Jean-Jacques Cloquet, Manager de l’Année 2018: “Replacer l’humain au coeur du travail”
Sous la plume de notre confrère Didier Albin, Jean-Jacques Cloquet, désormais directeur opérationnel et commercial de Pairi Daiza, livre des tranches très intimes de sa vie et les leçons de management qu’il en a tirées, dans un ouvrage qui se lit comme un roman. ” Grandir et faire grandir ” ou comment réussir une entreprise sociale.
Au printemps dernier, nous vous livrions en exclusivité les résultats de l’étude annuelle de Deloitte sur le capital humain. Ces 2019 Deloitte Global Human Capital Trends confirmaient la montée en puissance de ce que le consultant appelle l’entreprise sociale. Soit celle qui s’est réinventée autour de l’humain et qui combine les profits et les dividendes aux actionnaires tout en améliorant la vie de ses collaborateurs, de ses clients et des communautés dans lesquelles ils vivent. Pour bon nombre d’experts, cette entreprise reste une utopie ou, à tout le moins, un concept difficile à mettre en oeuvre dans tous les contextes.
” Un patron moderne ”
En Belgique, pourtant, nous en avons un exemple vivant. L’aéroport de Charleroi. C’est le modèle présenté dans Grandir et faire grandir, l’ouvrage que viennent de sortir Jean-Jacques Cloquet et Didier Albin. Les chiffres engrangés par l’ancien directeur général de BSCA parlent pour lui : aucun jour de grève en 10 ans, 3% d’absentéisme (11% pour le secteur), un turnover quasi nul et un engagement et une fierté de travailler pour l’aéroport au plus haut. Tout au long d’un bouquin qui n’est ni tout à fait une biographie ni vraiment un livre RH, le nouveau directeur opérationnel et commercial de Pairi Daiza se replonge dans les moments intimes qui ont façonné le manager. De star du foot au Sporting de Charleroi à sa nomination par notre magazine comme Manager de l’Année 2019, Jean-Jacques Cloquet a connu autant de bas que de hauts : licencié de La Carolorégienne, la société de logements sociaux de Charleroi désormais appelée La Sambrienne, car trop qualifié ; jugé ” sur la réserve ” par un cabinet de recrutement il y a 10 ans ; privé de son titre d’administrateur délégué par le décret de gouvernance wallonne en 2018… Mais l’homme, dont les failles apparaissent au grand jour dans le livre, est résilient. D’autres qualificatifs sortent de la bouche, émue, d’Eric Domb, le fondateur de Pairi Daiza qui accueille la présentation du livre : ” C’est un homme bon, gentil, sincère, enthousiaste, toujours prêt à encourager ses hommes et à reconnaître que la créativité vient souvent du terrain. C’est un patron moderne… ”
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Justement, quelles grandes leçons de management retenir de la philosophie développée par Jean-Jacques Cloquet ? Elles sont au nombre de trois :
” Return on consideration “
Toute entreprise connaît le ROI ou return on investment. En résumé, le rendement attendu du capital engagé, qu’on espère à 8%. Un objectif que nombre de sociétés ont érigé en valeur cardinale en oubliant les hommes, indispensables pour l’atteindre. Jean-Jacques Cloquet lui adjoint le ROC. Un concept qu’il a inventé et qui correspond à return on consideration. ” Il ne faut pas jeter le ROI à la poubelle, dit-il. Une entreprise ne travaille pas à perte. Mais un ROI sur papier n’est qu’un projet. Il faut un plan d’actions qui suppose de travailler avec toute la communauté. C’est là que le ROC prend tout son sens. Il faut replacer l’humain au coeur du travail. Le ROC repose sur plusieurs piliers. D’abord aller à la rencontre des gens, s’intéresser à leur travail et se rendre compte de ce qu’ils font. A l’aéroport, c’était vivre un coup de feu avec les bagagistes, par exemple. Ensuite, il faut créer un climat de confiance. C’est la différence entre sincérité et franchise. Me dire que j’ai été viré de La Carolo pour trop grande qualification ? C’est peut-être franc mais sûrement pas sincère. Traiter chacun sur un pied d’égalité : les grands comme les petits, les faibles comme les puissants. Puis, expliquer qu’on est ouvert à la critique constructive. Si un employé vous dit que, lui, n’aurait pas fait cela comme ça, vous savez que vous avez gagné. Car il va mettre de la créativité et de l’enthousiasme pour améliorer son travail ou la façon de faire. Enfin, il faut reconnaître ses erreurs. Ce qui, pour certains patrons, nécessite un sacré travail sur eux-mêmes. ”
N’allez pas croire, quand même, que notre Manager de l’Année soit un bisounours. Oui, il faut consacrer du temps à l’empathie et à l’attention pour motiver et concerner mais le ROC n’est pas gratuit… ” Les objectifs et les KPI ( key performance indicators) doivent toujours être atteints ! Simplement, et des études le montrent, le bien-être au travail augmente la motivation, la mobilisation, l’engagement et la disponibilité des collaborateurs. Ce ROC va pousser les capacités de vos équipes beaucoup plus haut. Et ces gains sont parfois bien plus élevés que ceux escomptés dans le ROI : productivité en hausse, absentéisme en baisse, fierté de travailler, etc. ”
Le principe de triangulation
Le ROC conduit, en fin de compte, à un triangle vertueux. L’entreprise fait d’une pierre trois coups : elle permet d’atteindre un équilibre entre les attentes des actionnaires, le service attendu par les clients et le bien-être des employés. Chacun doit en tirer les bénéfices escomptés. ” Il faut un juste équilibre entre toutes les parties, estime Jean-Jacques Cloquet. Une entreprise ne peut pas tout donner. Regardez à la SNCB. Ils ont tout reçu et, aujourd’hui, on veut leur enlever une partie. Alors oui, du coup, ils font grève. ”
E=MC2. L’excellence est égale à la motivation multipliée par la considération au carré.
Dans leur ouvrage, les deux auteurs s’emploient aussi à développer la théorie d’un deuxième triangle vertueux : l’indispensable équilibre entre la vie privée, la vie professionnelle et soi-même. Ce qui induit, entre autres, un certain nombre de démarches entreprises par les RH pour améliorer le bien-être des employés au travail : télétravail, flexibilité du travail ou encore annualisation des heures de boulot que Cloquet a mis en oeuvre sur base volontaire à BSCA.
Grandir et faire grandir
C’est le titre du livre car, plus que le ROC, c’est la base de la philosophie Cloquet : il ne faut pas faire soi-même ce que d’autres font mieux que vous. Pour un patron, cela signifie déléguer et s’entourer de collaborateurs qui sont meilleurs que lui dans leur domaine. Déléguer ne veut pas dire abandonner mais suivre et recadrer si nécessaire. Cette délégation libère les talents, développe les compétences, permet de se dépasser et de s’épanouir. En fin de compte, c’est toute l’équipe qui sera tirée vers le haut par cette recherche de l’excellence. ” Pour faire plaisir à mon nouveau patron qui ne parle que d’excellence à ses équipes, j’ai inventé une nouvelle formule : E=MC2. L’excellence est égale à la motivation multipliée par la considération au carré. L’excellence, on ne l’atteint jamais mais la viser permet de progresser sans cesse. ”
Transposable ?
Si Jean-Jacques Cloquet a commencé à appliquer à Pairi Daiza sa philosophie de management qui avait obtenu d’excellents résultats à BSCA, est-elle pour autant transposable ? Surtout si on souhaite l’appliquer dans une entreprise qui compte des milliers d’employés ? ” Honnêtement, je pense que oui, conclut notre Manager de l’Année. C’est certainement plus compliqué dans certains secteurs ou entreprises où les règles du jeu sont plus strictes. C’est transposable si vous avez de vrais relais dans l’entreprise. Et c’est là que se situe le plus grand risque : les barons qui veillent férocement sur leur pré carré et bloquent la communication. Le rôle du middle management est crucial. Il faut donc bien recruter. Bien expliquer dans quel contexte de management les candidats vont arriver. Plus que les compétences, ce sont les valeurs que les RH doivent regarder. Sont-elles compatibles ? Les soft skills sont-elles appropriées ? ”
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