Baromètre des Salaires 2024: le salaire reste le facteur déterminant, mais il n’est plus seul à faire la loi

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Alors que les entreprises affichent fièrement leurs perspectives de croissance et de recrutement et que la guerre des talents s’éternise, Robert Half publie son Guide des Salaires 2024. Première constatation: si le salaire reste la clé de voûte pour accepter (ou refuser) un emploi, il n’est plus tout seul à faire la loi sur le marché du recrutement.

Toujours déterminant le salaire ? Oui en effet ! Selon le Guide des Salaires 2024 de Robert Half, 59 % des personnes interrogées n’hésitent pas à affirmer qu’un salaire, qui leur semble insuffisant, demeure la principale raison de refuser un emploi lorsqu’elles ont le choix entre plusieurs propositions. Un salaire élevé reste toujours la première raison d’accepter un nouvel emploi.

Plus uniquement le salaire

Mais elle n’est plus la seule… Si le roi salaire règne toujours, aujourd’hui il doit composer avec certains de ses vassaux. En effet, la manière dont ce salaire sera communiqué et négocié compte également. 

 Ainsi, les employeurs proposeront souvent des offres salariales, composées de plusieurs éléments conformes aux tendances du marché afin d’éviter un refus. Selon l’enquête menée dans le cadre du Guide des Salaires 2024 de Robert Half, les trois éléments suivants sont les plus souvent proposés par les employeurs. En plus du salaire : des opportunités de développement professionnel (37 %), des conditions de travail flexibles comme le télétravail (35 %) et davantage de congés payés (30 %).

 Comment retenir les talents?

L’attraction puis la rétention de talents demeurent le plus grand défi sur le marché du travail actuellement tendu : 82 % des employeurs s’inquiètent de l’attraction de nouveaux talents. De plus, 84 % des employeurs interrogés ont, après l’avoir engagé, comme principale préoccupation, de garder ce personnel au sein de l’entreprise.

Trends Tendances fait le point sur le Baromètre des Salaires 2024 avec Joël Poilvache, Regional Managing Director chez Robert Half.

Avez-vous été surpris par les résultats de ce baromètre ?

La dernière étude, oui. J’ai été surpris par la confiance des employeurs dans les opportunités de croissance de leur entreprise, et ce malgré les nombreuses crises passées.

Mais le Baromètre 2024 ne me surprend pas vraiment: le salaire est toujours un aspect très important au moment du choix d’un emploi. Il est donc indéniable qu’un salaire compétitif reste l’un des atouts les plus importants dans l’attraction et la rétention des talents. Cependant, pour certains employeurs, il peut être difficile d’augmenter les salaires.

D’autant, la guerre des talents préoccupe toujours beaucoup les employeurs tant l’aspect d’attirer des talents, que celui d’arriver à les retenir par après. C’est un gros challenge pour les entreprises. Les chiffres sont donc assez intenses, mais ils ne me surprennent pas.  

Quels sont les éléments qu’une entreprise peut mettre en avant pour attirer les talents?

Un salaire compétitif est l’élément essentiel. Mais à côté de celui-ci il y a bien entendu toute une série d’avantages extra-légaux. Idéalement, les employeurs doivent avoir un éventail assez large de ces avantages et proposer un plan cafétéria afin que chacun puisse composer son menu.

L’emplacement de l’entreprise joue aussi un rôle majeur dans l’acceptation d’un emploi, ce qui peut sembler surprenant à une époque où le télétravail est devenu monnaie courante. Cela peut indiquer que les employés sont amenés à retourner plus fréquemment au bureau. Par conséquent, il est important d’offrir un environnement de travail attrayant qui favorise la croissance, le développement et le bien-être.

La flexibilité est également importante, car l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle a de plus en plus d’importance aux yeux des candidats. Des perspectives d’avenir au sein de l’entreprise et la possibilité de suivre des formations sont aussi deux choses qu’une entreprise peut mettre en avant afin de faire la différence avec la concurrence. Finalement, la culture de l’entreprise joue aussi beaucoup. Il faut qu’il y ait une adéquation avec les valeurs affichées par l’entreprise et les valeurs vécues depuis l’intérieur.

 Les éléments pour attirer les talents sont-ils les mêmes que ceux pour les retenir ? Remarque-t-on des différences ?

Globalement, ils sont assez similaires. Néanmoins, il y a toujours des choses que l’on percevra différemment quand on travaille déjà pour l’entreprise et quand on cherche à se faire embaucher. C’est pour cela que je parlais d’adéquation entre la culture affichée et la culture vécue, voir si ces valeurs correspondent.

C’est un conseil que je donne aux candidats : toujours se renseigner, poser des questions et voir s’il y a adéquation. C’est essentiel pour être heureux dans son environnement de travail. Quant aux entreprises, elles ont tout intérêt à communiquer clairement et à respecter cette adéquation afin qu’il n’y ait pas de décalage dans leur communication vers l’extérieur.

Sinon dans le packaging salarial, la flexibilité et les formations sont toujours importantes pour attirer et retenir les talents.

 Certains profils sont plus faciles que d’autres à recruter ?

Pas par rapport à des fonctions spécifiques. Mais il faut parfois être plus souple et flexible sur certains critères, comme l’expérience ou les langues par exemple. Il faut miser sur le potentiel en croissance à long terme d’un candidat. Il a presque toutes les qualifications requises, mais il n’a pas toute l’expérience voulue pour la fonction ? Cela s’acquiert, et puis il peut se former. Il n’est pas parfait bilingue, cela s’améliore avec des cours. Il faut donc parfois oser investir sur le potentiel quand le candidat correspond à plusieurs critères et qu’il y a un bon « match » avec la culture et les valeurs de l’entreprise. Si quelqu’un convient bien, l’employeur peut investir sur le long terme.

Il y a beaucoup de concurrence pour toutes les fonctions. De plus, on est dans une conjoncture économique avec un taux de chômage très faible. Cette pénurie de candidats risque donc de durer encore un certain temps. Et il se peut qu’il faille combler certains recrutements par de l’intérim management, ou encore des employés à la retraite qui viendraient travailler un jour ou deux par semaine.

Les petites PME qui ne peuvent pas toujours s’aligner sur les salaires offerts par les « grandes » entreprises sont-elles vouées à ne pas pouvoir recruter ?

Nombreuses sont les PME qui peuvent offrir un salaire compétitif, quoi qu’on en pense. Et quand ce n’est pas le cas, elles ont d’autres atouts à faire valoir. Par exemple, si c’est une petite structure, grimper les échelons sera bien plus rapide. Le candidat pourra avoir bien plus de responsabilités et plus rapidement que dans une plus grande structure, etc. Il pourra éventuellement valoriser monétairement par après ces acquis et ce savoir-faire.

Que peuvent-elles faire pour « compenser » cela ?

Les PME présentent souvent l’avantage pour un candidat d’avoir la possibilité d’un développement plus rapide de sa carrière, et cela pourra être mis en avant. Donc, investir dans la formation et le développement personnel, offrir des horaires de travail flexibles et reconnaître l’engagement des employés. Un employé engagé et satisfait est souvent disposé à s’investir pleinement dans le succès de l’entreprise, même si le salaire n’est pas le plus élevé. Créez un environnement où les employés se sentent valorisés et entendus, et vous verrez que la guerre des talents peut toujours être “gagnée”. Néanmoins, offrir un salaire « minimal » en parallèle est indispensable.

Malik Azzouzi (Malt) nous disait récemment que « la guerre des talents est finie et ce sont les talents qui l’ont gagnée. Le rapport de force dans le recrutement s’est complètement inversé ». Qu’en pensez-vous ?

À l’heure actuelle, ce n’est pas faux, même si c’est un petit peu schématisé. La balance penche clairement plus en faveur des candidats lors des entretiens de recrutement, car souvent ils ont reçu plusieurs propositions.

La guerre des talents est bien présente, ainsi que la pénurie de candidats sur le marché. Et cela va encore continuer un temps sauf s’il y a un basculement de ce marché de l’emploi, mais je ne vois pas cela arriver rapidement.

Par contre ce qu’il faudra bien tenir à l’œil c’est l’automatisation et la digitalisation de certaines tâches et fonctions, et bien observer comment le marché du travail va y réagir et se modifier pour s’adapter. Voir comment certaines fonctions vont se transformer. Cela va avoir un impact sur le marché du travail. Et cette digitalisation impactera tous les départements.

Il faudra aussi bien observer comment les écoles et les universités vont adapter leurs cours afin de coller au plus près aux changements provoqués par cette digitalisation, pour justement préparer la relève sur le marché du travail.

La politique de transparence salariale est une tendance grandissante dans les pays anglo-saxons, mais qu’en est-il chez nous ?

Malgré tout ce qu’on en pense, la transparence salariale anglo-saxonne n’est pas quelque chose de si évident que cela. Il y a malgré tout une certaine confidentialité dès qu’il est question de salaires.

Chez nous, c’est encore plus tabou puisque 40% des employés ne parlent jamais salaire et rémunération avec leurs collègues. On remarque aussi une différence générationnelle : les jeunes en parlent plus facilement que les 50 ans et plus.

La réglementation européenne qui doit être mise en place est plutôt perçue positivement. Une fois mise en place dans les entreprises, il faudra suivre comment cela évolue. Cela pourra être positif pour la culture d’entreprises, mais si c’est communiquer correctement et bien expliquer.

Justement, jusqu’où peut-on aller dans cette transparence?

La transparence salariale comporte des avantages et des inconvénients. Il est important pour les employeurs et les employés de traiter ce sujet avec prudence et surtout de tenir compte du contexte afin d’éviter les malentendus et les frustrations.

Idéalement, ce sujet devrait être discuté lors d’un entretien privé entre le responsable des ressources humaines et le salarié, en fournissant des explications et une perspective suffisante.

Si les employés disposent d’une meilleure visibilité sur la manière dont leur salaire est déterminé et qu’ils estiment que le processus est équitable, ils se sentiront plus valorisés et plus investis. Cela profite également à l’employeur en renforçant le moral, la productivité et la satisfaction globale au travail. Une politique salariale claire et équitable est essentielle au sein de toute entreprise, surtout sur le marché actuel. Elle contribue à un environnement de travail sain et productif et soutient le succès à long terme d’une entreprise.

Baromètre des salaires 2024, quelques chiffres

Les employés réagissent déjà favorablement à cette idée de transparence salariale.

– 64 % estiment que davantage de transparence salariale aurait un effet positif sur la culture d’entreprise,

– 58 % confirment que davantage de transparence simplifierait les négociations salariales.

– Il faut cependant noter que 49 % des employés s’inquiètent du fait que davantage de transparence pourrait entraîner des tensions entre les travailleurs.

Que préconise dans les grandes lignes la réglementation européenne concernant la transparence des salaires ?

Pour résumer dans les grandes lignes, cette réglementation européenne se focalise sur trois axes.

Premièrement, l’idée est d’avoir, au sein des entreprises, un système qui permet plus d’équité salariale pour une même fonction. De même, elle entend offrir plus de transparence sur l’évolution, mieux savoir vers où on va niveau salaire en évoluant dans la fonction. Finalement, garantir une meilleure égalité salariale entre les hommes et les femmes.

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