Premiers mois à Pairi Daiza: comment Jean-Jacques Cloquet est-il passé d’un aéroport au premier parc de Wallonie ?

© JULIEN LEROY (BELGAIMAGE)

Hier, le Manager de l’Année 2018 s’occupait d’avions et de passagers. Aujourd’hui, Jean-Jacques Cloquet gère la vie quotidienne du paradis de Brugelette, des parkings aux animaux en passant par les restaurants et la brasserie. Nous lui avons rendu une longue visite, histoire de voir comment il appréhende ses nouvelles fonctions.

Nous l’avions quitté, fin décembre, sous un ciel gris et pluvieux, dans une salle de réunion de l’ancienne aérogare de Charleroi, pour son dernier jour à la tête de l’aéroport, juste avant qu’il ne rende les clefs de sa voiture. Trends-Tendances venait alors de l’élire Manager de l’Année 2018.

Quatre mois plus tard, sous le soleil éclatant du week-end de Pâques, nous retrouvons Jean-Jacques Cloquet, 58 ans, dans une salle de réunion de Pairi Daiza. Au mur : une carte du parc reprenant ses développements prochains, notamment 50 hébergements, dont la construction s’achève. ” Leur ouverture est fixée à la fin juin, annonce-t-il. Ils s’intégreront à un nouveau monde que nous créons, La Dernière frontière (Canada, Colombie britannique), avec des ours, des érables… ”

Les phrases sont courtes, le nouveau co-CEO de Pairi Daiza, en charge de l’opérationnel, parle entre deux coups de fil. Plus que jamais, il est collé à son smartphone. Les questions opérationnelles du parc remontent vers lui. ” Nous venons de lancer la saison le 6 avril, elle démarre sur les chapeaux de roues, car le temps est magnifique. ” Le téléphone lui apporte quelques échos du dehors, aussi. Jacqueline Galant, élue MR de Jurbise, une commune voisine, l’appelle pendant notre visite. Elle a été bloquée dans un embouteillage, sur le chemin du parc. Les photos qu’elle laissera sur Facebook en fin d’après-midi montrent qu’elle est bien arrivée. ” Evidemment, il faudrait accélérer le contournement “, laisse tomber Jean-Jacques Cloquet après l’appel. Un contournement qui se fait attendre.

Premiers mois à Pairi Daiza: comment Jean-Jacques Cloquet est-il passé d'un aéroport au premier parc de Wallonie ?
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De 162.000 à 2 millions de visiteurs

C’est que Pairi Daiza n’est plus le parc ouvert le 10 mai 1994, il y a presque 25 ans, sous le nom de Paradisio, qui attirait 162.000 personnes sur sa première année et comptait 1.600 animaux sur 55 hectares. En 2019, il devrait largement dépasser les 2 millions de visiteurs, et 7.000 animaux, sur 73 hectares. Les jours de grand soleil, plus de 20.000 personnes passent, en voiture, par les routes qui traversent la campagne de la région d’Ath, engorgeant les rues des villages voisins comme Gages, Cambron, Brugelette, pour rejoindre un parc qui s’agrandit tous les ans. Raison pour laquelle Pairi Daiza est prêt à cofinancer un contournement.

Jean-Jacques Cloquet connaît bien les soucis des infrastructures en croissance. Il a géré l’aéroport de Charleroi, passé de 3 à 8 millions de passagers entre son arrivée en 2008 et son départ 10 ans plus tard. Avec l’agrandissement des parkings, l’extension difficile de l’aérogare saturée aux heures de pointe, les menaces de grèves… C’est son expérience qui intéressait Eric Domb, fondateur de Pairi Daiza, Manager de l’Année 2007. ” Je le connais depuis sept ou huit ans, explique Jean-Jacques Cloquet. On se voyait alors une ou deux fois par an. Nous partageons les mêmes valeurs, nous avons le même souci de développer le Hainaut. ”

Ma grande hantise a toujours été qu’un passager manque son vol. Nous n’avons pas le même genre d’angoisse ici….

Le nouveau co-CEO est arrivé le 7 janvier à son bureau de Brugelette, dans l’ancienne ferme de l’abbaye de Cambron, centre névralgique du parc. Un moment calme, qui lui laisse le temps de se familiariser avec la machine hyper saisonnière d’Eric Domb. ” J’ai pu démarrer progressivement, rencontrer les gens, participer à la préparation de la saison. ” Progressivement, il faut le dire vite. ” C’est un travail de fou “, reconnaît-il finalement. Depuis le rush de l’ouverture, le rythme est paraît-il infernal. ” Mais je n’ai jamais choisi la facilité. ”

Jean-Jacques Cloquet dirige le fonctionnement quotidien du parc. ” Cela va jusqu’à la politique commerciale, la gestion des services zoologiques. ” Pendant les mois d’hiver, il a participé à la gestion de la maintenance du parc (réfection des allées, réparations, peintures, etc.), mis la pression pour que tout soit prêt pour le premier jour d’ouverture. ” Et commencé à assimiler une infime partie des connaissances d’Eric Domb sur son paradis “, nous glisse-t-il.

Pairi Daiza est ainsi désormais dirigé par un triumvirat, dont les membres portent tous le titre de CEO. Outre Jean-Jacques Cloquet, il y a Yvan Moreau, qui gère les finances, le juridique, l’informatique, les achats. Et le fondateur Eric Domb, bien sûr, qui se concentre sur le développement du parc. Il voyage, imagine les nouveaux mondes qui vont s’ajouter, recherche les nouveaux animaux, pense les nouveaux jardins – l’aspect botanique est important. En 2006, les jardins chinois étaient inaugurés. En 2012, c’était La Terre des origines (Afrique). Autant de raisons offertes aux visiteurs de redécouvrir régulièrement le parc. Cette année, Pairi Daiza va d’ailleurs encore s’agrandir de huit hectares avec La Dernière Frontière, mais aussi développer La Terre du froid, sur 4,5 hectares, que rejoindront des ours polaires, et ouvrir d’autres hébergements. Objectif : ouvrir le site également autour des fêtes de fin d’année, environ trois semaines, et attirer les clients avec des animaux à l’aise dans l’hiver belge. Qu’on ne s’y trompe pas : le patron des patrons de Pairi Daiza, c’est donc bien Eric Domb. ” Je l’appelle patron, il n’aime pas, glisse malicieusement Jean-Jacques Cloquet. Mais il me fait une grande confiance. Il est exigeant et soucieux du détail. ”

Une gestion dictée par la météo

Entre un aéroport et un parc aussi particulier que Pairi Daiza, le saut est pourtant énorme. L’aéroport est une infrastructure minutée, impersonnelle. Pairi Daiza est un rêve vivant, celui d’Eric Domb, qui cherche à séduire les visiteurs, au plus près des sources des univers représentés, ” avec des matériaux authentiques venus des pays d’origine, parfois réalisés par des artisans dont ils proviennent, assure Jean-Jacques Cloquet. Les temples hindouiste et bouddhiste ont été certifiés par leurs pays, on y organise parfois des célébrations religieuses. ”

La grande différence entre aéroport et parc ? L’un est le début du voyage ; l’autre, la destination. Et à Pairi Daiza, les clients sont bien les visiteurs, alors qu’à l’aéroport, ce sont surtout les compagnies, même si les voyageurs achètent aussi des services (parking, restauration, etc.). Toutefois, de l’avis du CEO, ” il y a des similitudes entre les deux activités. La zone de chalandise, par exemple, est à peu près identique. Jusqu’à environ 200 km. ”

Reste que l’aéroport était, d’une certaine manière, plus stressant. ” Ma grande hantise a toujours été qu’un passager manque son vol. Nous n’avons pas le même genre d’angoisse ici. Je ne dois pas me dire que demain, il y aura peut-être des soucis avec le contrôle aérien… ” Dans le parc, la pression vient en fait davantage des prévisions météo qui font grimper ou reculer le nombre de visiteurs, modifiant tout l’opérationnel. Les jours de pointe, il faut donc assurer ! Et cela commence dès les parkings. Ainsi Jean-Jacques Cloquet est-il allé lui-même donner un coup de main pour guider les véhicules des visiteurs au seuil du week-end de Pâques.

” C’est une autre grande différence avec l’aéroport : la rapidité de la fluctuation de la fréquentation “, note-t-il. Un parc comme Pairi Daiza est surtout visité durant les mois d’été. Les jours de soleil. La moindre goutte de pluie est rédhibitoire. ” Certes, un aéroport est également saisonnier, mais on sait à l’avance combien de passagers passeront chaque jour. La météo ne joue guère de rôle, tout ne change pas en quelques heures. A Pairi Daiza, on ne peut pas anticiper de la même manière. ” Le parc a des accords avec des agences d’intérim pour fournir rapidement des effectifs. A l’étiage, le parc compte 340 salariés. Les jours d’affluence, il monte jusqu’à 800 personnes.

Durant toute ma carrière, j’ai affronté des critiques, mais elles étaient constructives. Ici, c’est autre chose. Les opposants sont très durs. Ils nous disent : vous ne pouvez plus exister.

Les jours gris et pluvieux, il n’y a guère qu’un bon millier de visiteurs, alors que le soleil peut en faire venir plus de 20.000. ” Et si l’on approche des 30.000, cela devient difficile, reconnaît Jean-Jacques Cloquet. On arrête alors la vente des billets via Internet. ” Les jours les plus redoutables sont surtout ceux avec une météo mi-chèvre mi-chou. Si le soleil succède à un matin pluvieux, la clientèle des environs déboule dans les allées. ” Surtout les abonnés “, précise le CEO carolo. Le parc pousse en effet particulièrement ce concept, rappelé partout le long des allées. ” Présentez votre ticket d’entrée et ne payez que la différence avec l’abonnement “, indiquent des panneaux en trois langues. ” L’abonnement revient à environ 2,5 fois le prix d’un ticket ( qui est de 28 à 34 euros en ligne, Ndlr), détaille Jean-Jacques Cloquet. Mais ceux qui les achètent visitent en moyenne cinq fois le parc. Et il y a plus de 100.000 abonnés. ”

Jusqu’ici, le parc était géré en tandem par Eric Domb et Yvan Moreau, qui partageaient le suivi de l’opérationnel avec leur secteur spécifique, développement et finance. C’est la progression constante des visiteurs et des ventes qui a entraîné le besoin de renforcer l’organisation. Une situation classique dans ce profil d’entreprise à croissance continue, où l’organisation d’hier, plus informelle, doit passer à une nouvelle dimension, mais en gardant son esprit originel. ” L’approche du management d’Eric Domb est celle de ‘l’entreprise libérée’, explique Jean-Jacques Cloquet. Nous essayons de conserver cet esprit de PME. Il y a toujours quelqu’un prêt à aider. S’il y a un gros travail à faire, par exemple déplacer des ballots de nourriture pour les animaux, des gens des bureaux viendront aussi donner un coup de main. ”

Premiers mois à Pairi Daiza: comment Jean-Jacques Cloquet est-il passé d'un aéroport au premier parc de Wallonie ?
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L’hôtellerie, étape symbolique

L’ouverture prochaine de logements à l’intérieur du parc constitue une étape symbolique. Presque comme celle de 2014, lorsqu’a débarqué le couple de pandas géants, qui a poussé le parc au-dessus du million de visiteurs, et permis d’attirer plus de visiteurs de Flandre. Cette idée des logements vient de la difficulté de parcourir le parc en une seule journée, vu ses agrandissements successifs. D’où cette future offre de séjours proposant une expérience d’immersion. Avec une ouverture plus tardive de la zone de La Dernière Frontière, juste pour les visiteurs qui logent sur place… ” Cela permet aussi d’attirer un public qui vient de plus loin. ” Peut-être en avion, puisque Gosselies n’est qu’à 50 kilomètres.

Le parc entend proposer à terme des hébergements très différents. Depuis un hôtel classique, avec vue sur les otaries de Steller, jusqu’à des maisons enterrées, avec vue sur le territoire des ours et des loups. Jean-Jacques Cloquet deviendra donc hôtelier. Un métier supplémentaire. ” A l’aéroport, beaucoup de fonctions sont sous-traitées, comme l’horeca, le nettoyage, les magasins, la sécurité. Chez Pairi Daiza, nous avons plutôt tendance à tout faire nous-mêmes. ” Même la bière, puisque les 10 restaurants du parc y proposent aussi L’Abbaye de Cambron, brassée sur le site.

Nous suivons maintenant Jean-Jacques Cloquet à travers le parc, histoire de mieux saisir la palette de ses nouvelles fonctions. Le voilà au Cabinet du docteur Yu, un pavillon chinois avec des petites piscines où des poissons mangent les peaux des pieds, pour 6 euros. ” Vous devriez essayer “, nous propose la dame au comptoir. Le CEO passait pour parler d’un souci de hauts-parleurs, qui distillent de la musique d’ambiance.

Comme c’est l’heure du déjeuner, et que nous tournons dans la Cité des Immortels (zone asiatique), Jean-Jacques Cloquet propose le buffet du restaurant asiatique, le Temple des délices. Il est installé dans un vaste bâtiment de style chinois, en bois, construit ” sans un clou ni une vis “, par tenons et mortaises. Toujours le goût du détail…

Premiers mois à Pairi Daiza: comment Jean-Jacques Cloquet est-il passé d'un aéroport au premier parc de Wallonie ?
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Quelques opposants “très durs”

Devant l’assiette, au premier étage, où les tables sont séparées par des cloisons ajourées, le Carolo se lâche un peu. ” Il y a quand même une chose qui me frappe dans ma nouvelle fonction. Durant toute ma carrière, j’ai affronté des critiques, mais elles étaient constructives. Ici, les opposants sont très durs. Ils nous disent : vous ne pouvez plus exister. ” Le CEO parle de ceux qui se dressent contre le principe même de Pairi Daiza, comme le nouveau parti animaliste DierAnimal, dont une responsable a dernièrement manifesté son opposition à l’arrivée d’ours polaires dans la future Terre du froid.

” Pourtant j’en ai vu, des opposants critiques. Quand j’ai débuté ma carrière, chez Solvay, dans le PVC, j’ai été confronté à Greenpeace. A l’aéroport de Charleroi aussi, il y avait des réunions houleuses, notamment pour l’étude d’incidence de la prolongation de la piste. Il n’y avait pas que des commentaires gentils, mais ça allait. J’ai toujours pu avoir un dialogue constructif. Ici c’est autre chose. ”

Alors, le parc, il le défend. ” Les visiteurs se plaignent parfois qu’ils ne voient pas toujours les animaux, mais c’est justement parce que nous sommes attentifs à leur bien-être. Ils font ce qu’ils veulent, c’est eux qui décident de rester ou non à l’intérieur. ” Nous en aurons confirmation plus tard, en passant devant la zone des pandas, où les animaux était effectivement fort peu visibles… ” Ils ont un droit de retrait “, affirme notre interlocuteur.

Une politique qui ne nuit en tout cas pas à la bonne réputation du parc auprès des guides touristiques. Michelin lui a attribué pour la cinquième fois trois étoiles. Et les cotes sur TripAdvisor et Google Maps sont élevées (respectivement 4,5 et 4,7 sur 5). Comme pour insister, Jean-Jacques Cloquet passe aussi à la Fondation Pairi Daiza, nous montrant de vastes cages où volent de superbes perroquets bleus. ” Ce sont des Ara de Spix, ils ont disparu à l’état sauvage depuis 2000. ” La Fondation et des partenaires, dont notamment les autorités brésiliennes, prévoient de réintroduire l’Ara de Spix dans le désert de la Caatinga, dans le nord-est du pays.

Nous voici de retour dans la salle de réunion. Jean-Jacques Cloquet égrène les questions à voir ou à revoir. ” Je devrais mieux gérer mon temps, il y a des priorités. Mais ça viendra “, nous assure-t-il, avant de foncer à une nouvelle réunion. Son objet : la bière brassée dans le parc. Une bonne journée.

Deux Manager de l’Année

Dans le parc Pairi Daiza, il n’y a pas que des pandas. Mais aussi deux Manager de l’Année : Eric Domb (2007) et Jean-Jacques Cloquet (2018). Il s’agit d’une situation exceptionnelle. Lorsqu’il avait été élu par les lecteurs de Trends-Tendances, Eric Domb avait déjà largement gagné son pari de lancer un parc au coeur du Hainaut, mettant les visiteurs et les animaux en communication d’une autre manière que les zoos traditionnels, poussant loin le souci botanique et architectural. Après 15 ans d’activité, en 2017, le parc dépassait les 600.000 visiteurs, et s’appelait encore Paradisio. Ce nombre a triplé l’an dernier…

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