Comment notre consommation alimentaire a changé après un an de crise Covid
La fermeture de l’horeca et les mesures de confinement nous ont contraints à modifier notre consommation. Panier moyen en hausse, fréquentation des supermarchés en baisse, boom du commerce en ligne et de la consommation locale, etc. Que restera-t-il de ces tendances? Le patron de “Gondola”, Pierre-Alexandre Billiet, tire les leçons de la crise dans un livre.
C’est un petit ouvrage qui devrait grandement intéresser les dirigeants de l’industrie alimentaire et de la distribution mais aussi les politiques et, plus largement, tout citoyen désireux de comprendre les grandes évolutions de la consommation. Dans Private consumption in times of pandemic. Economic expectations 2020-2025, le patron du média professionnel Gondola, Pierre-Alexandre Billiet, revient sur la manière dont la crise que nous traversons bouleverse profondément nos façons de consommer. S’intéressant plus particulièrement au retail alimentaire, il explique comment nous avons été contraints de modifier nos comportements d’achat en supermarché. Et surtout, comment la grande distribution doit s’adapter à ces nouveaux modes de consommation. Voici quelques pistes de réflexion dégagées par le livre.
D’importantes consolidations ont déjà eu lieu et vont encore avoir lieu au niveau mondial.
1. Un panier moyen qui augmente. Et après?
Ces dernières années, la grande distribution alimentaire devait naviguer dans un contexte difficile de baisse constante des volumes. Et ce, en raison notamment de la fragmentation toujours plus importante de la consommation. Magasins spécialisés, consommation hors domicile, box repas, etc.: les consommateurs multipliaient leurs canaux d’achat. Cette baisse en volume était en partie compensée par une légère augmentation en valeur, via une faible hausse des prix. “2020 aurait dû être une annus horribilis, explique Pierre-Alexandre Billiet. C’était la première fois dans l’histoire belge que la grande distribution allait connaître une décroissance, tant en volume qu’en valeur. Tout le monde avait des plans de restructuration ou de cost-cutting dans ses tiroirs. On les voyait venir.”
Mais la crise a complètement renversé la vapeur. Avec la fermeture de l’horeca, les consommateurs ont été contraints d’acheter davantage en supermarché du jour au lendemain. “Il y a eu une énorme consommation compensatoire et addictive, explique le patron de Gondola. L’impossibilité de pouvoir consommer ailleurs, mais aussi le manque de contacts sociaux et le contexte anxiogène ont engendré une surconsommation en grande distribution alimentaire, laquelle a dû se focaliser sur la gestion quotidienne de la crise au détriment du développement de plans stratégiques à plus long terme.”
Nos supermarchés ont donc connu une hausse importante du panier moyen mais le nombre de visites en magasin, lui, a fortement diminué. Autrement dit, les consommateurs ont commencé à acheter davantage, mais moins régulièrement. Reste à savoir comment cette situation inédite évoluera après la crise. “Dès que d’autres canaux de consommation rouvriront, le panier moyen en grande distribution alimentaire diminuera mais la fréquentation n’augmentera par pour autant”, prédit notre expert. Voilà qui place donc le secteur face à un défi de taille. “La grande distribution va devoir créer des écosystèmes. C’est le cas de Colruyt qui se diversifie dans le food service avec Solucious, ou de Jumbo qui investit dans de l’horeca, etc. Il est nécessaire d’investir dans cette économie granulaire. Il faut aller chercher le pouvoir d’achat ou réaliser un maximum de synergies au niveau opérationnel. D’importantes consolidations ont déjà eu lieu et vont encore avoir lieu au niveau mondial.”
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2. Un renforcement de la consommation locale, bio, etc.
Pour notre expert, la grande distribution doit à tout prix, afin d’éviter des plans de restructuration encore plus saignants, sauter dans le train de la nouvelle consommation plus responsable. C’est la deuxième leçon à tirer de cette crise qui a accéléré des tendances déjà bien présentes. “Pendant la crise, les ventes de produits locaux ont continué à croître au même rythme que l’e-commerce, explique Pierre-Alexandre Billiet. Ce dernier a connu des croissances de 40, 50, voire 100%. Ce fut la même chose pour les produits locaux. A présent, soit cette tendance reste anecdotique, soit elle est soutenue par des incitants et continuera à croître.”
Selon l’expert, il est donc primordial que le gouvernement encourage le passage vers cette nouvelle consommation responsable. “Si le politique crée des incitants à la consommation locale, bio, etc., on est clairement partis vers cette nouvelle consommation. Sinon, nous allons simplement retourner vers l’ancienne, avec des pertes d’emplois à la clé. Il faut décider si l’on veut faire de cette crise un tremplin ou pas. Mais si ce n’est pas le cas, ce sera le déclin.” Le CEO de Gondola prône donc un véritable “pacte à la consommation”. “Il pourrait prévoir des tickets repas alloués à la consommation locale et durable, un soutien aux producteurs locaux mais aussi à la grande distribution pour que celle-ci puisse vendre ces produits alors qu’ils se révèlent plus chers et en concurrence avec plein d’autres à l’international.”
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3. Un pouvoir d’achat entamé?
La crise doit-elle pousser la grande distribution à accentuer sa politique de promotions? Non, d’après notre expert. “Effectuer de grosses promotions de masse serait une erreur car le pouvoir d’achat est aujourd’hui segmenté en fonction des personnes qui ont été plus ou moins touchées par la crise sanitaire. Il faut donc plutôt personnaliser les promotions”, dit-il. Car si certains groupes de consommateurs ont été davantage touchés que d’autres, de manière générale, le pouvoir d’achat n’a pas été entamé, estime notre interlocuteur. “Il y a aujourd’hui environ 320 milliards qui dorment sur les comptes d’épargne. La question est de savoir comment activer cette épargne en investissements et consommation. Beaucoup de gens ont consommé de manière émotionnelle pendant cette crise, c’est-à-dire au dessus de leur pouvoir d’achat. Dans les files devant des magasins comme Action, on ne retrouvait pas uniquement des consommateurs ayant besoin de prix bas…”
Avant la crise, on voyait dans la proximité un antidote à l’e-commerce. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
4. Le boom de l’e-commerce
Le commerce d’alimentation en ligne a bien progressé durant la crise. “On y est passé de 2,5-3% à 4,5%, relève Pierre-Alexandre Billiet. Ce n’est pas encore très important mais le consommateur qui est habitué à tout commander en ligne va-t-il continuer à faire une exception pour l’alimentaire? Ma réponse est non. Avec cette crise, le consommateur a adopté complètement cette facilité qu’est l’e-commerce. Il ne va donc plus aller chercher le côté ‘expérience’ dans les supermarchés physiques, mais bien dans l’horeca quand celui-ci rouvrira.”
Pourtant, la forte croissance que connaît actuellement la grande distribution peut constituer un handicap sur le long terme, estime notre expert. Focalisé sur la gestion quotidienne de la crise, le secteur n’a en effet pas pu suffisamment se concentrer sur la partie e-commerce, livraison à domicile, box repas, etc. “Elle doit absolument reprendre ces projets où ils étaient car les consommateurs vont de plus en plus opter pour cette facilité”, estime-t-il.
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5. Le mirage de la proximité
Avant la crise, la grande distribution ne jurait que par elle: la proximité. “C’était l’avenir du secteur, relève Pierre-Alexandre Billiet. On voyait dans la proximité un antidote à l’e-commerce. C’était en quelque sorte la réponse physique de la grande distribution au commerce en ligne.” Mais l’homme se pose désormais des questions: “Aujourd’hui, le taux d’adoption du digital est tellement élevé que le volet facilité de la proximité peut être largement compensé par l’e-commerce et la livraison à domicile. Ceux-ci vont donc entrer en concurrence directe avec la proximité et cela, on ne l’avait pas vraiment vu venir. La création de valeur que la proximité permet risque donc d’être remise en question”.
D’après notre expert, cette proximité sera par ailleurs toujours plus en concurrence directe avec l’horeca qui va de plus en plus s’orienter vers le channel blurring, soit le fait de vendre aussi des produits. “L’aspect facilité sera surtout assuré par l’e-commerce, et la proximité sera aussi en concurrence avec l’horeca au niveau de l’expérience d’achat”, estime le patron de Gondola.
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6. Un regain d’intérêt pour les grandes marques
La crise a profité aux grandes marques. Dans un climat incertain et angoissant, les consommateurs ont en effet préféré s’orienter vers des références. “Mais c’est aussi parce que ces dernières étaient forcément mieux organisées que les petites marques locales pour faire face aux pics de consommation, précise Pierre-Alexandre Billiet. Elles ont connu moins de problèmes d’approvisionnement, ce qui leur a permis de gérer les fluctuations. Par ailleurs, beaucoup de petites marques alimentaires sont fortement dépendantes de l’horeca.”
Ce regain d’intérêt pour les grandes marques se poursuivra-t-il une fois la crise derrière nous? Difficile à dire. “Les tendances ne sont pas très claires, admet notre expert. Ce qui est certain, c’est que certaines grandes marques, en déclin avant la crise, ont aujourd’hui l’opportunité de se repositionner. Si elles sont capables de capter les tendances actuelles vers plus de durabilité, vers une consommation davantage personnalisée, etc., alors oui, elles auront une longueur d’avance. Mais je pense surtout que l’on s’oriente vers une économie granulaire avec de plus en plus de marques transversales qui livreront une partie des matières premières à de plus petites marques. Certes, elles continueront à développer leurs propres produits, mais si elles sont intelligentes, elles partageront leurs connaissances et leurs matières premières, comme l’industrie du chocolat l’a très bien fait.”
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Pierre-Alexandre Billiet, Private consumption in times of pandemic. Economic Expectations 2020-2025, Gondola, 80 pages, 19,99 euros.
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