Entretien avec le nouveau CEO de Mithra: “Moins de promesses, plus de résultats”

© FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

David Solomon, le nouveau patron de Mithra affiche une confiance absolue dans la qualité des produits de l’entreprise biotech. Il explique sa stratégie pour relancer la machine au cours d’un entretien où il sera aussi question de… basketball et de stick de hockey.

Le siège de Mithra est situé en plein cœur de Liège, au milieu de rues éventrées par ce gigantesque chantier du tram. C’est là que David Solomon nous reçoit pour faire le point après deux mois à la tête de la biotech spécialisée dans la santé féminine. Son défi: redresser un cours de Bourse divisé par 10 en quatre ans. Y arrivera-t-il avant la mise en service du tram local? Les paris sont ouverts.

TRENDS-TENDANCES. Vous avez un C.V. international bien fourni. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la direction d’une société comme Mithra, très secouée sur les marchés financiers ces derniers temps?

DAVID SOLOMON. Mon père était chercheur en endocrinologie. Il avait un confrère qui venait parfois à la maison, un juif hongrois qui vivait en Suède. Ils ont travaillé ensemble et découvert notamment que le placenta et le fœtus produisaient des hormones, nécessaires au développement du fœtus. Et parmi ces hormones, il y avait l’estétrol, un œstrogène venant du foie du foetus. Bien plus tard, le professeur Jean-Michel Foidart a étudié les modalités d’action de cet œstrogène et cela a donné naissance à Mithra.

Au-delà de cette histoire personnelle avec l’estétrol, les chiffres nous montrent que la santé féminine n’est pas suffisamment prise en compte. A peine 20% des Américaines prennent des hormones de remplacement pour soulager les effets de la ménopause, notamment par crainte des risques de cancer. En offrant un substitut plus sûr, à base d’estétrol, nous pouvons apporter des solutions efficaces aux patientes. Et c’est bien entendu vrai également pour notre contraceptif Estelle qui est désormais sur le marché.

Ces arguments sur les bienfaits de l’estétrol, nous les avons déjà entendus de la bouche de vos prédécesseurs. Mais les premiers pas sur le marché sont très décevants. Pourquoi en irait-il autrement demain?

Le lancement de médicaments innovants suit très souvent une trajectoire en dents de scie. Les hormones, par exemple, n’ont pas une très bonne réputation. C’est considéré comme de la médecine ancienne et, parfois, pas très sûre avec les risques de cancer du sein. Il y a donc un travail culturel à effectuer pour convaincre le marché que nous avons un produit de rupture. Nous devons par ailleurs intensifier la collaboration avec nos partenaires pour la distribution (Gedeon Richter et Mayne Pharma), ainsi qu’avec les médecins pour mieux les sensibiliser à la qualité et les propriétés de nos produits.

En fait, le lancement d’un médicament suit une courbe proche de celle d’un stick de hockey: c’est plus ou moins rectiligne pendant longtemps et soudain, ça décolle! Avec Estelle ou Donesta, nous sommes trop tôt dans la courbe. Mais ce fut le cas aussi à l’époque pour le Prozac ou pour les statines anti-cholestérol. Les investisseurs doivent être patients mais si nous travaillons bien, le décollage viendra!

A voir le cours de Bourse, ils ne sont plus très patients…

Mithra a traversé des temps difficiles, c’est vrai. Mais nous avons des médicaments efficaces. Il faut résoudre les problèmes structurels et préparer un redémarrage avec une nouvelle stratégie, qu’on pourrait appeler Mithra 2.0. Nous avons toujours le potentiel pour devenir l’une des principales sociétés mondiales dans le domaine de la santé féminine.

David SOLOMON

· Né en 1960 à Montréal (Canada)
· Docteur en médecine et immunologie (université Cornell, Etats-Unis), il a enseigné à la Columbia University
· Responsable healthcare chez Carrot Capital de 2003 à 2006
· CEO de Zealand Pharma (Danemark), Akari (Etats-unis), Silence Therapeutics (Royaume-Uni) puis de Pharnext (France)
· Président d’Advicenne (Paris) et administrateur de plusieurs sociétés pharmaceutiques
· CEO de Mithra depuis avril 2023

Le cofondateur de Mithra, François Fornieri, rêvait de construire un Bayer de la santé féminine. Les investisseurs s’attendaient sans doute à un décollage plus rapide. A-t-on été trop optimistes chez Mithra?

Je ne commenterai pas les déclarations antérieures du management de l’entreprise. Je rappelle néanmoins qu’une biotech existe d’abord grâce à des fondateurs avec une vision. Et nous sommes reconnaissants envers François Fornieri pour cette vision de départ. Il a passé le bâton à Léon Van Rompay et celui-ci me l’a ensuite transmis. A la fin, chacun aura contribué à la réussite du projet.

Mon job, en tant que CEO, peut se résumer de la sorte: moins de promesses, plus de résultats. Aujourd’hui, je regarde les cartes que j’ai en main et je ne vois pas de promesses concernant Bayer ou quoi que ce soit. Ce que je vois, c’est deux médicaments appelés Estelle et Donesta, ainsi que le futur pipeline que nous allons développer. C’est avec ces cartes-là que je ferai tout pour faire de Mithra une entreprise de référence, en révisant les anciens deals, en en négociant de nouveaux, en regardant les opportunités. Je suis confiant car quand la qualité de la médecine est au rendez-vous, les opportunités arrivent toujours. Sur la durée, nos produits parleront d’eux-mêmes.

Il y a un travail culturel à effectuer pour convaincre le marché que nous avons un produit de rupture.

En attendant, vous prévoyez des ventes pour 12 millions d’euros pour Estelle en 2023 et une croissance pour atteindre 300 millions de revenus des ventes d’Estelle, Donesta et MyRing en 2029. Est-ce suffisant pour ranger Mithra dans le top mondial?

C’est suffisant pour entamer les prochaines étapes de l’aventure de Mithra. Je vous l’ai dit, je ne lance pas de promesses, je me base sur les chiffres réalistes du marché. Et ce sont ces chiffres-là que je communique. Mon job est de trouver un chemin vers le succès à partir de ces chiffres réalistes. Un succès pour Mithra, pour son personnel et pour tous ses actionnaires, les plus petits comme les plus grands.

Vous avez parlé de problèmes structurels à résoudre pour faire redémarrer l’entreprise. Quels sont-ils?

Je le répète: l’essentiel, c’est la qualité de la médecine. Mais il faut pouvoir l’expliquer efficacement au marché, aux investisseurs. Mithra est et restera une société belge, implantée ici à Liège. Nous en sommes très fiers. Toutefois, dans le secteur de la santé, toutes les entreprises émergentes sont par nature des entreprises planétaires. Regardez BioNTech. Cette société, créée à Berlin par deux scientifiques d’origine turque, travaillait sur l’ARN. Cela n’intéressait pas grand-monde. Ils ont cependant convaincu le patron de Pfizer, aussi un visionnaire, de l’utiliser pour développer un vaccin contre le Covid-19. Pfizer n’est pas un spécialiste du vaccin mais ils ont soutenu l’idée avec leurs moyens. Il faut réussir à assembler les blocs pour être le plus pertinent sur un marché mondial. C’est cela la stratégie de Mithra 2.0.

© FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI

Les premiers blocs à assembler, ce furent les partenaires commerciaux pour Estelle et Donesta. Gedeon Ritcher ou Mayne Pharma sont de beaux groupes… mais ils ne sont pas Pfizer…

Il ne faut pas regarder uniquement les médicaments que nous avons déjà mais aussi ceux qui sortiront demain de nos labos de recherche. Pour innover, vous devez anticiper les besoins que les gens n’imaginent même pas. Les gens voulaient un téléphone qui fonctionne mieux: Steve Jobs leur a apporté un ordinateur puissant qui régit toute leur vie. Nous devons raisonner de la même manière pour la santé féminine.

Si Estelle et Donesta marchent, nous aurons des revenus, des liquidités, comme une banque. Mais les fonds internationaux spécialisés que nous allons chercher, ils ne veulent pas investir dans une banque: ils veulent investir dans un pipeline d’innovations. Nous devons bien sûr développer nos médicaments actuels et leur trouver de nouvelles utilisations, mais travailler aussi sur de nouveaux produits, répondant à d’autres besoins. Si nous faisons cela avec réalisme et humilité, une petite société qui a commencé à Liège peut devenir une société mondiale.

La recherche pour ce nouveau pipeline, la voyez-vous toujours à Liège?

Bien entendu. Exactement comme BioNTech emploie des centaines de chercheurs à Berlin. Nous devons avancer pas à pas. Si nous voulons que Mithra retrouve une valorisation au-delà du milliard d’euros, nous avons évidemment besoin des investisseurs belges mais aussi de l’apport des fonds internationaux spécialisés dans les sciences du vivant. Ces investisseurs attendent de notre part quelque chose de consistant et de transparent. C’est comme cela que Mithra regagnera progressivement leur confiance.

Regagner la confiance, c’est un travail qui s’inscrit dans la durée. Peut-on en déduire que vous n’êtes pas là juste pour une mission d’urgence d’une période limitée?

Tout à fait. Je suis ici pour construire quelque chose de magnifique pour Mithra, pour la Région, pour les travailleurs. Je suis un peu comme le coach d’une équipe de basketball. Je ne sais pas jouer au basket mais je peux composer une belle équipe, créer une culture de la performance, m’assurer que chacun ait de bons équipements, que le club dispose des moyens nécessaires. Je veux que nous soyons tous fiers de ce que Mithra est capable d’apporter.

Mithra, c’est aussi de la production, à travers l’usine de Flémalle (CDMO dans le jargon pharmaceutique). Vous étudiez les “options stratégiques” pour cette usine. Faut-il voir là des mots polis pour parler d’une vente de cette usine?

Toutes les options sont sur la table. Quand vous vous appelez Pfizer ou Sanofi, vous avez une trésorerie de plusieurs centaines de millions et vous pouvez donc suivre plusieurs business models. Une entreprise plus petite, comme Mithra, doit choisir sa voie. Je prends cette image: Mithra a connu une enfance merveilleuse, elle est aujourd’hui dans son adolescence, ce qui est toujours une période compliquée et elle doit se projeter dans l’âge adulte. Que nous disent nos investisseurs? Concentrez- vous sur une chose et faites-la super bien. Eux, ils diversifient leur portefeuille, ils investissent dans différents types de société mais ils veulent que celles-ci soient spécialisées. Et en l’occurrence, je pense que nous devons placer tous nos efforts dans le développement de médicaments pour améliorer la santé féminine.

Les fonds internationaux spécialisés que nous allons chercher veulent investir dans un pipeline d’innovations.

Et donc vous allez vous séparer du CDMO?

Le CDMO effectue un travail formidable, ces gens fabriquent des médicaments pour des entreprises pharmaceutiques qui les vendent dans le monde entier. Mais nous devons aussi regarder les chiffres et, malheureusement, l’activité de cette usine n’est pas suffisante, Mithra doit régulièrement lui avancer de l’argent. Si un géant de la pharma du type Johnson & Johnson – c’est un exemple – en devenait le propriétaire, il utiliserait pleinement cette usine, il aurait toujours du travail à fournir aux 200 personnes qui travaillent là-bas. Ce serait bon pour ces gens bien entendu, pour l’économie régionale mais aussi pour Mithra et ses actionnaires.

Les Belges louent volontiers leur écosystème des biotechnologies. Vous êtes plongé dedans depuis deux mois maintenant. Quelles sont vos premières impressions?

J’adore cette région et ce pays. Vous avez une longue tradition de commerce et quand vous combinez cela avec l’excellence scientifique, en particulier dans le domaine médical, vous arrivez à quelque chose de vraiment unique. Je suis réellement impressionné par la qualité des gens chez Mithra, par ces trentenaires qui ont appris le métier un peu partout dans le monde et reviennent chez eux. Ils et elles sont prêts pour devenir les nouveaux leaders de sociétés comme Mithra. C’est une véritable force et je ne la retrouve pas dans beaucoup de pays. C’est pour cela que je suis ici.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content