Slogans et logos trompeurs… Certains surfent sur la vague verte pour séduire les consommateurs. Si l’Europe patine, justice et éthique publicitaire tentent, en Belgique, d’encadrer les dérives.
Le greenwashing est un problème dans toute l’industrie agroalimentaire”, affirme l’association de consommateurs Testachats. Green- washing ? “Le terme est souvent traduit en français par écoblanchiment. Il s’agit d’une pratique de marketing trompeuse”, commente Aurore Richel, spécialiste de la question, docteure en sciences chimiques à l’ULiège/Agro-Bio Tech Gembloux.
“Ce terme a été pour la première fois introduit en 1986 par Jay Westervelt, un militant écologiste américain, poursuit-elle. Il s’indignait de certains agissements de l’industrie hôtelière. Ainsi, parce qu’il faut ‘sauver la planète’ et que ‘chaque jour, des millions de litres d’eau sont utilisés pour laver les serviettes qui n’ont été utilisées qu’une seule fois’, les clients des hôtels sont invités à réutiliser leurs serviettes de bain. Si le but est naturellement louable, Jay Westervelt a vu derrière ces pratiques une certaine ironie. En positionnant les clients sous la lumière trompeuse de leur propre responsabilité écologique, les hôtels réduisent tout simplement leurs coûts de laverie et de fonctionnement. L’objectif est donc avant tout économique. Sous l’argument environnemental se cache insidieusement l’avantage financier.”
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Dans la jungle des affirmations
Le dernier avatar en date de greenwashing à grande échelle a été soulevé par l’organisation de consommateurs néerlandaise Consumentenbond. Selon elle, plus de la moitié des 450 produits analysés de la multinationale Unilever comporteraient des allégations environnementales trompeuses. Plusieurs marques emblématiques du groupe, comme Unox, Knorr, Lipton, Calvé, Ola ou Hellmann’s, seraient concernées. L’organisation dénonce notamment des allégations de durabilité potentiellement mensongères, des formules trop vagues, comme “cultivé de manière durable”, jugées trop générales pour être crédibles. Elle reproche également à la multinationale l’usage de logos inventés, visuellement proches de labels officiels, ce qui sème la confusion chez les consommateurs quant au réel engagement environnemental des produits.
De son côté, Unilever défend ses pratiques, affirmant que ses allégations reposent sur ses propres critères ainsi que sur des certifications reconnues au niveau international. Difficile pour le consommateur d’y voir clair dans cette jungle d’affirmations. D’autant qu’Unilever n’est pas la seule entreprise à être pointée du doigt. Plus de la moitié des allégations examinées par l’UE sur le marché sont “faibles, trompeuses ou mensongères”.
L’Europe fait machine arrière
C’est dans cette optique que de nouvelles règles européennes (Green Claims) devaient entrer en vigueur l’an prochain. Elles prévoyaient d’interdire l’usage de logos de durabilité auto-attribués, ne laissant cette possibilité qu’à des organismes indépendants. Et ce, afin de lutter plus efficacement contre le greenwashing. L’Union européenne espérait ainsi renforcer la confiance des consommateurs envers les allégations et labels de durabilité. Mais, coup de théâtre, fin juin, tout a volé en éclats. Il faut dire que le texte s’était heurté à une opposition croissante.
“La Commission a l’intention de retirer la proposition relative aux allégations écologiques”, expliquait, lors d’un point-presse, Maciej Berestecki, porte-parole de l’exécutif européen. Pour expliquer cette volte-face, l’Europe s’abrite derrière des discussions faisant valoir que la proposition contredirait son objectif de simplification administrative : “Environ 30 millions de microentreprises, soit 96% de toutes les entreprises, pourraient être couvertes par la proposition si les microentreprises y étaient incluses. Cela fausserait la proposition de la Commission, laquelle vise à soutenir le développement des marchés verts tout en évitant d’imposer une charge excessive aux plus petites entreprises.”
“La suspension de la directive contre le greenwashing serait un mauvais message donné par la Commission européenne, pense Aurore Richel. Son retrait est d’ailleurs au cœur d’une grande poussée ‘anti-écologiste’ au sein du Parlement européen. Elle était une forme de barrière, évitant à chaque entreprise de se donner une image ‘écoresponsable’ sur base de critères peu validés, ou même parfois complètement infondés. Son retrait pourrait donc permettre à chaque entreprise de clamer, sans aucune restriction, que ses produits ou ses services sont bénéfiques pour l’environnement, qu’ils n’ont pas de conséquences sur les écosystèmes ou sont neutres pour le climat. À terme, on risque donc de voir des publicités vantant des voyages en avion ‘sans impact carbone’, des voitures thermiques ‘qui ne polluent plus’, ou même des entreprises actives dans les énergies fossiles ‘qui sont neutres en carbone’.”
“La suspension de la directive contre le greenwashing serait un mauvais message donné par la Commission européenne.” – Aurore Richel (ULiège/Agro-Bio Tech Gembloux)
Et la scientifique de poursuivre : “De nombreuses grandes entreprises sont déjà pointées du doigt pour ce type de pratiques commerciales trompeuses à la sauce durabilité. Il s’agit souvent de firmes actives dans le secteur de l’énergie, des compagnies aériennes, du secteur automobile. Cela concerne aussi souvent des acteurs du secteur des cosmétiques et des produits détergents. C’est d’autant plus préjudiciable quand on sait que près d’un consommateur européen sur deux se dit sensible à ces arguments ‘verts’ au moment de sa décision d’achat… Cela va donc générer une confusion supplémentaire auprès des consommateurs. Il va sans dire que la sensibilisation du consommateur et du grand public va donc devoir être renforcée. Il est important que chaque État membre prenne ses responsabilités pour encadrer ces dérives, même en cas de blocage au niveau européen.”
“C’est d’autant plus préjudiciable quand on sait que près d’un consommateur européen sur deux se dit sensible à ces arguments ‘verts’.” – Aurore Richel (ULiège/Agro-Bio Tech Gembloux)
Éthique publicitaire et sanctions
Justement, qu’en est-il en Belgique ? Le consommateur peut se plaindre de greenwashing auprès de l’Inspection économique et du Jury d’éthique publicitaire.
Any Courbet, du Conseil de la Publicité, et Sofie Dejager, du JEP, expliquent que, dans notre pays, “il existe un Jury d’éthique publicitaire, qui est l’organe d’autodiscipline du secteur de la publicité en Belgique et dont la mission est de veiller au caractère correct et loyal des messages publicitaires à l’égard du public. Le JEP peut évaluer les pratiques de greenwashing dans la publicité sur la base des codes d’autorégulation, à savoir le Code de la publicité écologique ainsi que les dispositions pertinentes prévues dans le Code de la Chambre de commerce internationale.”
“Le Conseil de la publicité a pour mission d’évaluer également le respect des codes éthiques. C’est pourquoi il met en place une série de monitorings de façon plus automatisée et régulière, poursuivent-elles. Ce sera le cas pour les influenceurs, mais aussi pour la publicité sur l’alcool, par exemple… En ce qui concerne le greenwashing, nous ferons référence à l’étude Greenlight, qui a analysé récemment les campagnes publicitaires avec la collaboration de RMB (régie publicitaire) et de Decaux (publicité urbaine). Il en ressort que, l’année dernière, 7,8% des publicités délivraient un message mettant en avant un bénéfice écologique, et 27,4% de ces publicités étaient à risque de greenwashing dans leur communication.”
Des affirmations trop absolues
Et les deux expertes de la publicité de poursuivre : “Ce qui se produit assez fréquemment dans ce contexte, c’est qu’une publicité contienne une affirmation trop absolue, par exemple ‘bon pour l’environnement’. Ce qui implique qu’un produit n’a aucun impact sur l’environnement, sans spécifier à quel stade du cycle de vie cette affirmation se rapporte (la production, l’emballage, etc., ndlr). Il arrive également assez souvent qu’une certaine affirmation soit utilisée dans une publicité sans qu’aucune référence à une justification scientifique ne soit fournie. Selon l’étude Greenlight, les cas les plus fréquents sont des allégations trop génériques, exagérées ou infondées, la neutralité carbone, les labels…”
Quelles sont les sanctions ? Dans le cas où le message publicitaire ne soulève que des réserves, le JEP se limite à formuler un avis, en laissant à l’annonceur, à l’agence et aux médias la responsabilité de la suite à y donner. Dans les cas où le JEP considère que le message contient des éléments rédactionnels et/ou visuels qui ne sont pas conformes à la législation ou aux codes, il formule une décision de modification ou d’arrêt de la publicité. Cette décision est adressée à l’annonceur responsable du message. À défaut de réponse favorable ou en cas d’absence de réponse, le Jury adresse une recommandation de suspension de la publicité aux médias qui adhèrent à son action et se sont engagés à y réserver une suite favorable.
Quand la justice s’en mêle
La justice aussi peut être saisie si l’entreprise ne veut pas entendre raison. Ce fut le cas, en mars dernier, dans l’affaire Flixbus (transport par autocars, ndlr). L’Inspection économique peut procéder à des enquêtes à la suite d’un signalement reçu, notamment via sa plateforme ConsumerConnect, destinée aux consommateurs. Elle peut également réaliser des enquêtes de sa propre initiative.
Cette fois-ci, c’est l’Inspection économique belge qui avait constaté que Flixbus usait de greenwashing sur son site belge. L’entreprise y présentait ses autocars comme “le moyen de transport le plus respectueux de l’environnement”, sans fournir les comparaisons et justifications nécessaires. Flixbus a eu la possibilité d’adapter volontairement son site. L’entreprise ne s’y est cependant pas conformée, de sorte que l’Inspection économique a sollicité son homologue allemand, l’Umweltbundesamt, qui a entamé une procédure judiciaire. Celle-ci a abouti le 20 février 2025, la Cour fédérale de justice allemande ayant “définitivement statué en défaveur de Flixbus”.
La société a été obligée de supprimer les allégations trompeuses de son site. “Il s’agit d’une victoire importante dans la lutte contre le greenwashing, estimait alors Etienne Mignolet, le porte-parole du SPF Économie. Le jugement crée par ailleurs un précédent juridique qui aide les autorités de protection des consommateurs à prendre des mesures contre les entreprises qui utilisent des allégations environnementales trompeuses.”
Et financièrement, en cas d’infraction ?
En Belgique, en théorie, selon le SPF Économie, l’Inspection économique peut notamment mettre en demeure l’entreprise de régulariser la situation, voire imposer une amende pouvant aller jusqu’à 80.000 euros (ou jusqu’à 4% du chiffre d’affaires annuel, le montant le plus élevé étant retenu), puisque le greenwashing peut être considéré comme une pratique commerciale trompeuse. C’est pourquoi une entreprise concurrente peut, en cas de greenwashing supposé, donc d’une pratique contraire aux usages honnêtes du marché, saisir le juge selon une procédure en référé pour ordonner qu’il soit mis fin à cette pratique.
Conclusion ? Même si l’application des sanctions est assez rare, mieux vaut ne pas tenter le diable. Car outre les risques de sanctions, il en va aussi de la réputation de l’entreprise auprès du grand public.
Rodolphe Masuy