Bras de fer entre les compagnies aériennes et les agences de voyage en ligne
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![Robert Van Apeldoorn](https://img.static-rmg.be/a/view/q75/w150/h150/f51.57,42.40/5169782/robert-van-apeldoorn-jpg.jpg)
Les agences en ligne rêvent de reproduire le succès d’un Booking.com ou d’un Airbnb dans l’hébergement pour l’achat de tickets d’avion. Mais ce jeune secteur est troublé par des tensions avec les compagnies aériennes et un manque de régulation.
Pour les voyageurs, réserver un hôtel sur Booking ou un logement sur Airbnb ne pose guère de souci : c’est facile, le choix est vaste, les tarifs sont plutôt clairs. C’est devenu une habitude pour les voyageurs. Faire appel à une agence en ligne (ou OTA, online travel agency) pour l’achat d’un ticket d’avion semble parfois nettement plus compliqué.
Tout d’abord, il existe un grand nombre d’agences en ligne pour les avions, au moins en apparence. Difficile en effet de les distinguer, plusieurs noms pouvant mener au même groupe. Ainsi, eDreams, Opodo, Travellink, Liligo sont des marques du groupe espagnol eDreams Odigeo, l’un des deux principaux acteurs en Europe, avec le suédois eTraveli (Mytrip, Flight Network, Go to Gate).
Ensuite, les rapports avec les compagnies aériennes sont parfois difficiles, avec des inconvénients pour les voyageurs. Ryanair est sans doute la compagnie publiquement la plus agressive sur le sujet. Elle publie régulièrement des communiqués reprochant à plusieurs agences en ligne, eDreams notamment, de gonfler (overcharging) les tarifs des tickets vendus par leur intermédiaire, sans que les clients ne s’en aperçoivent. “Dans notre dernière enquête, nous avons observé qu’eDreams surfacture les bagages de 10 kg, 27,49 euros au lieu du tarif de 11,99 euros que notre compagnie facture, a rappelé Michael O’Leary, lors d’une conférence de presse à Bruxelles. Il n’y a pas de souci avec 90% des OTA, avec lesquelles nous avons un accord, mais il y a deux acteurs, eDreams et Booking, qui continuent à compter des tarifs surfacturés pour des options comme des bagages ou des sièges réservés.”
eDreams Odigeo conteste cette affirmation de surfacturation (overcharge). “C’est une simple campagne de dénigrement, estime le porte-parole du groupe. En dépit des décisions de justice leur demandant d’arrêter, ils continuent à utiliser cette tactique anticoncurrentielle.” Booking, de son côté, ne vend plus de vols Ryanair.
Le rôle des comparateurs
Les agences de voyage en ligne (OTA) se sont développées depuis une vingtaine d’années, avec l’essor d’internet, sur la promesse de bons tarifs. Elles représentent environ 25% des tickets vendus, moins pour les low cost (15% pour Ryanair).
Les voyageurs peuvent être amenés à réserver via une OTA en consultant un site de comparaison de tarifs, comme Skyscanner ou Google. Les comparateurs renvoient souvent à une OTA pour l’achat d’un ticket. Avec le temps, une confusion s’installe entre le rôle de comparateur et celui d’OTA, ces dernières rachetant des comparateurs : Liligo appartient à eDreams Odigeo, Kayak à Booking.com.
Le modèle financier tentant de Booking et Airbnb
La formidable réussite du groupe Booking.com et d’Airbnb dans la réservation d’hôtels et d’hébergements a encouragé la réplication de ce rôle d’intermédiaire dans la vente de tickets d’avion. Booking.com affiche une rentabilité et une valeur boursière qui font rêver : 32% de marge nette sur les ventes (Q3 2024), 155 milliards de dollars de capitalisation. Quant à Airbnb, sa capitalisation boursière atteint 82 milliards de dollars.
Le modèle des OTA dans l’aérien est moins évident. eDreams Odigeo a dégagé une marge nette de 5% sur les ventes pour l’année 2024 (clôturée dès mars dernier) et dispose d’une capitalisation de 1,1 milliard d’euros. Le marché semble néanmoins prometteur. Le groupe Booking.com, champion dans l’hébergement, y voit un bon complément et s’y développe. Il a voulu faire un bond en rachetant le suédois eTraveli pour 1,6 milliard d’euros. La Commission européenne a toutefois bloqué l’opération en 2023, craignant que l’entreprise n’occupe une position trop dominante.
Pourquoi la vie des OTA est-elle plus compliquée dans l’aérien que dans l’hébergement ? Leur position est plus forte dans le premier marché car l’offre d’hébergements est très fragmentée. La vente directe y est très difficile, surtout pour les petits hôtels et les particuliers (Airbnb). Ceux-ci sont donc généralement prêts à payer des commissions aux OTA pour améliorer leur taux d’occupation. Les agences en ligne sont devenues vitales pour le secteur.
Le BEUC demande une meilleure régulation
Dans l’aérien, les fusions ont créé de très grands acteurs. Les compagnies historiques comme Lufthansa Group ou Air France KLM, qui vendaient beaucoup via des agences de voyage physiques, ont ainsi pu réduire leurs coûts de distribution. Le business model des low cost comme Ryanair est basé sur la vente directe. La compagnie irlandaise n’a guère besoin des OTA et ne leur verse pas de commission.
Les OTA ont, elles, besoin d’avoir Ryanair, numéro un européen, dans leur système pour attirer des voyageurs. Elles peuvent être amenées à vendre des tickets Ryanair sans accord avec la compagnie, et doivent se débrouiller pour faire payer le service aux voyageurs en conservant un prix d’affiche très bas, ce qui crée parfois des soucis.
“Les intermédiaires font (parfois) payer des frais pour des services gratuits chez la compagnie, comme le choix de siège”, déclare Steven Berger, senior legal officer acting head of consumer rights au Beuc (Bureau européen des unions de consommateurs). “Le covid a mis en évidence les difficultés des consommateurs à se faire rembourser en cas de problèmes ou d’annulation par la compagnie, poursuit Steven Berger. Qui doit rembourser ? Dans quels délais ? Ces éléments ne sont pas légalement définis, c’était un vrai ping-pong, la compagnie renvoyant à l’intermédiaire et vice versa. Suite à une plainte du Centre européen des consommateurs, les autorités ont dû agir.”
Frais cachés ou obligatoires
Steven Berger déplore aussi “les frais cachés ou obligatoires qui apparaissent pendant le processus de réservation, des frais trop élevés appliqués pour les remboursements, l’impossibilité pour les consommateurs de contacter l’opérateur, et j’en passe… Sur ce point, nous sommes en accord avec les compagnies aériennes, ce qui est assez rare pour être mentionné.”
La fédération européenne des compagnies aériennes, A4E, a publié en octobre une étude très critique, réalisée par Syntesia, montrant que les tarifs des OTA sont, pour une série d’itinéraires identiques, en moyenne 25% plus chers que les vols réservés en direct sur le site des compagnies, et que certains services gratuits des compagnies sont facturés par les OTA. L’étude note également que deux OTA (eDreams Odigeo et eTraveli) représentent 50% de ce marché.
Steven Berger regrette que la Commission se montre peu ambitieuse, limitant sa proposition à un règlement, en cours de discussion, améliorant les remboursements en cas d’annulation de vols pris via des intermédiaires. “Les intermédiaires sont nécessaires, mais ils doivent avoir des règles et des responsabilités claires.” Eux seuls peuvent faciliter la multimodalité, la combinaison de plusieurs moyens de transport, de plusieurs opérateurs, qu’ils soient dans le rail, l’air, la route. “Il faudrait une réglementation qui règle la protection des consommateurs lorsqu’il y a un problème entre deux transports d’opérateurs différents, que la correspondance n’est pas possible, pour assurer l’indemnisation et éventuellement les logements du voyageur qui a utilisé un intermédiaire.”
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“Les intermédiaires sont nécessaires, mais ils doivent avoir des règles et des responsabilités claires.” – Steven Berger (BEUC)
Une situation améliorée, mais…
La situation s’est améliorée depuis quelques années. Les OTA cherchent à rassurer les consommateurs. Le groupe Odigeo s’est restructuré, évolue vers un business model de type Amazon, avec une formule “Prime”, un abonnement annuel de 69,99 euros par an, donnant droit aux meilleures conditions pour les vols et les hôtels, adopté par 6,5 millions de personnes.
Les sites de comparaison sont aussi devenus plus transparents. Skyscanner ou Liligo (Odigeo) proposent au visiteur, après avoir trouvé le vol souhaité, un choix de sites, OTA ou compagnies aériennes.
Les conflits avec les compagnies se sont apaisés au travers d’accords. Le sujet de discorde était le recours au scraping avec les compagnies vis-à-vis desquelles des OTA n’avaient aucun accord. La méthode consiste à collecter les infos sur les vols et les tarifs des compagnies via des robots, et à réserver des tickets en se substituant numériquement au voyageur.
Des compagnies comme Ryanair ou easyJet ont combattu cette approche, qu’elles assimilent à du piratage. Elles ont, en outre, du mal à contacter les passagers en cas de retard ou d’annulation. Ryanair a même mis en place une obligation de vérification d’identité par reconnaissance faciale des voyageurs qui réservent via une OTA…
Des accords pour clarifier les choses
Le scraping a diminué suite aux accords signés avec les compagnies. EasyJet, qui a tant critiqué le scraping d’eDreams Odigeo, a signé un accord avec ce groupe. Ryanair a conclu des conventions notamment avec eTraveli, Kiwi, Lastminute.com, donnant aux OTA accès aux données de Ryanair. “Elles vendent les tickets aux tarifs de la compagnie, y compris pour les options de bagage. Si elles veulent compter une commission, il n’y a pas de souci, mais cela doit être clair pour le passager”, dit Micheal O’Leary.
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“Si les OTA veulent compter une commission, il n’y a pas de souci, mais cela doit être clair pour le passager.” – Michael O’Leary (Ryanair)
Toutefois, certaines OTA n’ont pas signé ce type d’accord avec Ryanair, principalement Booking et eDreams Odigeo. En attendant, des procédures ont opposé la compagnie, qui souhaite interdire le scraping, avec ces OTA. Parfois avec succès, parfois pas. “Le seul pays où nous avons des soucis est l’Espagne, nous avons du mal à gagner devant les tribunaux espagnols, et eDreams est espagnol”, souligne encore Michael O’Leary.
Brussels Airlines plus mesuré, mais attentif
Le groupe Lufthansa, dont fait partie Brussels Airlines, a un avis mesuré sur les OTA. “Nous les considérons comme un canal de distribution indirect, en plus des agences de voyage et des tour-opérateurs”, dit Frédéric Dechamps, senior director sales Belgium, Lufthansa Group. Le groupe estime que les OTA sont intéressantes pour toucher des marchés hors du pays de base des compagnies. Toutefois, “le plus grand défi que nous rencontrons est le ‘brand-bidding’, c’est-à-dire que les OTA utilisent notre marque pour être mieux positionnées sur Google, par exemple. Parfois, elles apparaissent en premier lors d’une recherche sur internet et les clients ne remarquent même pas qu’ils n’atterrissent pas sur le site web de la compagnie aérienne elle-même.”
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