Franchisés, les mal-aimés? “C’est difficile d’entendre que nous sommes des profiteurs”
L’actualité Delhaize les a mis sur le devant de la scène et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas forcément bonne presse. Certains n’ont pas été tendres à leur égard, les traitant parfois de patrons voyous ou de profiteurs. Trends-Tendances a été à la rencontre de trois de ces entrepreneurs franchisés.
Ils ne se connaissent pas, ils ne travaillent même pas pour le même groupe et ils sont même concurrents. Renaud, Maxence et Philippe sont les trois franchisés que nous avons rencontrés. Ils sont unanimes sur bien des points. Aucune journée ne se ressemble. La condition pour réussir dans la franchise? Etre passionné “sept jours sur sept” et avoir le goût du risque, “même s’il faut le calculer”.
Derrière la formule de la franchise se cachent des entrepreneurs aux profils multiples et variés. “C’est compliqué d’être traité comme on l’est aujourd’hui”, concède Renaud Caeymaex, exploitant de deux AD Delhaize affiliés, à Braine-l’Alleud et à Evere. L’entrepreneur rappelle que les franchisés sont avant tout des PME qui engagent du personnel belge et paient leurs taxes en Belgique. “On est entre le marteau et l’enclume”, ajoute l’affilié qui a vu l’un de ses magasins bloqué par les syndicats pendant une vingtaine de minutes. “Je comprends les difficultés de chacun. C’est un débat compliqué mais il ne faut pas opposer les deux modèles.”
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Le débat dépasse d’ailleurs le cas de Delhaize et touche le modèle de franchise dans son ensemble et avec lui, les franchisés des autres enseignes. “C’est difficile d’entendre que nous sommes des profiteurs”, admet Maxence De Maeseneire, franchisé Carrefour. “On tire un peu sur l’ambulance, poursuit-il. J’emploie plus de 30 personnes dans ma région et j’en suis très fier. Aucune d’entre elles ne postule ailleurs.”
L’alimentation pèse lourd
Un constat: l’alimentation est le secteur qui attire le plus les candidats franchisés. “Généralement, les secteurs de l’horeca et de la grande distribution sont assez populaires et attirent par leur côté fun et/ou simple”, analyse Michaël Rosin, le président de la Fédération belge de la franchise. Les franchises alimentaires sont d’ailleurs celles qui pèsent le plus lourd en termes de chiffre d’affaires puisque les franchisés concernés accumulent 12,3 milliards d’euros, sur un total de plus de 19,6 milliards d’euros.
“L’alimentaire reste le secteur le plus porteur”, estime Philippe Massoz, gérant d’un magasin Spar à La-Roche-en-Ardenne, qui rappelle que pendant la crise sanitaire, ils étaient considérés comme des “magasins essentiels”. “Même s’il y a des évolutions liées à l’e-commerce, dit-il, le rapport à l’alimentation reste important.”
En tant que franchisés, on ne pèserait pas très lourd dans les négociations avec les grandes marques.” Renaud Caeymaex (exploitant de deux AD Delhaize affiliés)
Les enseignes de la grande distribution sont, en fait, déjà majoritairement franchisées. “C’est un secteur où les franchisés ont une véritable valeur ajoutée”, appuie Michaël Rosin qui met en avant le dynamisme des indépendants et leur adaptation rapide face à la concurrence. “Ils travaillent généralement dans leur ville d’origine et connaissent donc l’environnement.” Avec une exception: les hard discounters, dont le modèle n’est pas adapté à la formule. “Il y a peu de place pour un indépendant dans cette stratégie”, explique Pierre-Alexandre Billiet, CEO de la plateforme sectorielle Gondola.
Après l’ouverture de ses deux magasins, Renaud Caeymaex n’a d’ailleurs pas hésité à déménager pour se rapprocher de ses points de ventes. “J’ai habité Bruxelles de nombreuses années avant d’emménager dans le Brabant wallon, ce sont deux régions que je connais assez bien”, assure-t-il. Il s’est lancé il y a cinq ans en tant qu’indépendant, après avoir travaillé huit ans au sein du groupe Delhaize, d’abord en tant que gérant de magasin, ensuite au siège central où il a coordonné plusieurs projets.
Au plus près du consommateur
Avec le soutien financier de deux investisseurs, il a saisi l’opportunité qui se présentait avec l’ouverture d’un premier AD Delhaize à Braine-l’Alleud. “C’est certainement moins risqué de reprendre un magasin que d’en ouvrir… Mais c’était très excitant de pouvoir créer son propre commerce”, ajoute l’affilié Delhaize qui s’est occupé lui-même de l’aménagement intérieur. En 2020, il confirme sa vocation de franchisé en ouvrant son deuxième magasin à Evere, qui était également une ouverture. Les emplacements avaient été trouvés par Delhaize dont la stratégie, comme ses concurrents, est de miser sur la proximité.
L’entrepreneur connaît les besoins de sa clientèle et nous ne sommes pas toujours au fait des spécificités locales.” Giosino Cornacchia (directeur opérationnel Market chez Carrefour)
Si la proximité d’un magasin permet aux consommateurs de parcourir moins de kilomètres, elle permet aussi au gérant de mieux connaître ses clients, et donc d’adapter son assortiment. “En tant que franchiseur, Carrefour propose un assortiment aux franchisés, mais ça marche aussi dans l’autre sens, précise Giosino Cornacchia, directeur opérationnel market chez Carrefour. L’entrepreneur connaît les besoins de sa clientèle et nous ne sommes pas toujours au fait des spécificités locales.”
A cet effet, Carrefour laisse une marge de manœuvre aux franchisés pour qu’ils puissent s’approvisionner auprès de fournisseurs locaux. Les produits en magasin ne proviennent donc pas uniquement de la centrale. Même liberté accordée chez Delhaize et Spar Colruyt. “L’accord entre franchisé et franchiseur stipule la livraison de l’assortiment de base, mais nous invitons clairement l’entrepreneur à se fournir également localement”, précise Nathalie Roisin, porte- parole de Colruyt.
Pour l’assortiment général, les franchisés profitent de la marque forte du franchiseur et de son soutien logistique et marketing. Cela facilite les choses. Les centrales où ils doivent se fournir leur permettent d’éviter de multiplier les contacts avec les fournisseurs ou les problèmes de livraison. “Ce sont des coûts importants en moins, assure Renaud Caeymaex. En tant que franchisé, on ne pèserait pas très lourd dans les négociations avec les grandes marques.” Les groupes prélèvent bien sûr une certaine marge (dont le montant n’est pas dévoilé) sur les commandes des franchisés. Le chiffre d’affaires de ceux-ci peut donc être réinvesti comme ils le souhaitent. En outre, même s’ils s’appuient sur les prix “très fortement” conseillés par leur groupe, les franchisés bénéficient également d’une certaine liberté pour s’adapter à l’environnement en termes de prix.
Point trop n’en faut…
“On est son propre patron”, assure Maxence De Maeseneire, franchisé à la tête de deux magasins Carrefour en province de Liège. Epaulé par sa femme, sans laquelle il lui serait impossible de mener à bien son projet, cet entrepreneur de 41 ans est dans le métier depuis toujours. Son père était lui-même franchisé et dirigeait deux magasins GB Partner. En 2007, à 26 ans à peine, il devient donc franchisé en reprenant le GB de Spa, depuis devenu Carrefour Express. “C’est un petit magasin de 250 mètres carrés avec une petite équipe”, précise-t-il.
En 2012, il met à profit cette première expérience pour poursuivre son aventure entrepreneuriale et reprendre le magasin de son papa à Ougrée. Sur sa lancée, il ouvre un nouveau magasin dans la ville de Luxembourg en 2014 et devient ainsi le premier franchisé du groupe dans le Grand-Duché. “Ouvrir un magasin est une tout autre démarche qu’une reprise car il n’y a rien d’existant sur quoi s’appuyer”, explique le franchisé qui assure avoir pu compter sur un accompagnement complet du groupe. Mais même si cette ouverture était une réussite, Maxence a dû remettre son magasin: “J’habitais trop loin pour pouvoir le gérer correctement”, analyse-t-il. Il s’est également défait du magasin d’Ougrée. En revanche, il a repris le Carrefour Market d’Embourg en 2019. Aujourd’hui, Maxence essaye de répartir au mieux ses trajets entre ses deux magasins restants. “Cela implique de déléguer certaines tâches, notamment dans le Market, qui est bien plus grand.”
Philippe Massoz, lui aussi, a dû remettre deux de ses franchises Spar. Il ne conserve que celle de La Roche. “Aujourd’hui, c’est presque impossible d’avoir plusieurs magasins en tant que franchisé, avoue-t-il. Les marges du secteur sont trop basses.”
C’est à 50 ans passé que cet entrepreneur a décidé de changer de métier, après avoir occupé une haute fonction pendant 22 ans au sein d’une multinationale dont il préfère taire le nom. “J’étais tout le temps à l’étranger, ce qui n’est pas évident pour mener une vie de famille”, se souvient-il. Son petit garçon âgé de sept ans lui avoue même avoir l’impression de ne pas le connaître, un déclic: il décide alors de se lancer en tant qu’indépendant franchisé. Il passe par la case de la coopérative Fairebel avant de saisir l’opportunité qui se présente à lui en 2014: trois magasins Spar dans sa région, dont il n’a aujourd’hui gardé qu’un seul.
Avec cette reprise, Philippe Massoz est donc passé d’une fonction où il gérait 50 pays et 180 distributeurs à un magasin local. “On peut dire que c’était la crise de la cinquantaine”, plaisante-t-il, en ajoutant plus sérieusement: “Les échelles sont complètement différentes mais ça reste une entreprise à gérer”. Ses compétences en management sont bien mises à profit.
De la flexibilité
Situé au cœur de l’Ardenne, le Spar de Philippe Massoz fait partie des 214 magasins franchisés du groupe Colruyt. La localisation, très touristique, implique des variations importantes en termes de fréquentation et de chiffre d’affaires. “A part les touristes, je connais tous mes clients, précise l’entrepreneur. Je suis parfaitement bilingue grâce à mon ancienne expérience professionnelle. C’est un atout dans la région.”
La relation client, c’est aussi, selon Maxence De Maeseneire, ce qui démarque les franchisés des autres magasins. Sans oublier la relation avec les collaborateurs. “Savoir écouter est une qualité primordiale pour un entrepreneur”, assure le franchisé qui insiste sur l’importance de son équipe: “Je suis peut-être le chef d’orchestre mais sans mon équipe, il n’y a pas de musique”. Il en sait quelque chose puisqu’il a débuté en tant qu’étudiant, avant de gravir tous les échelons. “C’est aussi ça, un patron franchisé: quelqu’un qui connaît son métier et celui de ses collaborateurs.”
Voir le reportage de Canal Z : Franchisation : Une tendance qui, malgré tout, a le vent en poupe
La caisse, la mise en rayons ou les camions de livraison à vider…, les tâches au sein des magasins sont variées. Dans un magasin franchisé, l’ensemble du personnel est susceptible d’être affecté à ces différentes tâches durant une même journée. Dans un magasin intégré, les fonctions sont prédéfinies mais les employés sont généralement bien plus nombreux.
Jusqu’à 50 étudiants
“Selon les heures du rush, il faut s’adapter, surtout pour les petits points de vente”, poursuit Maxence De Maeseneire qui assure que la flexibilié exigée et souvent décriée peut aussi jouer en faveur des collaborateurs. “C’est un peu comme une équipe de football, explique Renaud Caeymaex. On n’empêche pas un défenseur d’aller marquer un goal, tout comme l’attaquant peut aussi défendre pour le bien de l’équipe.”
Pour combler les trous dans les horaires extrêmes, et en particulier le dimanche ou durant les vacances, les franchisés s’appuient généralement sur des étudiants. “Pendant les grandes vacances, je peux employer jusqu’à 50 étudiants”, admet Philippe Massoz qui précise qu’à cette période de l’année, le chiffre d’affaires de son Spar peut être multiplié par cinq. Pour les franchisés, employer des étudiants n’est pas une question de réduction des coûts mais bien de gestion du personnel. Cette main-d’œuvre supplémentaire ponctuelle n’est d’ailleurs pas spécifique aux franchisés:
“Les magasins intégrés emploient aussi des étudiants, explique Renaud Caeymaex. Ce n’est pas pour autant qu’ils prennent la place des employés”.
Si le passage sous franchise des 128 magasins de Delhaize n’a pas l’air d’inquiéter nos trois entrepreneurs, il ne les ravit pas non plus. Ces prochains franchisés constitueront une concurrence supplémentaire que le marché devra absorber. Mais cette future concurrence n’occupe pas (encore) leur esprit: ils se concentrent sur leurs propres entreprises, “et ça prend déjà bien assez de temps”, assurent-ils.
Investir dans la franchise en quatre questions
1. Quels sont les frais à prendre en compte?
Les coûts ne sont pas les mêmes selon la formule de franchise car le support apporté par les franchiseurs diffère considérablement de l’un à l’autre. Il existe deux sortes de frais propres à toutes les franchises. D’abord le droit d’entrée: il s’agit d’un montant unique, payable en une seule fois au début de la collaboration. Il couvre les investissements que le franchiseur a faits pour développer la formule et les frais relatifs au démarrage de l’entreprise. Ensuite, les frais de franchise, également appelés redevances: ils couvrent l’assistance, les conseils commerciaux et techniques que le franchiseur vous offre. Ces frais sont pris en compte dans les produits que le franchisé est obligé d’acheter auprès du franchiseur. La contribution marketing peut être incluse dans les frais de franchise fixes.
2. Quel apport personnel?
Si le risque financier est partagé entre le franchiseur et le franchisé, ce dernier est généralement tenu d’investir une partie du capital de départ pour ouvrir le magasin. “Il faut généralement un apport de minimum 20% de fonds propres”, précise Michaël Rosin qui ajoute que des prêts bancaires existent. “S’adosser à une enseigne sous franchise limite les risques. C’est donc plus facile d’obtenir un financement.”
3. Faut-il être propriétaire?
Il n’est pas nécessaire d’être propriétaire de son magasin. Toutes les formules existent. Cela peut être la propriété de l’entrepreneur même, celle du groupe ou d’une personne tierce.
4. Quel montant investir?
Les montants demandés varient selon le secteur d’activité. “Pour une franchise de service, on compte quelques milliers d’euros, et jusqu’à quelques millions pour un supermarché, par exemple”, explique Michaël Rosin. Aucun montant précis n’a été communiqué mais cela dépend aussi de la localisation, de la taille du magasin, du potentiel basé sur une analyse de la concurrence mais également du chiffre d’affaires. Chez Colruyt, cela démarre à 1.400 euros le mètre carré. Chez Carrefour, la fourchette se situe entre 95 entre 120 euros le mètre carré pour un Market. Si la différence est si importante, c’est parce que la notion de loyer entre enseignes varie. “Il y a des bâtiments fermés qu’il faut seulement aménager”, explique Giosino Cornacchia, directeur opérationnel Market chez Carrefour. Delhaize n’a pas souhaité communiquer ses chiffres.
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