatendances de l’économie réelle, telles que la durabilité, les chaînes de production plus courtes et la réindustrialisation. “Nous nous sommes laissés endormir pendant 30 ans“, déclare-t-il.

Dans une longue interview accordée à nos confrères du Trends, Koen Dejonckheere, le PDG de la société d’investissements Gimv, donne sa vision de la situation financière actuelle après l’effondrement des banques américaines Silicon Valley Bank et Signature Bank et plus près de chez nous, le sauvetage in extremis de Credit Suisse par UBS.

Ses prévisions ne sont pas optimistes. D’autres débâcles suivront, prédit le chef d’entreprise. “Dans certains secteurs de l’économie financière, les choses ont été trop faciles ces dernières années. L’argent était gratuit, puis des structures financières créatives ont vu le jour et on se demande ce qu’elles ont encore à voir avec l’économie réelle. Maintenant que les taux d’intérêt ont commencé à augmenter, la loi de la gravité fait sa réapparition. Toute une série de structures risquent de s’effondrer. Nous devrons à nouveau travailler pour notre argent. Nous devrons à nouveau mouiller notre chemise“. Nous nous dirigeons vers un réajustement important de la valeur de certaines entreprises, par exemple dans le secteur technologique. Extraits.

L’économie ne va-t-elle pas payer le prix de la fête, sous la forme d’une hausse des taux d’intérêt et d’un resserrement du crédit ?

KOEN DEJONCKHEERE. Les crédits hypothécaires seront plus chers et les entreprises paieront plus cher leur crédit d’investissement. Mais cela n’aura pas de conséquences graves. Cela dépendra toutefois de chaque secteur et de chaque entreprise. Les quelque 60 entreprises du portefeuille de Gimv ont peu de dettes, pour une moyenne de seulement deux fois le cash-flow d’exploitation. Nos entreprises utilisent leurs liquidités pour croître, et non pour rembourser des emprunts. C’est aussi la raison pour laquelle leur croissance est plus rapide que celle de l’économie. On comprend pourquoi les banques sont si enthousiastes à l’idée de voir Gimv s’implanter.

Les crédits hypothécaires seront plus chers et les entreprises paieront plus cher leur crédit d’investissement.

Quelle est la prochaine étape ? Les sept années de vaches maigres sont-elles arrivées pour le secteur du capital-investissement ?

Nous nous dirigeons vers un ajustement important de la valeur de certaines entreprises, par exemple dans le secteur technologique. Est-ce une mauvaise chose ? Non, certaines valorisations étaient allées trop loin. Plus vous payez cher pour une entreprise, moins l’acquisition vous rapporte. Les prêts de rachat peuvent encore rendre l’acquisition quelque peu rentable, grâce à une sorte d’effet de levier financier. En soi, il n’y a rien de mal à cette technique, mais elle était utilisée de manière de plus en plus agressive.

L’économie réelle se porte-t-elle mieux ? Nos entreprises doivent faire face à une énergie coûteuse et à des pénuries sur le marché du travail.

L’énergie est un gros problème. Notre industrie sidérurgique et certains pans de notre industrie chimique sont menacés. Notre production d’énergie doit devenir plus verte, une tâche énorme pour l’Europe, grâce au Green Deal. Les pénuries sur le marché du travail coûtent aux entreprises leur croissance et à la société sa prospérité. Le vieillissement de la population ne laisse entrevoir aucune amélioration. Pour faire face à la pénurie, les entreprises doivent numériser et automatiser, s’organiser différemment et coopérer. C’est ce qu’elles font déjà. La région située entre Rotterdam et Le Havre, que je nomme Mainport Flanders, est la zone où les entreprises sont entièrement équipées sur le plan logistique et technologique. Autrefois, nous avions de grandes usines qui faisaient tout elles-mêmes. Aujourd’hui, nous avons une économie de PME qui s’approvisionnent les unes les autres très rapidement. N’oublions pas nos connaissances et nos compétences techniques. Si vous installez une chaîne de production ici, vous pouvez être sûr qu’elle fonctionnera parfaitement. Dans de nombreux endroits ailleurs dans le monde, on ne peut pas en dire autant.

Pour faire face à la pénurie, les entreprises doivent numériser et automatiser, s’organiser différemment et coopérer.

À quoi servent les entreprises productives si elles sont évincées par le nationalisme des subventions américaines et chinoises ?

Les Chinois ont toujours été protectionnistes, et maintenant les Américains nous rattrapent avec leur loi sur la réduction de l’inflation (IRA). Officiellement, cette loi est censée rendre l’économie américaine plus verte, mais en réalité, il s’agit d’un chauvinisme industriel. Ajoutez à cela le fait que l’énergie est moins chère en Chine et aux États-Unis qu’en Europe, ce qui rend les choses encore plus faciles pour les entreprises chinoises et américaines. Les fils de nylon en sont un exemple. Leur production nécessite, entre autres, du gaz naturel. Si le gaz naturel devient plus cher en Europe que les fils de nylon acheminés par bateau depuis la Chine, c’en est fini de notre industrie du nylon. L’Europe devra organiser un protectionnisme raisonné”.

Adieu alors la mondialisation, qui a mis l’électronique et bien d’autres biens de consommation à la portée de toutes les bourses ?

Nous nous sommes laissés endormir pendant 30 ans. Nous avons fait produire des produits à bas prix en Chine, nous les avons acheminés par conteneurs, pour les consommer ici. Cela a donné lieu à des excès, comme les vêtements jetables. Nous nous sommes également détournés de la production polluante dans les pays à bas salaires et avons soudain constaté que nos entreprises fermaient leurs portes en raison de la diminution de l’approvisionnement en composants en provenance d’autres régions du monde. Mais le vent a tourné. Nous nous dirigeons vers la durabilité, des chaînes plus courtes, la démondialisation. Ce sont des mégatendances qu’il n’est plus possible d’inverser. Nous devons investir dans ces mégatendances maintenant, parce qu’elles sont l’avenir.

Il faut annuler le Brexit, car économiquement, les Britanniques sont vraiment ébranlés.

Qui devrait initier cela ?

Ici aussi, l’Europe a une grande tâche à accomplir. Nous avons besoin d’une version européenne de l’IRA et d’un renforcement de notre industrie des semi-conducteurs. Nous devons extraire à nouveau des matières premières en Europe, comme le lithium, et recycler encore plus. Les plans européens tels que le Net Zero Industry Act et le Critical Raw Materials Act vont dans la bonne direction. J’ajouterais encore ceci : il faut annuler le Brexit, car économiquement, les Britanniques sont vraiment ébranlés. Et mieux coopérer avec l’Europe centrale et orientale, de plus en plus sûre d’elle. Ce sera le nouveau pôle de croissance économique de l’Europe. Le groupe de matériaux Umicore n’a pas construit une nouvelle usine en Pologne par hasard.”

Il est temps de créer un rêve européen. Non pas une économie de croissance, mais une croissance meilleure : plus sophistiquée, plus qualitative et plus créative.

À supposer que l’Europe y parvienne, les futures générations seront-elles mieux loties plus tard que nous aujourd’hui ?

Nos enfants auront des emplois, une alimentation saine et vivront dans des villes agréables à vivre, sans embouteillages nauséabonds. Tout le monde bénéficiera d’une éducation soutenue par le numérique. La qualité des soins de santé sera bien meilleure qu’aujourd’hui. Les gens vieilliront en bonne santé. La diversité et l’inclusion gagneront tranquillement du terrain, offrant plus d’opportunités à un plus grand nombre de personnes dans notre société. Et regardez notre nature. Les poissons nagent à nouveau dans les rivières, les loups sont de retour dans les forêts. La nature est déjà en meilleur état qu’il y a 20 ans. Bien sûr, nous sommes stressés par Poutine, par les médias sociaux, etc. Mais vous savez, on entendait souvent parler du rêve américain. Il est temps de créer un rêve européen. Non pas une économie de croissance, mais une croissance meilleure : plus sophistiquée, plus qualitative et plus créative. C’est ce que les Européens savent faire. Nous sommes meilleurs dans ce domaine que les Chinois et les Américains.

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