À qui appartient la Belgique? Le secteur de l’énergie, un marché sous pavillon français

Bastien Pechon Journaliste

La grande majorité des entreprises actives dans la production et la fourniture de gaz et d’électricité sont aux mains de groupes étrangers, principalement français. Une perte d’indépendance de notre pays dans un secteur pourtant stratégique ?

Il suffit de surfer sur le site de la Creg, l’organisme fédéral qui régule le secteur, pour le constater : la grandes majorité des fournisseurs de gaz et d’électricité du pays sont aux mains d’entreprises étrangères. Electrabel, leader du secteur ? Propriété du groupe français Engie depuis 2005. Luminus, ex-SPE (Société productrice d’électricité) ? Détenu majoritairement depuis 2009 par son compatriote EDF. Eneco Belgium ? Filiale du néerlandais Eneco Group. Un actionnariat qui est d’ailleurs en passe d’évoluer : les 53 communes néerlandaises propriétaires du groupe recherchent actuellement un repreneur. Voyez aussi Lampiris, racheté en 2016 par le groupe français Total. Ou Essent.be, propriété d’Innogy, filiale de l’allemand RWE.

Les seuls fournisseurs complètement belges sont à chercher du côté des ” petits ” comme Mega, détenu par IMG Invest (société d’investissement du Liégeois Laurent Minguet), ou Octa +, dont l’actionnaire majoritaire est la famille Rigo.

Pas d’influence sur les prix

On le voit ; la grande majorité du marché de l’énergie est donc détenue par des entreprises étrangères via leurs filiales. Corollaire immédiat, ” les bénéfices de ces activités ne vont donc plus dans la poche des Belges “, constate Damien Ernst, professeur à l’université de Liège et expert du secteur de l’énergie.

Si le marché européen de l’électricité est une réalité avec laquelle notre pays doit composer, la concurrence y est toutefois très agressive. Le fait que la majorité des fournisseurs du pays ne soient pas sous pavillon belge ” ne conduit donc pas à des prix plus élevés “, explique Damien Ernst.

Les filiales belges jouissent quand même d’une certaine autonomie. Elles ont leur propre direction, et développent leurs propres produits.” Damien Ernst (expert)

Certes, mais il y a aussi la question des investissements. Ne sont-ils pas davantage freinés quand les centres de décision sont principalement à l’étranger, notamment à Paris ? ” Les filiales belges jouissent quand même d’une certaine autonomie, tempère le spécialiste. Elles ont leur propre direction, et développent leurs propres produits. Il est cependant clair que pour une décision importante d’investissement, elles doivent remonter vers leur maison mère. Cela ralentit donc la prise de décision. Mais si l’investissement est jugé rentable, il sera de toute façon effectué. En fait, le seul problème qui pourrait se produire, c’est si de gros investissements doivent être décidés à la fois en Belgique et en France, par exemple. Si la société n’a pas les moyens de les assurer des deux côtés en même temps, il lui faudra passer par un arbitrage. ” Et celui-ci pourrait ne pas se révéler forcément favorable à la Belgique…

Gestionnaires belges

Et puis il y a la question des intérêts dits ” nationaux “. L’Etat français est le principal actionnaire d’EDF (83,7%), maison mère de Luminus. Il est aussi un actionnaire important d’Engie (23,64%), maison mère d’Electrabel. Ces participations pourraient-elles être un moyen de pression indirect pour influencer la politique belge, notamment en matière d’énergie ? ” Je ne pense pas. Je n’ai

jamais vu ou entendu que l’Etat français jouait à ce jeu-là “, répond le professeur de l’université de Liège.

Par ailleurs, le marché belge de l’énergie ne se limite pas aux producteurs et fournisseurs d’énergie. Il y a également les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) comme Ores, Sibelga, Fluvius, ou encore Elia. Tous figurent parmi le top 10 des plus grands employeurs du secteur. Aujourd’hui, ces GRD sont encore largement détenus par des communes et des intercommunales. Et pour Damien Ernst, ils devraient rester dans les mains du public.

Dans les toutes prochaines années, le marché de l’énergie pourrait toutefois être encore davantage aux mains d’investisseurs étrangers. Pas moins de 3.900 MW de capacités vont devoir être construits d’ici 2025 pour remplacer les centrales nucléaires. Approuvé à la veille des vacances de Pâques, un mécanisme de rémunération permettra de subsidier ces nouvelles capacités, qui prendront principalement la forme de centrales au gaz, suffisamment flexibles pour pallier les fluctuations du renouvelable. Outre les producteurs déjà actifs dans notre pays, d’autres investisseurs étrangers se montrent déjà intéressés. Ce mécanisme doit être mis en application via plusieurs arrêtés royaux, avant de recevoir l’aval de l’Europe. L’attribution de ces marchés n’aura donc lieu qu’en 2021.

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