Alstom rapatrie ses activités belges et débarque son CEO : chronique d’un départ annoncé

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Baptiste Lambert

La multinationale française a décidé de rapatrier ses activités belges et luxembourgeoises, a appris L’Echo. Dans la foulée, Alstom rompait sa collaboration avec Bernard Belvaux, CEO d’Alstom Benelux. Difficile d’y voir une coïncidence après l’échec du “contrat du siècle”. Mais ces décisions font aussi partie d’un tableau plus large : un secteur hyper concurrentiel où la rentabilité est difficile.

Alstom a confirmé à L’Echo le regroupement de ses activités belges et luxembourgeoises sous la direction française. Une restructuration qui prendra effet le 1er décembre 2025 et qui s’accompagne du départ de Bernard Belvaux, patron du Benelux. « Compte tenu de l’évolution de l’organisation, le rôle de directeur général du Benelux n’a plus lieu d’être », explique sobrement le groupe.

Sur le papier, la décision s’inscrit dans une logique organisationnelle. En réalité, elle marque la fin d’une autonomie belge déjà fragilisée depuis plusieurs années, et ce, malgré plus de 1.500 emplois dans le pays, dont 600 à Bruges.

Mais pour plusieurs observateurs, le calendrier ne trompe pas : la réorganisation intervient à peine quelques semaines après l’échec du “contrat du siècle” avec la SNCB.

Le “contrat du siècle”, un coup dur pour Alstom Bruges

Ce marché public colossal — jusqu’à 3,4 milliards d’euros pour la fourniture de 600 nouvelles rames AM30 — devait redonner de l’oxygène au site de Bruges, dont le carnet de commandes s’essouffle. Alstom espérait sans soute en faire une vitrine de son savoir-faire industriel et un levier de relance après des années de turbulences liées à l’intégration de Bombardier Transport.

Mais au printemps dernier, le conseil d’administration de la SNCB annonçait entrer en négociations privilégiées avec CAF, le concurrent espagnol d’Alstom, révélait Trends-Tendances. Une décision qui avait provoqué une vive colère de Bernard Belvaux. Nous l’avions rencontré quelques semaines plus tôt et nous avions déjà senti une certaine nervosité dans son chef : il savait qu’il jouait très gros.

Après plusieurs mois de pressions politiques, la SNCB a définitivement tranché en juillet dernier. Les recours entre autres d’Alstom devant le Conseil d’État n’auront rien changé le dernier en date a été rejeté fin septembre.

À Bruges, la déception a été à la hauteur des espoirs placés dans ce contrat. L’usine produit actuellement les voitures M7 de la SNCB, un chantier qui prendra fin au printemps 2026. Du côté de la SNCB, certains soupçonnaient la maison-mère d’essayer de leur faire porter le chapeau d’une réalité économique précaire. En effet, le contrat du siècle n’aurait de toute façon pas pu livrer ses premières rames avant 2029. Un trou de trois ans, donc.

Des emplois sous tension

Sans nouveau contrat, le site pourrait se retrouver à l’arrêt. Il est clair que l’activité liée à l’assemblage est en danger, alors que l’activité de maintenance ne permettra pas tenir tous les emplois à flot.

Les syndicats redoutent une fermeture progressive, à défaut de nouveaux contrats. Le centre d’excellence de Charleroi, spécialisé dans la signalisation et l’électronique de puissance, est sans doute moins concerné mais pourrait perdre son autonomie au profit de la France.

Plusieurs pistes seraient encore possibles pour le site de Bruges. Comme la possibilité pour CAF d’y sous-traiter certaines de ses activités liés au contrat du siècle. Il n’est pas rare qu’un site serve de chaîne de production d’appoint pour un autre site, qu’il soit issu du groupe Alstom ou de la concurrence. Mais il est clair que dans un marché qui est hyper-concurrentiel, la multinationale française privilégiera toujours ses sites du nord de la France, par exemple celui de Valenciennes, à un site belge.

Un groupe en quête de rentabilité

Mais cette double décision d’Alstom dépasse les enjeux belges et luxembourgeois. Malgré un redressement spectaculaire en 2024-2025 — cash-flow libre positif à 502 millions d’euros, marge d’exploitation en hausse à 6,4 %, et dette nette divisée par sept — Alstom revient de très loin et reste sous pression pour améliorer durablement sa rentabilité.

Le groupe s’est délesté de plusieurs activités jugées non essentielles, réduit ses coûts fixes et recentré ses investissements sur la production à haute valeur ajoutée. Mais la concurrence s’intensifie : Siemens Mobility et CAF en Europe, et surtout le géant chinois CRRC, dont la puissance de frappe financière et industrielle dépasse largement celle des constructeurs européens.

Dans ce contexte, la réorganisation des filiales locales s’apparente moins à une sanction qu’à un mouvement d’ensemble : rationaliser, centraliser et réduire les coûts.

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