A6K-E6K va passer dans une autre dimension

A6K, lieu de rencontre informel lors dévénements technologiques
Baptiste Lambert

Le hub technologique A6K, situé à deux pas de la gare de Charleroi, nourrit de grandes ambitions. Son projet d’extension a pour objectif de faire d’E6K, son école dédiée, le plus grand centre de formation du pays.

Du beau monde. Lundi dernier, le centre d’innovation, d’incubation et de formation technologique a soufflé sa cinquième bougie en présence des locaux de l’étape, Paul Magnette (PS) et Thomas Dermine (PS), bien sûr, mais aussi du commissaire européen à l’Economie, Paolo Gentiloni. L’occasion pour A6K-E6K de présenter ses tout nouveaux plans. De grande envergure, il faut le dire.

La genèse d’A6K

Le projet de départ nourrissait déjà d’énormes ambitions : “Réindustrialiser la Wallonie à partir de Charleroi en misant sur les technologies de pointe”, nous explique le CEO, Abd-Samad Habbachi. Rien que ça. Il faut dire que le natif de Montignies-sur-Sambre ne vient pas de nulle part. Il a travaillé chez Caterpillar durant un peu plus de 10 ans, grimpant rapidement les échelons. Arrivé comme “simple employé”, Habbachi devient cadre 18 mois plus tard. Son nouveau poste – responsable de la chaîne logistique – le mène aux quatre coins du monde. “Une fonction qui m’a permis d’avoir une bonne idée de l’industrie et de connaître la com­pétitivité des sites de production.” Il voit donc le drame arriver avant tout le monde sur le site wallon. Dès 2013, la compé­titivité se casse la figure. Trois ans plus tard, la maison mère américaine vient annoncer la mauvaise nouvelle : game over à Gosselies. Mauvaise nouvelle pour Habbachi ? Pas vraiment. Caterpillar lui propose de passer sur un autre payroll de l’entreprise, en Suisse, et de doubler son salaire. Mais le Carolo décline.

Abd-Samad Habbachi, ancré dans sa région, s’intéresse alors aux services du territoire pour Charleroi. Le Plan CATCH attire son attention. Il s’agit d’un plan initié par la Région wallonne et qui visait à redynamiser l’emploi dans le cadre de Charleroi Métropole. En fait, ce plan est né des cendres de Caterpillar et s’inspire directement des efforts de reconversion similaires dans la province du Limbourg, à la suite de la fermeture de Ford Genk.

L’ancien cadre remet son bleu de travail. “Il y a 50 ans, nous étions les champions du monde dans un tas de domaines. Comment avaient fait les pères fondateurs ?” se questionne à l’époque Habbachi. Il dresse alors un état des lieux et constate que l’industrie de pointe en Wallonie n’est pas morte : Thalès, Alstom, Nexans, Aerospacelab, I-Care ou encore l’industrie biochimique. “On pense que l’industrie a disparu en Wallonie, mais ce n’est pas vrai. On a des champions, mais le problème est qu’ils n’étaient pas connectés”, constate le Carolo. “On a des milliers d’ingénieurs qui réfléchissent dans leur coin. Je voulais les rassembler dans une cafèt’”, plaisante Habbachi.

La plaisanterie a débouché sur une idée très sérieuse : A6K était né. En 2018-2019, un pôle d’innovation et d’incubation voit le jour. Les experts d’entreprises qui ne sont pas concur­rentes y échangent sur leur manière de faire ou sur les dernières innovations. Une sorte d’émulation qui profite à tout le monde. A6K accom­pagne aussi des start-up qui cher­chent conseil pour se développer, avec parfois un subside à la clé de SambreInvest ou, si le projet est plus ambitieux, de Wallonie Entreprendre, voire de la SFPIM, le fonds souverain de la Belgique, si le projet à un potentiel national ou international. Les entreprises qui collaborent avec A6K peuvent aussi compter sur du matériel de pointe sur place, comme le 5G Lab ou, depuis fin 2023, sur Lucia, le super-calculateur le plus puissant de Belgique. Prochainement, les entreprises pourront profiter du datacenter de l’ULB qui mettra à disposition de l’espace de stockage.

Lucia, le supercalculateur wallon de Cenaero localisé chez A6K.

NRB ou la formation sur mesure

NRB est l’un des leadeurs de l’IT en Belgique. Une entreprise à portée internationale, avec ses 4.000 collaborateurs. Le département lié au développement d’applications a créé au sein d’E6K une formation sur mesure “coup de poing pénurie”, en collaboration avec Technofutur (Forem).
Cette formation s’est terminée en janvier 2024 et a mené au recrutement de six personnes sur huit apprenants. “Les profils sont très complémentaires avec des universitaires au background plus technique”, argumente Fabian Dermine, business operation manager, qui – précisons-le – n’a pas de lien de parenté avec le secrétaire d’Etat.

Un tel taux de réussite s’explique aussi par le fait que NRB est présent sur place chez A6K, ce qui a permis de créer un lien entre les candidats et l’entreprise. “On a pu les rencontrer directement, organiser par exemple des repas. On a pu ainsi connaître leur savoir-être, ce qui est évidemment intéressant dans le recrutement d’un profil”, conclut Fabian Dermine.
La prochaine étape ? Colla­borer avec d’autres entreprises au sein d’A6K.

E6K

Mais il manquait une corde à l’arc d’A6K : la formation. “Je vous donne un exemple : malgré le succès des biotechs en Wallonie, on a remarqué que les jobs qui ont été créés ne profitaient pas assez aux Carolos ou aux Wallons”, nous explique Habbachi. D’où l’idée de créer une sorte d’école, un centre de formation qui colle aux besoins de l’industrie, orienté vers les innovations technologiques. E6K était né. “Notre offre correspond précisément à la demande. Car ce sont les entreprises elles-mêmes qui nous indiquent le profil et la formation qu’elles recherchent. Cela nous permet beaucoup de réactivité.” C’est par exemple le cas d’Alstom, qui, depuis le départ du projet, y a installé son Alstom University. “Les entreprises n’ont parfois pas besoin d’ingénieurs hyper-qualifiés, mais de savoirs thématiques”, ajoute Habbachi. Les formations durent souvent moins d’un an et s’adressent tant aux demandeurs d’emploi qu’aux travailleurs qui veulent se reconvertir ou se réorienter. Et cela conduit parfois directement à un job dans l’entreprise concernée. D’autres formateurs plus classiques sont également venus se coller au projet comme BeCode, le Forem, l’IFAPME et même plusieurs universités.

E6K L’idée du centre de formation est de coller aux besoins de l’indutrie.

“La formation, c’est le nerf de la guerre, embraye l’entrepreneur. Dans ma région, on a le taux de diplomation de l’enseignement supérieur le plus faible du pays, avec Liège.” Ce taux est en effet de moins de 20% à Charleroi, là où il est de 50% en Belgique et même de 42% dans l’UE, selon Statbel et Eurostat. “Regardez le Brabant wallon. Le taux de diplomation y est élevé et la province a le taux de croissance qu’elle mérite”, ajoute Habbachi. Dans cette optique, l’arrivée de l’Université de Charleroi est certainement un plus et n’est pas considérée comme un concurrent par A6K. “On ne va pas vider les campus, nos formations sont complémentaires”, précise le Carolo.

Transformation

Tous ces beaux projets, il a d’abord fallu les réunir dans un seul lieu. Assez rapidement, Abd-Samad Habbachi jette son dévolu sur l’immense bâtiment de l’ancien tri postal. Le bâtiment est austère et n’a rien à envier aux plus belles heu­res de l’empire soviétique. Mais le potentiel et surtout la surface disponible sont là, dès le départ du projet.

“On a commencé doucement, sur une surface de 3.000 m2, avec 200 personnes formées”, se souvient le CEO. Aujourd’hui, A6K-E6K, ce sont 200 équivalents temps plein quotidiens et 61 organisations privées qui gravitent autour du site. On y retrouve aussi 1.100 apprenants, 10 opérateurs de formation pour 100 formations. Ces formations tentent de coller aux métiers en pénurie et sont proches de l’indus­trie qui prospère en Wallonie. Que ce soit dans l’industrie 4.0, la virtu­alisation, l’énergie, la 5G ou encore à la cybersécurité.

“On a des milliers d’ingénieurs qui réfléchis­sent dans leur coin. Je voulais les rassembler dans une cafèt.” – Abd-Samad Habbachi, CEO d’A6K/E6K

Mais clairement, l’objectif est de passer dans une autre dimension. Et l’Europe a visiblement été très séduite par le projet, puis­qu’une nouvelle enveloppe de 87 millions d’euros a été débloquée dans le cadre du Plan de relance. 75 millions d’euros seront destinés à la modernisation du bâtiment et à la cons­truction d’un autre, à côté, qui sera totalement dédié à la formation. Le tout sera géré par l’inter­communale Igretec.

Le nouveau site devrait voir le jour en août 2026 et répondra aux normes QZEN (équivalent à un PEB A). L’ancien bâtiment sera paré d’une enve­loppe métallique blanche qui permet­tra de redonner vie à cet immense bloc de béton. Une nouvelle entrée digne de ce nom verra le jour pour accueillir les apprenants. Et un couloir vitré reliera l’ancien bâtiment au nouveau. A terme, cela constituera un ensemble de 30.000 m2, dont deux tiers seront consacrés à la formation.

“C’est une masse critique à atteindre, si l’on se réfère aux autres projets en Europe”, nous confie le CEO. Le plus célèbre exemple est Station F, le plus grand campus de start-up au monde, soutenu par Xavier Niel. “Mais on commence à s’intéres­ser à nous aussi. La Ville de Mulhouse est venue nous rendre visite ainsi que d’autres acteurs européens”, se réjouit celui qui ne veut pas se limiter à Charleroi, mais veut faire profiter toute la Région wallonne. Reste à remplir tout ce bel espace : A6K-E6K vise 500 équivalents temps plein quotidiens et 10.000 étudiants chaque année.

Alstom y a cru dès le départ

La société ferroviaire Alstom, c’est 2.000 emplois en Belgique, dont 1.400 sur son site de Charleroi, spécialisé dans l’ingénierie. Une entreprise qui a soif de talents et qui voit en E6K, un vivier à “perles rares”.
“On y décèle des profils différents, formés dans les sciences du numérique. Des profils complémentaires à ceux issus d’un cursus plus classique au sein des universités”, explique Pierre Meunier, directeur de l’innovation chez Alstom Belgique.

Concrètement, cela s’est matérialisé par quatre apprenants qui y ont effectué leur stage. Trois d’entre eux sont maintenant engagés dans la multinationale. “Cela peut paraître peu, mais nous avons été bloqués durant la crise sanitaire. Cela représente quand même un taux de réussite de 75%, ce n’est pas rien”, ajoute le directeur.
Ces talents, Alstom les a trouvés au sein de la structure de BeCode. L’énorme développement d’E6K n’est-il toutefois pas démesuré ? Pierre Meunier ne le pense pas : “Vous savez, il y a le Charleroi économique, avec ses industries de pointe et le Charleroi du chômage. C’est un désalignement choquant. On pleure pour trouver des candidats”.

Mais les activités d’Alstom vont bien au-delà de cette recherche de talents. Avec A6K, l’entreprise a pu trouver un lieu de rencontre avec d’autres industriels. “Ce qui nous manquait, c’était une structure collaborative, appuie Pierre Meunier. Nous faisons face aux mêmes problématiques, mais nous ne sommes pas concurrents. C’est ça, la formule magique.”
Cela s’est notamment matérialisé via le “Bridge Innovation Meeting”, un échange des bonnes pratiques d’innovation entre industriels. Alstom y participe aux côtés de Proximus, Thales, I-Care, AGC ou encore Aerospacelab. A6K y facilite les échanges et l’animation. “Les équipes d’A6K nous aident à trouver des solutions pour améliorer notre agilité. A mieux faire participer nos personnels respectifs, ajoute le directeur. Le problème, dans nos grosses structures, c’est qu’il faut délivrer. Respecter nos contrats et nos engagements. C’est un axe prioritaire qui se fait parfois au détriment de l’innovation. A6K nous permet de mélanger les cerveaux et les manières de penser.”

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