Itinera: “Nous sommes les optimistes qui osent pointer les problèmes et s’y attaquer”

Marc Michils (Kom op tegen Kanker), Ank De Wilde (Itinera) et Bernard Delvaux (Etex). "Nous nous focalisons sur une contribution sociétale." © Debby Termonia
Dirk Vandenberghe Journaliste freelance

Avec Marc Michils (Kom op tegen Kanker) et Bernard Delvaux (Etex), parmi ses nouveaux administrateurs, le think tank Itinera souhaite encore élargir son expertise et passer davantage de l’analyse à l’action. “Nous vivons une époque troublée. Les gens ont besoin de perspectives”, explique Marc Michils pour justifier son engagement.

Si l’on cherche dans notre pays quelqu’un qui a prouvé que la réflexion économique et l’engagement social peuvent faire bon ménage, on pense immédiatement à Marc Michils. Le président de l’ASBL Kom op Tegen Kanker a commencé sa carrière dans la publicité chez BBDO, avant de fonder sa propre agence, Quattro, devenue la branche internationale de Saatchi & Saatchi. Après ses réussites dans la pub, Michils a opté en 2012 pour une mission moins commerciale, celle de directeur général de l’ASBL active dans la lutte contre le cancer en Flandre et à Bruxelles. Sous sa direction, cette organisation s’est développée pour compter 95 collaborateurs et générer un chiffre d’affaires annuel de 48 millions d’euros. Il en est toujours le président, tout en siégeant dans les conseils d’administration de plusieurs autres organisations.

C’est désormais en tant qu’administrateur d’Itinera qu’il va également poursuivre son parcours. “Nous avons contacté Marc pour son enthousiasme, ses valeurs personnelles et son expertise dans l’entrepreneuriat social et innovant. Avec lui, nous espérons donner une dimension supplémentaire au rôle de trait d’union que nous voulons jouer dans la société. Nous voulons être les optimistes qui osent pointer les problèmes et s’y attaquer, en réfléchissant aux solutions”, déclare la présidente et co-CEO du groupe de réflexion, Ank De Wilde.

Marc Michils résume son envie de rejoindre Itinera en un seul mot : citoyenneté. “Nous vivons une époque troublée. Les équilibres mondiaux se transforment et les citoyens ne se sentent pas en sécurité. Les gens ont besoin de lien et de contact humain. Fort de ma double expérience en économie et en action sociale, je souhaite participer à l’analyse des problèmes, mais surtout à la construction des réponses. C’est précisément dans les périodes sombres qu’il faut des personnes capables d’offrir une vision à long terme. C’est cela qui m’attire chez Itinera.”

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“C’est précisément dans les périodes sombres qu’il faut des personnes capables d’offrir une vision à long terme. – Marc Michils, administrateur d’Itinera

De l’avis de beaucoup, ce think tank ressemble à un lobby pour entrepreneurs. Mais d’après Ank De Wilde et Marc Michils, il s’agit d’une conception erronée. “Nous nous focalisons sur une contribution sociétale, répond la présidente et co-CEO. Ce n’est pas parce que des entrepreneurs s’engagent qu’ils n’y voient forcément que leur intérêt propre. Je veux faire tomber ce tabou. D’autres organisations s’occupent spécifiquement des intérêts patronaux. Nous croyons évidemment en l’entrepreneuriat comme moteur de prospérité et de résilience pour la société, mais cela ne fait pas de nous un lobby au service des entreprises.”

“Si cela avait été le cas, je n’aurais jamais accepté de m’impliquer, assure Marc Michils. S’il y a bien une chose que j’ai essayé de faire dans ma vie, c’est montrer que les entreprises peuvent être au service du bien-être, et que les organisations sociales peuvent se révéler entreprenantes, innovantes et orientées résultats. Au sein d’Itinera et ailleurs, j’ai rencontré de nombreux chefs d’entreprise qui veulent apporter leur contribution à l’intérêt général, à un projet pour les générations futures.”

Offrir une perspective

L’un de ces entrepreneurs est Bernard Delvaux, CEO du fabricant de matériaux de construction Etex, qui reprend son siège d’administrateur, tout comme Nicolas Saverys, du groupe maritime Exmar. Karel Vinck, ancien dirigeant de la SNCB, rejoint lui aussi la gouvernance d’Itinera.

Bernard Delvaux insiste également sur la nécessité de proposer des perspectives aux citoyens. “J’analyse naturellement les choses du point de vue d’un entrepreneur, puisque c’est le rôle que j’occupe dans la société. Avec Itinera, ce que nous essayons de faire, c’est rechercher ensemble des solutions pour préparer un avenir ambitieux. Chaque mot a son importance, et tout particulièrement le mot ’ensemble’. Aujourd’hui, je vois trop peu de storytelling quant à l’avenir, aucune vision claire pour le futur. Cela amène parfois les gens à se tourner vers des extrêmes, ce qui est à la fois triste et préoccupant. Beaucoup pensent que leurs enfants seront moins bien lotis qu’eux. Je crois que ce n’est pas inéluctable, mais il nous appartient d’y travailler, de proposer des solutions et de les formuler de manière à redonner de l’espoir. On peut dire qu’il faut faire des économies, mais on peut aussi souligner que l’on va réduire l’arriéré judiciaire, améliorer la sécurité dans les villes ou investir dans l’avenir. Notre société a besoin d’une transformation, et il faut convaincre un maximum de personnes de la nécessité de ce changement. Sinon, au lieu de gagner des soutiens, on récolte des blocages.”

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“Notre société a besoin d’une transformation, et il faut convaincre un maximum de personnes de la nécessité de ce changement.” – Bernard Delvaux, administrateur d’Itinera

Avec “Braintrust”, fruit d’entretiens avec environ 250 personnes, Itinera a lancé l’an dernier une série de pistes de solutions pour le long terme. Depuis, des gouvernements régionaux et fédéral ont été formés. Le think tank voit-il dans leurs programmes un premier élan vers des réformes indispensables ?

“Oui, absolument, estime Ank De Wilde. Nous y discernons les reflets de bon nombre de propositions et d’idées qu’Itinera défend depuis des années. Toutefois, si je peux me permettre une réserve, cela demeure un peu trop technique, sans véritable grande ambition globale. Mais un accord de gouvernement est avant tout une déclaration d’intentions, et nous constatons déjà une prise de conscience de la réalité dans laquelle nous nous trouvons.”

Prise de conscience urgente

Depuis longtemps, Itinera met en garde contre un poids de l’État trop élevé et un manque d’efficacité dans l’administration. Aux États-Unis, Elon Musk bouscule l’appareil public via son Department of Government Efficiency (DOGE). Faut-il craindre que ce genre d’initiative se révèle contre-productif dans le débat portant sur une plus grande efficience du secteur public ?

“Avant toutes choses, ce que font Musk et Trump est navrant, et ce n’est absolument pas ce que nous prônons, affirme Marc Michils. Je pense qu’Itinera et l’ensemble de la société se retrouvent aujourd’hui face à une opportunité de concevoir et de défendre un modèle de prospérité différent. Peut-être que la seule chose positive dans cette période troublée et dans les agissements de Trump et de son gouvernement, c’est la prise de conscience urgente qu’il faut opérer un véritable virage. Je crois aussi que le citoyen est prêt pour cela. Et il y a chez nous de bonnes propositions pour rendre les pouvoirs publics plus efficients. Voyez l’initiative du ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit) concernant les centres d’expertise pour le traitement du cancer : c’est plus rationnel sur le plan budgétaire, tout en accroissant les chances de survie et la qualité de vie des patients.”

Une administration ne doit pas forcément être un obstacle bureaucratique, même si de nombreux citoyens et entreprises la perçoivent actuellement ainsi, souligne encore Ank De Wilde. “Nos services publics gaspillent trop et les dépenses de l’État doivent être réduites. Mais les deux sont liés. Ne vous méprenez pas : les gens sont tout à fait disposés à payer beaucoup d’impôts pour assurer le bien-être des générations futures. Mais dans ce cas, ils s’attendent à se retrouver face à des autorités flexibles et ambitieuses, qui soutiennent réellement la création de valeur.”Concernant l’

de Musk, Bernard Delvaux ajoute : “Chez Itinera, nous aspirons à une perspective ambitieuse et positive pour l’avenir. Il convient de se demander si les méthodes employées par Musk offrent une telle perspective. La réponse me paraît évidente…”

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Contact humain

Mais il n’y a pas que l’État qui a un rôle à jouer. Les entreprises doivent elles aussi parfois davantage assumer leur rôle sociétal, estime Marc Michils. “Je ne sais pas si tu le sais, Ank, mais en me recrutant, tu as fait venir quelqu’un qui peut aussi porter un regard critique sur le monde de l’entreprise, lance-t-il en souriant. Ma marotte, c’est le manque de contact humain. Quand je vois la façon dont certaines banques ou opérateurs télécoms traitent leurs clients, ce n’est pas toujours exemplaire. Et dans certaines administrations locales, on a tellement poussé la numérisation qu’il n’est plus possible de s’adresser à une personne à un guichet physique, seulement via un site internet. Cela génère de l’insatisfaction. Une insatisfaction que non seulement les pouvoirs publics, mais aussi nos entreprises, peuvent contribuer à réduire.”

La quête de performance à tout prix s’est faite au détriment de l’humain.” – Ank De Wilde, co-CEO d’Itinera

Ank De Wilde ne peut qu’approuver. “La quête de performance à tout prix s’est faite au détriment de l’humain. Or c’est précisément en conciliant ces deux dimensions que nous pouvons faire la différence. Marc, j’ai vraiment hâte de débattre de ce sujet avec toi au sein du conseil, afin de trouver la meilleure façon de concilier ces deux aspects et d’intégrer cela à notre stratégie.”

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