Dacia, le trésor de guerre de Renault
Depuis plus de 15 ans, le groupe Renault a développé une marque pas chère et rentable, Dacia. Celle-ci présente une nouvelle génération de son modèle le plus vendu, la Sandero, et va lancer une voiture électrique aussi low cost que possible.
Si le Salon de l’Auto avait pu se tenir en janvier prochain au Heysel, l’une des vedettes en aurait été la nouvelle génération des Dacia Sandero, un modèle cinq portes, vendu à partir de 8.990 euros.
Dacia est un constructeur roumain racheté par le groupe Renault à la fin des années 1990 pour développer une marque à petit prix destinée initialement aux pays émergents. Depuis, elle a gardé sa vocation bon marché mais a aussi séduit les pays occidentaux. En Belgique, elle figure dans le top 10 des immatriculations, à la hauteur de Hyundai ou de Ford: sa part de marché était de 3,96% en 2019, montant à 6% pour le seul marché des particuliers.
La Sandero est le deuxième modèle le plus écoulé du groupe Renault, derrière la Renault Clio. “En Europe, c’est la voiture la plus vendue auprès des particuliers”, avance Denis Le Vot, directeur régions, commerce et marketing du groupe Renault. Si le modèle actuel de la Sandero n’était guère sexy, la nouvelle génération s’annonce plus attrayante, mieux équipée, avec six airbags, un infotainement correct, mais pour un tarif inchangé. Low cost oblige, elle ne comporte pas de motorisation sophistiquée, de type hybride. Rien que des moteurs à essence, à la rigueur avec du LPG – elle a abandonné le diesel. “Nous pratiquons le juste prix, basé sur le juste coût”, continue Denis Le Vot.
La Sandero est le deuxième modèle le plus vendu du groupe Renault, derrière la Renault Clio.
“Personne ne peut faire autant d’argent”
Le groupe Renault, qui a traversé des crises successives avec notamment l’inculpation au Japon du CEO Carlos Ghosn et la pandémie de Covid, peut compter sur Dacia. La marque est très rentable et n’a connu qu’une longue croissance depuis 2004, passant de 96.319 à 736.570 voitures en 2019, vendues dans 44 pays, en Europe et autour de la Méditerranée (voir graphique).
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Le nouveau CEO de Renault, Luca de Meo, ex-CEO de Seat, l’a noté. Lors de l’une de ses premières sorties, pour la présentation des résultats du 1er semestre 2020, il a déclaré: “Vu de l’intérieur, Dacia est un véritable miracle. Personne dans l’industrie ne peut faire autant d’argent à ce niveau du marché”.
La rentabilité et les tarifs de Dacia s’expliquent par la production de ces véhicules dans des pays à main-d’oeuvre bon marché: la Roumanie, le Maroc et même en Chine pour le modèle électrique Spring. Les pièces proviennent d’autres modèles Renault, ce qui permet des économies lors de la phase de conception.
Surtout pour les particuliers
La marge est aussi améliorée par la vente à prix net, sans rabais. Surtout que Dacia s’adresse en priorité aux particuliers. Soit 85% de la clientèle. “Distribuer aux particuliers est plus rentable par nature, rappelle Jérôme Pannaud, manager de Renault Belgique Luxembourg. Quand vous vendez aux entreprises, surtout pour des flottes, il y a un certain niveau de remises.” Les particuliers tendent aussi à acheter les versions les mieux équipées. En Belgique, Dacia a immatriculé 21.802 Dacia en 2019, dont 7.699 Sandero. Elle a encaissé un recul des ventes cette année, avec la pandémie et la fermeture des concessions, mais la décrue est moindre que le marché (-16% de janvier à novembre pour Dacia, contre -22,3% d’immatriculations pour l’ensemble du marché, dont -33% pour Renault).
Chez Renault, l’idée de se lancer dans l’auto low cost émane de Louis Schweitzer, qui dirigea le groupe Renault avant Carlos Ghosn. En voyage à Moscou dans les années 1990, il avait été surpris de voir les Russes plébisciter les Lada, ces voitures vieillottes conçues dans les années 1960 et vendues environ 5.000 euros. Il s’était dit qu’il y avait un marché pour des autos moyennes de conception moderne dans les marchés émergents et au même prix. Pour y arriver, Renault achète alors en 1999 le constructeur roumain Dacia, qui vivotait. Il rénove l’usine, restructure et conçoit au forceps un premier modèle, la Logan, qui sera vendue à partir de 2004 en Roumanie au prix de 5.800 euros.
Dacia est considéré par les analystes financiers comme un moteur de rentabilité, un atout dans une période où Renault affronte des vents contraires.
Comment la Belgique a poussé Dacia
Moderne mais rustique, la Logan n’a pas été pensée pour les marchés occidentaux. Notamment parce que c’est une berline, une forme peu populaire chez nous. Cependant, c’est un distributeur d’automobiles belge, Cardoen, qui changera le destin de Dacia en important un lot de Logan pour le marché belge, sans que Renault puisse s’y opposer. Embarrassé, le groupe finira par organiser la distribution de ce modèle dans les marchés occidentaux, avec succès. “Les constructeurs fabriquent des voitures de plus en plus chères, déclare Denis Le Vot. En réaction, certains clients descendent au segment inférieur pour éviter l’augmentation du prix des nouvelles générations, ou optent pour l’occasion, un marché actuellement en plein développement.”
Dacia a développé une gamme modeste. A la berline Logan de 2004 s’est ajoutée en 2008 la Sandero, au format d’une Renault Clio, et un SUV, le Duster, en 2010. L’offre a été aménagée pour séduire à la fois les pays émergents et les économies avancées. Depuis, de nouvelles générations de ces modèles se succèdent, toujours plus attractives et toujours bon marché. Certains sont même vendues sous la marque Renault sur certains marchés, comme le SUV Duster en Russie, assemblé à Moscou.
Un contexte difficile
Marque à succès, Dacia est considérée par les analystes financiers comme un moteur de rentabilité, un atout dans une période où le groupe affronte des vents contraires. Renault sort d’une crise avec Nissan dont il est premier actionnaire (44% des parts, une participation générant habituellement d’importants dividendes) et avec lequel il codéveloppe des éléments de voitures (moteurs, plateformes, etc.). Ensuite, la crise du Covid a frappé les comptes. En 2019, la rentabilité nette du groupe Renault est tombée à quasi zéro, avec une perte de 7,3 milliards d’euros pour le premier semestre 2020, le confinement siphonnant les ventes. Renault a lancé un plan de réduction de coûts, qui se traduit par 2.500 départs. L’Etat français a consenti un prêt garanti de 5 milliards d’euros.
Dacia a vocation à s’épanouir sur un territoire plus grand que le segment A qui est aujourd’hui le sien
Denis Le Vot, directeur régions, commerce et marketing chez Renault
Le nouveau CEO, Luca de Meo, annoncera en janvier 2021 une nouvelle stratégie. Il a déjà évoqué quelques idées lors de le publication des derniers résultats financiers. “Il est temps pour Dacia de s’épanouir comme une marque à part entière”, a-t-il avancé. Le CEO songe en effet à organiser le groupe Renault par marques, non plus par régions.
Vers une marque autonome?
Denis Le Vot a été chargé par Luca de Meo de réfléchir au nouveau sort de Dacia dans cette future organisation. Il pourrait prendre la tête de cette marque, qui deviendrait plus autonome. Et si le volume des ventes de Dacia est respectable, celle-ci pourrait encore faire mieux. Dans Mes années Renault, un ouvrage paru en 2007, Louis Schweitzer estimait: “si les choses se passent bien raisonnablement, nous en vendrons 800.000 par an en 2010, et 1,2 million si elles se passent bien”. Ces chiffres n’ont pas encore été atteints aujourd’hui, mais c’est en partie parce qu’un important marché potentiel, l’Iran, a été bloqué par l’embargo américain. Continuer à vendre davantage de Dacia est d’autant plus important que les règles environnementales européennes mettent la pression sur la marque et pourraient en limiter le profitabilité.
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Une indication sur son futur en tant que marque autonome est en tout cas donnée par l’arrivée de la petite électrique Spring (lire l’encadré intitulé “Electrique et pas chère“). “Dacia a vocation à s’épanouir sur un territoire plus grand que le segment A (citadines polyvalentes, Ndlr) qui est aujourd’hui le sien”, conclut Denis Le Vot.
Electrique et pas chère
Les voitures électriques, réputées chères, sont vendues au-dessus des 30.000 euros. Dacia va aussi jouer la carte du low cost dans ce segment avec le modèle Spring, disponible en Belgique dès l’été prochain. Un peu plus petite que la Sandero, elle devrait s’écouler autour des 15.000/18.000 euros hors bonus (aucun tarif n’a été encore publié) et promet une autonomie de 225 km (295 km en ville). Elle vise un usage urbain, “davantage en Belgique, car les zones urbaines sont proches, estime Jérôme Pannaud, le manager de Renault Belgique Luxembourg. Elle conviendra aussi à des usages comme voiture partagée.” Un chemin que Renault a déjà emprunté avec sa Zoe, prisée par les municipalités ou les opérateurs de voitures partagées. La Spring est fabriquée en Chine, où elle est vendue sous la marque Renault.
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