Ces entreprises immuables qui restent à la page

Les crayons Caran d’Ache ont reçu cette année le prix Léonard de Vinci, qu’organisent les Hénokiens et le Château du Clos Lucé, afin de promouvoir l‘entrepreneuriat familial. © PG
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Tradition et innovation: tels sont les maîtres mots des Hénokiens, ces entreprises familiales bicentenaires qui défient le temps et résistent aux crises.

Quel est le point commun entre le belge D’Ieteren, le groupe français Peugeot et l’armurier italien Beretta? Tous ces grands noms du business ont plus de 200 ans et font partie de l’association internationale des Hénokiens, laquelle rassemble des entreprises familiales du monde entier, dont deux entreprises belges: D’Ieteren, qui a fêté ses 200 ans en 2005, et Pollet, spécialisée dans le nettoyage professionnel, dont la naissance remonte à 1763.

L’association, créée en 1981 par un Français, Gérard Glotin, à l’époque à la tête de la marque de liqueurs Marie Brizard (créatrice de l’anisette), tient son nom d’un personnage de la Bible, Henoch, supposé avoir vécu 365 ans. Elle totalise 56 membres. Des entreprises de pays et de secteurs d’activités très variés allant du groupe japonais Hoshi actif dans le secteur de l’hôtellerie et qui a vu le jour il y a plus de 1.300 ans (en 717! ) au fabricant d’armes italien Beretta (1526) en passant par la banque suisse Mirabaud (1819) ou encore le groupe Bolloré (1822).

Capitalisme familial

Si elles sont toutes très différentes en termes de taille, de métier et d’histoire, elles partagent néanmoins plusieurs caractéristiques très strictes en tant que membres du “club”: avoir 200 ans d’existence minimum, avoir une majorité du capital détenue par la famille fondatrice, être toujours dirigée par l’un des descendants du fondateur et faire preuve d’une bonne gestion.

Une fois par an, ces entreprises bicentenaires et familiales se réunissent quelques jours dans une grande ville internationale. Le temps pour leurs dirigeants confrontés aux mêmes problématiques d’échanger discrètement. Le temps aussi de remettre un prix: le prix Léonard de Vinci.

Organisé conjointement par l’association des Hénokiens et le château du Clos Lucé, dernière demeure du génie italien (située à Amboise, en France), il a pour objectif de promouvoir l’entrepreneuriat familial comme modèle de croissance maîtrisée et responsable que défendent les Hénokiens. “Un modèle de capitalisme familial permettant tout à la fois de donner un sens au travail, de l’ancrer dans les régions et de l’enraciner dans nos cultures,”, soutient Alberto Marenghi, président des Hénokiens.

Récompensant donc une vision différente du monde des affaires, la distinction a par exemple été attribuée par le passé à de nombreuses entreprises bien connues du grand public comme le groupe SEB, champion du petit électroménager, mais aussi l’allemand Schwan-Stabilo, réputé pour ses stylos et ses surligneurs fluo, ou encore le fabricant autrichien de bijoux et de cristal de haute qualité Swarovski.

“Ces entreprises ont réussi à transformer leur énorme cumul de savoir-faire en un réel avantage compétitif.”

“Le prix a pour vocation de valoriser l’engagement et la fidélité d’une entreprise à un produit, à un service, à son personnel, à un territoire, etc. Les entreprises récompensées sont des entreprises qui ont réussi à transformer leur énorme cumul de savoir-faire en un réel avantage compétitif”, soutient pour sa part François Saint Bris, le président du Clos Lucé.

Ce faisant, après Swarovski, Stabilo ou encore l’italien Pedrollo à Venise l’an dernier, c’est le groupe familial suisse Caran d’Ache qui a cette année été mis à l’honneur dans les salons de l’hôtel Mandarin Oriental, à Genève. Fondé en 1915, le célèbre fabricant de crayons de couleur (qui vient du mot karandash, qui veut dire “crayon” en russe) est présidé aujourd’hui par Carole Hubscher, représentante de la quatrième génération d’une famille impliquée dans sa gestion depuis des décennies. “Depuis sa création, les valeurs de responsabilité sociale et environnementale, de savoir-faire, de transmission et de pérennité, partagées par les entreprises familiales, font partie intrinsèque de l’ADN de Caran d’Ache, avance l’arrière-petite-fille du fondateur. Tous nos produits sont fabriqués en Suisse. Nous avons une belle diversité d’artisans. Plus de 90 de nos métiers ne s’apprennent pas ailleurs. La place de la passion et de l’excellence est centrale à chaque niveau du processus de création. L’entreprise valorise le travail et l’épanouissement de tous.”

Résultat? Véritable icône du Swiss Made, la société, dont le siège et l’usine sont toujours situés à Thônex, dans le canton de Genève, emploie aujourd’hui environ 300 personnes, dénombre 3.400 références différentes (crayons, gouaches, stylos, carnets de note, etc.), gère un réseau d’une dizaine de boutiques en Suisse, est présente dans plus de 120 points de vente à l’étranger et exporte ses produits dans 80 pays. Particulièrement réputés pour leur pigmentation intense et leur résistance à la lumière, ceux-ci sont utilisés tant par des artistes que des illustrateurs, des architectes, des designers et des amateurs d’art du monde entier.

A travers son histoire et celle de ses dirigeants, depuis quatre générations, Caran d’Ache illustre donc parfaitement la vision au cœur de la philosophie des Hénokiens: engagement et fidélité d’une famille à un métier et à un territoire tout en faisant preuve d’innovation. Plus de 80 inventions brevetées développées par le département R&D intégré protègent les produits, machines et procédés de fabrication de Caran d’Ache. Sans oublier la Creative Class, ou cours de dessin et de peinture en ligne, que la maison vient de lancer.

Prudence et résilience

“Etre innovant, c’est pouvoir faire preuve d’une gymnastique mentale permanente visant à ne jamais se satisfaire du bien lorsque l’on peut faire mieux, soutient Carole Hubscher. Il faut pour cela amener de la valeur ajoutée à chaque niveau de notre organisation, avec la conviction de transmettre un jour un héritage fort dans une perspective de pérennité.”

“Toutes ces entreprises familiales privilégient la prudence et une vision à long terme.”

Et bien sûr, il faut aussi aujourd’hui se projeter de manière durable avec des produits et des procédés écologiques (vernis à eau pour les crayons, usine avec panneaux solaires, etc.). Bref, à l’image de Caran d’Ache, “toutes ces entreprises familiales privilégient la prudence et une vision à long terme, ce qui n’empêche pas d’embrasser le changement, souligne François Saint Bris. C’est cette capacité de résilience qu’elles ont pu développer au fil du temps qui permet à ces entreprises humanistes de traverser les guerres, les révolutions industrielles, les krachs boursiers, les crises économiques ou encore les épidémies”.

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