Le trompe-l’oeil de l’e-commerce belge
La pandémie a dopé le nombre de sites de vente en ligne et de nouveaux e-clients en Belgique. Toutefois, le marché de l’e-commerce enregistre une baisse de 10% car l’arrêt des ventes de voyages et de tickets d’événements n’est pas compensé par le succès des ventes alimentaires. A quoi peut-on s’attendre, une fois la reprise établie?
La crise sanitaire et la répétition des fermetures temporaires des commerces décidées par nos autorités ont poussé les consommateurs ainsi que les commerçants à explorer les activités en ligne. Depuis le premier confinement, l’année passée, nombre de boutiques ont créé leur e-commerce, organisé un canal de click and collect ou envisagé des solutions de livraison. Et un certain nombre de start-up spécialisées dans l’e-commerce (box repas à domicile, pharmacie en ligne) ont rencontré un succès inespéré allant jusqu’à tripler les commandes sur leur e-boutique. De quoi imaginer une véritable explosion du commerce en ligne en Belgique. Et de fait, certains chiffres tendent à le confirmer: une récente étude de Safeshop et The House of Marketing a en effet pointé la création, en 2020, de pas moins de 20.000 sites d’e-commerce! Un nombre gigantesque et particulièrement controversé dans le secteur (lire l’encadré ci-dessous) mais qui, à tout le moins, témoigne d’une véritable croissance de l’activité de commerce en ligne en Belgique. BeCommerce évalue, par ailleurs, à 200.000 le nombre de Belges qui ont réalisé pour la première fois l’an passé un achat en ligne.
Le panier moyen des achats en ligne serait passé de 102 euros en 2019 à 81 euros seulement en 2020.
Reste toutefois que la réalité de l’e-commerce est bien plus contrastée. Selon la récente étude de BeCommerce, une des associations représentant le secteur, le marché belge de la vente en ligne aurait… diminué. En effet, le BeCommerce Market Monitor, une étude réalisée par Gfk, soutient que les Belges ont dépensé l’an passé la somme de 10,26 milliards d’euros sur le web… contre 11,46 milliards d’euros l’année d’avant (2019). Des chiffres surprenants tant les ventes sur internet semblaient dopées par le confinement et la crise du coronavirus. Mais selon Sofie Geeroms, managing director de l’association BeCommerce, ces chiffres n’ont en réalité rien de très étonnant. “Avant la crise sanitaire, l’essentiel des ventes en ligne provenait des voyages, des hôtels ou des concerts, soit des commandes qui représentent rapidement quelques centaines, voire quelques milliers d’euros, explique-t-elle.
Tous ces domaines ont connu un arrêt brutal avec la crise du coronavirus et les confinements. S’il est vrai que les internautes ont massivement acheté des produits en ligne, il s’agissait de produits à valeur bien plus faible. Combien de t-shirts faut-il pour arriver au prix d’un voyage?” Cela se traduit bel et bien dans les chiffres: le panier moyen des achats en ligne serait passé de 102 euros en 2019 à 81 euros seulement en 2020. Et s’il ressort de l’étude BeCommerce que la catégorie de produits ayant le plus augmenté est celle des produits électroniques, donc des catégories de prix plus élevés (smartphones, laptops, etc.), Sofie Geeroms tempère: “On reste sur des montants moins élevés que ceux consacrés aux voyages et surtout, ce sont des produits que l’on n’achète qu’une seule fois”. La hausse de 40% de la vente en ligne de biens et produits n’aurait donc, selon elle, pas réussi à compenser la baisse de 55% de la vente de services en ligne.
Nouvelles boutiques en ligne: la guerre des chiffres
Au début du mois de mars, The House of Marketing et SafeShops publiaient la cinquième édition de leur Baromètre E-commerce. On y découvrait notamment la création, en 2020, d’un nombre incroyable de 20.000 webshops… pour atteindre un total de 48.181 boutiques. Soit pas loin du double de nouveaux e-commerces, à en croire les chiffres de l’étude qui pointe que 63% des nouveaux arrivants sont répertoriés dans le segment des petits et micro webshops. Des chiffres étonnants qui ne convainquent pas tout le monde. Pour Sofie Geeroms, de BeCommerce, une association “concurrente” de SafeShops, ce chiffre n’est pas possible, même si en Belgique, il est difficile d’identifier quelle entreprise a vraiment une activité en ligne car il n’existe pas, comme aux Pays-Bas, de code spécifique à l’e-commerce. “Néanmoins, ajoute-t-elle, sur base des infos dont nous disposons, nous évaluons plutôt entre 5.000 et 10.000 les nouveaux webshops en Belgique.” De son côté, le patron de Gondola interroge le contenu réel derrière le vocable “nouveaux webshops”: “S’il s’agit de la création de nouveaux sites, cela reste à relativiser, insiste-t-il. Des tas d’enseignes réservent des noms de domaine pour des actions spécifiques, notamment le black friday. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles lancent de nouveaux sites marchands.” Reste un point qui met néanmoins tout le monde d’accord: la pandémie aurait bel et bien fait naître des “tas” de nouveaux e-commerces noir-jaune-rouge.
Gros succès de l’alimentaire
Reste que derrière les chiffres en trompe-l’oeil de l’e-commerce, le succès de certaines catégories attire quand même l’attention de manière très positive. C’est le cas des denrées alimentaires, l’un des grands créneaux oubliés des internautes jusqu’à la crise sanitaire. Certes, avant le confinement déjà, une série d’initiatives “alimentaires” avaient connu un certain intérêt, comme la livraison de repas, bien sûr, mais aussi, les box repas dans le sillage d’Hello Fresh. Mais le confinement de mars 2020 et la crainte du coronavirus qui ont bloqué pas mal de monde à domicile ont mis en lumière la livraison de produits alimentaires. On se souvient que les cahiers de commandes des start-up bruxelloises eFarmz et Kazidomi, par exemple, ont rencontré une croissance gigantesque. Les grands distributeurs ont, eux aussi, connu une croissance de leur activité d’e-commerce menant même, en pleine boom de l’épidémie, à la surchauffe: délais considérables pour la livraison, difficulté d’obtenir des créneaux pour le retrait des commandes ou même annulation de commandes. Les distributeurs ne parvenaient pas à suivre. “La hausse de l’e-commerce alimentaire a été gigantesque, observe Sofie Geeroms. Ce qui est porteur d’opportunités car notre pays enregistrait énormément de retard dans ce domaine avant la crise par rapport aux pays voisins.”
Reste une question fondamentale dans le contexte actuel: la hausse de 30% dans le domaine des biens et produits est-elle durable ou pas? Autrement formulé par Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola, groupe spécialisé dans le retail: “Lorsque la pandémie sera maîtrisée et que le pouvoir d’achat sera rétabli, l’e-commerce continuera-t-il à attirer le consommateur pour des achats impulsifs et compensatoires?” Car pour le spécialiste, les Belges ont clairement réalisé un transfert de certaines dépenses: parce qu’ils ne pouvaient, notamment, pas aller en vacances, ils ont décidé d’allouer ce budget (ou une partie) à l’achat, par exemple, de meubles de jardin ou d’autres produits de déco. Une sorte de “compensation”.Cet effet pourrait donc bien disparaître une fois la réouverture des déplacements à l’étranger et la reprise des activités culturelles.
Mais la responsable de BeCommerce affiche, elle, un véritable optimisme. “La tendance à la hausse va rester, affirme Sofie Geeroms. Si les consommateurs se sont dirigés vers le web parce que des magasins étaient fermés, ils ont ensuite constaté la facilité que leur offrait l’e-commerce, mais aussi les prix avantageux qu’ils pouvaient y trouver. De plus en plus de boutiques vont dès lors s’inscrire dans cette démarche omnicanale et continuer à proposer de la vente en ligne.” Et beaucoup espèrent que la tendance pourra profiter aux petits commerces également. Nombre de libraires, boulangers et épiciers ont en effet développé leur site pour permettre la vente à distance ou à emporter. Les initiatives comme celle lancée par bpost et la start-up flamande Shopitag permettant aux TPE et PME d’ouvrir facilement une plateforme d’e-commerce fonctionneraient plutôt bien, d’après certains observateurs, même si nous ne sommes pas parvenus à obtenir de détails chiffrés.
Salut dans “l’a-commerce”
Encore faut-il que la rentabilité soit au rendez-vous et que les sites marchands fassent bel et bien partie de la stratégie réelle des commerçants, petits ou grands. “Prenons l’exemple de certains acteurs de la distribution comme les enseignes du discount, analyse Pierre-Alexandre Billiet. Ils vendent depuis peu en ligne des articles dont le prix moyen est très peu élevé. Leur site de vente fait plus partie d’une stratégie de maintien d’une certaine activité et d’un contact avec le consommateur que d’une vraie stratégie commerciale. Quand l’activité physique reviendra à la normale, leur site risque bien d’être rapidement obsolète.”
Et l’expert pointe un frein important dans le développement de certains types d’e-commerces: “Beaucoup font du commerce en ligne comme ils font de la vente physique, regrette Pierre-Alexandre Billiet. Cela signifie qu’ils vendent en ligne le même produit et de la même manière que dans le physique. Dans beaucoup de cas, tant qu’ils en restent là, ils ne trouveront pas la vraie rentabilité”. Et de suggérer une évolution vers l’“a-commerce” pour commerce automatique. “Si la pandémie devait durer, alors le développement d’un modèle de type a-commerce, avec de l’achat récurrent et des abonnements devrait rendre l’approche e-commerce intéressante dans pas mal de situations, déclare Pierre-Alexandre Billiet. En effet, dans ce cas-là, le coût marketing et donc le coût d’acquisition du client se voient considérablement réduits.” Et permet d’envisager une plus grande rentabilité.
L’enjeu n’a rien d’anodin car le maintien d’une offre d’e-commerce made in Belgique reste le fer de lance des commerçants et des associations spécialisées dans l’e-commerce. Cela fait en effet des années que le secteur dénonce le manque de boutiques en ligne en Belgique et donc, la fuite des achats vers des sites étrangers comme Amazon, Bol, Coolblue ou Zalando, pour n’en citer que quelques-uns.
En septembre de l’année passée, Dominique Michel, le responsable de Comeos, la fédération de la distribution en Belgique, pointait dans nos colonnes cette lancinante problématique: “Selon nos analyses, un achat non alimentaire en ligne sur deux se fait à partir de l’étranger, déplorait-il. Pour inverser la tendance, il faudrait une réforme en profondeur de notre marché du travail qui permette aux entreprises de répondre rapidement aux besoins extérieurs. Il faut, par exemple, pouvoir rapidement demander à une partie des collaborateurs de changer de travail pour préparer des commandes. Or, pour le moment, cela demande des années et des années de négociation”. La plupart des observateurs du secteur plaident donc pour un encadrement, règlementaire notamment, nettement plus favorable au développement d’acteurs locaux de la vente en ligne. Faute de quoi, si la demande potentiellement accrue de la part du consommateur se vérifie, elle ne profiterait pas (assez?) à nos entreprises…
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