Julie Vandenbrande – Yvan Verougstraete (Prego !) : “Être ambitieux et voir grand tout de suite”

Julie Vandenbrande et Yvan Verougstraete (Prego!). © D.R.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

L’ex-manager de l’année (Medi-Market) et son associée lancent une chaîne de traiteurs de pâte fraîches à emporter. En visant déjà trente magasins et la France. « Le problème, en Belgique francophone, c’est que l’on voit souvent trop petit. » Récit d’une prise de risque entrepreneuriale.

Julie Vandenbrande et Yvan Verougstraete ont ouvert voici quelques jours leur premier restaurant take-away Prego !, à Woluwe Saint-Pierre. Marque de fabrique : ils proposent des pâtes italiennes fraiches à emporter, à prix modeste. Les deux cofondateurs voient grand : une trentaine de lieux vont naître dans les mois à venir en Belgique, ainsi qu’une extension en France.

Yvan Verougstraete est un ancien Manager de l’année de Trends Tendances, après le succès des parapharmacies Medi-Market et suite à d’autres aventures entrepreneuriales : il lance aujourd’hui Prego ! en marge de sa vice-présidence des Engagés, en politique. Julie Vandenbrande est CEO de Prego !, après l’avoir accompagné durant vingt ans en faisant des études de marché chez Carré Associates. Tous deux nous racontent le modèle économique derrière ce nouveau concept.

Julie Vandenbrande. J’ai rencontré Yvan pour la première fois il y a vingt ans, alors que j’étais chargée, chez Carré Associates, un bureau d’études et de créations de concepts. Nous avons travaillé sur Delitraiteur, Divine Cuisine et, après son tour du monde, Medi-Market. Avec cette idée de chaîne de restaurants italiens, il m’a convaincu de le rejoindre. L’étude avait montré qu’il n’y avait pas de potentiel pour une chaîne de restaurants en tant que tel, tant la concurrence est énorme, mais qu’il y avait un trou dans le marché pour les traiteurs à emporter, à des prix abordables pour ceux qui viennent chercher sur place. Si les clients veulent se faire livrer, ils peuvent, mais ils payent la différence des plateformes de livraison. Les pâtes n’étaient pas un produit qui fonctionne en livraison, alors que c’est pourtant un des plats préférés des Belges, parce que cela ne se prête pas à ça : réchauffé, ce n’est pas bon… Nous avons mis en place un processus permettant aux clients de manger la même qualité à la maison qu’au restaurant : le client reçoit un kit et réalise son plat chez lui en cinq minutes. Nous avons l’ambition d’ouvrir trente points de vente en Belgique et nous comptons débuter l’extension en France dès l’année prochaine.

Yvan Verougstraete. J’avais suggéré il y a quelques années l’idée de lancer des plats préparés surgelés, avant l’arrivée de Picard en Belgique, mais Julie m’avait déconseillé de le faire. Elle a gagné du crédit à mes yeux en disant « non », cette fois-là : c’est le rôle de consultant d’oser exprimer des réticences, on les paye pour ça ! A l’époque de Divine Cuisine, j’avais un chef qui m’avait proposé de lancer une chaîne de restaurants de pâtes. Je lui avais répondu : pas question de me lancer dans un tel business, mais le jour où tu me permettras de cuisiner un plat de pâtes fraiches en moins de cinq minutes, on pourra en discuter. Il est revenu chez moi il y a un an pour me proposer de venir cuisiner chez lui le meilleur plat de pâtes de ma vie en moins de cinq minutes. C’était délicieux. Il avait un process qui tient la route : il avait relevé sa partie du défi, c’était à moi de relever la mienne. C’est à ce moment-là que j’ai contacté Julie, qui m’a conseillé l’idée de traiteurs take away. En limitant les frais liés à la salle de restaurant et à la livraison, on avait notre dérailleur économique pour obtenir des prix raisonnables.

Cette perspective de trente magasins reste une prise de risque considérable dans un marché très concurrentiel, non ?

Julie Vandenbrande. Il y a en effet une prise de risque financière. Mais nous avons déjà construit à Charleroi la cuisine centrale qui est capable d’absorber la production pour nos futurs trente points de vente.

Yvan Verougstraete. Ma conviction, c’est que si vous faites un projet à 100 000, vous avez quatre chances sur dix de le rater. Si vous faites un projet à un million, vous avez peut-être deux chances sur dix de le rater. Si vous faites dix projets à 100 000, vous avez chaque fois quatre chances sur dix de le rater. Individuellement, cela coûte plus cher de rater un projet à 1 million que dix projets à 100 000, mais, au final, la probabilité de réussite est plus élevée. En Belgique francophone, le problème est souvent que l’on voit trop petit : on lance un projet à 100 000 balles et on s’essouffle rapidement.

L’idée est de prévoir un décollage immédiat ?

Yvan Verougstraete. Oui, on créée immédiatement un avantage compétitif en ayant un magasin central, en pouvant diminuer les frais de personnel en magasin, en optimisant tout… Avec Medi-Market, nous avions gagné de l’argent aussi en mettant en place une équipe centrale capable de négocier de meilleurs prix, en développant une logistique optimale… Les magasins payaient un fee à la centrale qui perdait de l’argent avec dix magasins, mais qui en gagnaient beaucoup avec cent magasins. Je n’aurais pas pu faire Medi-Market en fonctionnant comme un pharmacien, je ne pourrais pas faire Prego ! en fonctionnant comme un traiteur. Je pense vraiment qu’en Belgique francophone, on ne se donne pas toujours les moyens de réussir : je vois plein de gens super chouettes qui galèrent parce qu’ils ont créé un produit intéressant, mais qui s’épuisent parce qu’ils n’ont pas les moyens de le promouvoir, qu’ils ne se payent pas en travaillant comme des animaux… Il faut se payer un minimum dès le premier jour où l’on est entrepreneur parce que votre santé psychique est importante. Julie ne va pas être riche avec son salaire actuel en tant que CEO, mais cela lui permet de ne pas être tendue en se disant qu’elle fout sa vie en l’air.

Julie Vandenbrande. Je n’en suis pas là (rires). Pour l’instant, nous avons décidé de se développer en propre. Mais toute la structure est conçue de manière telle que l’on puise franchiser demain. Tout le modèle est conçu pour pouvoir basculer, parce que c’est souvent le problème d’enseignes qui arrivent à se développer jusqu’à cinq, six ou sept points de vente et qui veulent basculer en franchises : il y a un frein énorme si on ne l’a pas prévu à l’avance.

Yvan Verougstraete. On ne franchisera pas tout, parce que c’est important de garder quelques magasins pour garder un contact avec la réalité, mais cela permet d’accélérer le développement. Si vous avez une structure faîtière de fabrication, d’informatique, d’outil marketing, de concept bien travaillé, cela permet de générer davantage de points de vente.

Vos succès précédents, notamment avec Medi-Market, vous ont-elles donné une capacité d’investissements ?

Yvan Verougstraete. Ce n’est pas tellement moi, c’est un groupe de personnes.

Julie Vandenbrande. L’important, c’est d‘avoir la capacité à lever ces fonds.

Yvan Verougstraete. J’amène des gens avec moi qui y croient, qui sont heureux de faire ce projet. On crée une communauté. Nous avons également créé une coopérative qui détient 10% de la société : chaque membre du personnel peut avoir une part tant qu’il est membre du personnel.

Julie Vandenbrande. Trouver du personnel et le motiver, c’est un des autres gros challenge de ce secteur. Nous avons un avantage avec nos horaires, plus gérables, qui permettent d’attirer du personnel de la restauration classique. Mais le turn-over pour un CDI dans le secteur, c’est huit mois. Nous essayons de créer un esprit pour garder ce personnel à travers cette coopérative, à travers une philosophie bien précise que l’on veut partager…

Est-facile de trouver des produits de qualité ?

Julie Vandenbrande. Facile, non, cela a nécessité énormément de travail avec le chef qui a initié le processus. Ce qui est extra, c’est que tout est prévu pour avoir la même qualité, quel que soit le nombre de points de vente.

Yvan Verougstraete. Il avait une connaissance fine, un réseau de contacts, mais nous passions ici à l’échelle industrielle. Notre chaine de pâtes fraiches fait trente mètres de long, avec une capacité de faire 200 kilos l’heure. Pour l’instant, pour les produits, nous travaillons avec des filiales principales et des grossistes. Mais à terme, en grandissant, nous pourrons franchir un échelon et choisir nos fournisseurs en direct.

Julie Vandenbrande. Nous avons pris des engagements clairs e terme de durabilité avec les investisseurs. Nous voulons être certifié B Corp en 2026. Nous ne l’avons pas fait dès le départ parce que cela prend du temps et de l’argent, que nous risquions d’être impayables. C’est un travail que nous allons faire par étapes. Notre réussite permettra l’amélioration de nos chaînes d’approvisionnement, de notre packaging, de notre énergie…

Yvan Verougstraete. C’est une ambition que nous avons. Nous voyons clairement vers où nous voulons aller.

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